Stratégies

[SYNTHESE] Les premiers effets de l’ajustement attendu du marché francilien de bureau se font sentir

Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier

Au terme du premier trimestre 2023, le marché de l’immobilier de bureau en Ile-de-France affiche une baisse significative de la demande placée et de l’investissement, d’après les données d’Immostat. Une situation qui était plutôt attendue par les observateurs du secteur, marquant l’entrée dans une phase d’ajustement face à un contexte incertain.

Paris QCA confirme son attractivité sur le marché de bureau et fait face à la raréfaction de l’offre - © Getty Images/iStockphoto
Paris QCA confirme son attractivité sur le marché de bureau et fait face à la raréfaction de l’offre - © Getty Images/iStockphoto

Qu’elle ait été anticipée, attendue, crainte… la phase d’ajustement du marché de bureau francilien ne tombe pas de nulle part. En revanche, elle semble bien montrer ses premiers effets à la lumière des chiffres communiqués par ImmoStat, Groupement d’Intérêt Economique réunissant les quatre principaux conseils en immobilier d’entreprise (BNP Paribas Real Estate, CBRE, JLL et Cushman & Wakefield). En effet, le premier trimestre 2023 affiche des baisses significatives aussi bien sur la demande placée que sur l’investissement, preuve que le contexte économique global et les stratégies des utilisateurs se font sentir après plusieurs mois d’inertie du marché.

La demande placée dégringole de 39 %

En comparaison avec le premier trimestre 2022, la demande placée de bureaux en Ile-de-France est en baisse de 39 %. Elle s’élève à 317 400 m² pour le 1er trimestre 2023, bien loin des 518 700 m² du T1 2022 et même inférieur aux 363 300 m² placés début 2021, période encore très marquée par le Covid-19. Tous les segments de surfaces ont été impactés par cette baisse dans des proportions allant de -21 % sur les surfaces intermédiaires, en passant par -24 % en petites et moyennes surfaces, pour atteindre -65 % sur les grandes surfaces.

« Certaines des entreprises, confrontées à une hausse globale de leurs coûts, ont posé le crayon dans l’attente d’une meilleure visibilité concernant le contexte macro-économique tandis que d’autres privilégient la renégociation pour obtenir un loyer intermédiaire entre celui payé précédemment et le loyer de marché, qui est actuellement élevé, mais aussi pour économiser les coûts d’un déménagement », explique Marie Martins, directeur Tenant Representation France chez JLL.

Géographiquement, le marché de Paris intra-muros capte 45 % du volume global francilien avec 142 600 m² (-35 % sur un an). Un niveau en baisse de 35 %, mais qui est notamment le résultat d’un manque d’offre disponible sur le marché selon BNP Paribas Real Estate. Les marchés de La Défense et du Croissant Ouest affichent des baisses significatives avec respectivement 29 800 m² (-56 %) et 38 900 m² (-59 %). Seule la Première Couronne sort du lot depuis le début de l’année avec un volume de 77 000 m² (+14 % sur un an), bien aidé par le segment > 5 000 m², en hausse de 37 % sur la même période grâce quatre opérations pour un volume de 45 700 m²).

« Sur le 4e trimestre 2022, le créneau des grandes transactions avait été particulièrement dynamique. Sur le début d’année 2023, le créneau du > 5 000 m² a connu un trou d’air avec seulement six transactions pour un total de 57 200 m² placés », indique Alexandre Fontaine, Executive Director Bureaux IDF chez CBRE.

Si la recherche des meilleures implantations reste le principal moteur de la demande, les observateurs notent également un vrai engagement des grandes entreprises pour aligner leur immobilier à leurs critères ESG, comme en témoignent les transactions de plus de 5 000 m² finalisées ce trimestre. Quatre de ces mouvements ont en effet concerné des immeubles disposant d’au moins 2 certifications dont HQE ou Breeam (voire 3 à 4 majoritairement). JLL cite par exemple le futur déménagement des services informatiques de la CDC, qui quitteront un immeuble de seconde main à Arcueil pour Network 2 (~16 000 m²) à Bagneux, celui d’Infopro, qui quittera Antony pour se rapprocher un peu plus de Paris en s’installant sur 12 000 m² dans l’opération Aqueduc à Gentilly, ou encore Siemens Mobility qui libérera son implantation actuelle avenue de la République pour un autre immeuble de Châtillon, Yuma, livrable sur la seconde partie de l’année.

« Nous devrions observer un renforcement de la polarisation des marchés franciliens. Ainsi, les secteurs plus périphériques pourraient enregistrer un ralentissement des volumes de transactions et à minima une stabilisation de la vacance à des niveaux élevés. A l’inverse, les secteurs tertiaires établis pourraient continuer à attirer de nouveaux utilisateurs », analyse Éric Siesse, directeur général adjoint en charge du pôle Bureaux Location Île-de-France de BNP Paribas Real Estate Transaction France.

Des bureaux de plus en plus rares et chers

Selon les données d’Immostat, l’offre immédiate de bureaux en Ile-de-France au 31 mars 2023 s’établit à 4 427 000 m², en hausse de 8 % par rapport à son niveau il y a un an. La trajectoire de l’offre sur un an sur les différents marchés fait apparaître une baisse des disponibilités à Paris (3,5 % de vacance), une stabilité sur l’ensemble du Croissant Ouest (13,8 %) et en Seconde Couronne (5,2 %), et enfin une vacance orientée à la hausse à La Défense (15,6 %) et en Première Couronne (13,9 %). JLL note par ailleurs que les surfaces neuves/restructurées représentent aujourd’hui 29 % du stock vacant en Ile-de-France.

« Dans le contexte économique chahuté que nous connaissons, beaucoup de projets ont ralenti ces derniers mois, en raison d’une prudence exacerbée de la part des décisionnaires qui rend les processus beaucoup longs. A cela s’ajoute le faible niveau de disponibilités dans les secteurs les plus recherchés, obligeant les entreprises à recommencer le processus de sélection lorsqu’elles ne sont pas retenues sur un immeuble. Enfin, certains secteurs d’activité, à l’instar de la tech et par voie de conséquence les opérateurs de serviced offices, sont moins actifs aujourd’hui », souligne Yannis de Francesco, directeur exécutif Agence Bureaux Ile-de-France chez JLL.

L’intérêt pour les marchés les plus établis maintient une pression à la hausse sur les valeurs locatives franciliennes, avec respectivement 930 €/m²/an pour le loyer prime, 427 € HT HC/m²/an pour les biens de seconde main, soit une hausse de 3 % sur un an, et 422 € HT HC/m²/an pour les biens neufs ou restructurés, soit une hausse de 2 % sur un an. Dans le QCA, dans un contexte de forte demande et d’offre très limitée, plusieurs transactions se sont signées à des valeurs comprises entre 950 et 1 000 €/m²/an ce trimestre tandis qu’à La Défense, le loyer prime reste positionné à 580 €/m²/an.

Les investisseurs freinent aussi

En Ile-de-France, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise est de 2,4 milliards d’euros pour le 1er trimestre 2023, soit une baisse de 21 % par rapport au T1 2022. En France, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise pour le 1er trimestre 2023 est de 3,3 milliards d’euros, soit une baisse de 35 % par rapport au T1 2022.  Le prix moyen des bureaux achetés en Ile-de-France au cours du début d’année, tous types confondus, s’élève à 7 710 €/m² (droits inclus) ce qui représente une baisse de 5 % sur un an.

« Si les bureaux conservent la première place avec près de 1,7 milliard d’euros investis depuis le début de l’année, le ralentissement des volumes se confirme avec une baisse de 31 % sur un an », précise Olivier Ambrosiali, directeur général adjoint en charge du pôle Vente et Investissement de BNP Paribas Real Estate Transaction France.

En bureau, l’opération la plus significative s’est signée à Poissy avec l’acquisition par Progama, Credit Agricole et GA Promotion de la future implantation de Stellantis, tandis que l’opération Galilée Vernet fait figure de transaction phare dans Paris. Sur les autres segments, JLL relève un recul de 26 % pour les investissements d’un montant unitaire inférieur à 50 millions d’euros et de 36 % pour ceux d’un montant compris entre 50 et 100 millions d’euros.

D’un point de vue géographique, Paris Sud (820 millions d’euros) et Paris QCA (615 millions d’euros) arrivent en tête des engagements, en très grande partie grâce aux transactions d’envergure précédemment citées. La Défense et la Première Couronne démarrent quant à elles l’année timidement avec respectivement 15 et 63 millions d’euros investis au cours des trois derniers mois.

Perspectives

« Le niveau des grandes recherches exprimées en Île-de-France reste solide à la fin du 1er trimestre et devrait venir alimenter le volume de la demande placée au cours des prochains trimestres. Finalement, même s’il est difficile de faire des prévisions précises à ce stade au regard des nombreuses incertitudes, la demande placée de bureaux en Île-de-France devrait s’orienter à la baisse en 2023 pour atterrir entre 1,9 et 2 millions de mètres carrés  », anticipe Éric Siesse.

« Le bon niveau de visites et des nouvelles demandes enregistrées nous permettent d’être optimistes pour les prochains mois. L’activité sur ce début d’année a été plus timide qu’attendue. Nous nous attendons à un niveau de demande placée inférieur à 2022, mais les moteurs de la demande restent solides : modernisation des espaces de travail, recherche de centralité, optimisation des coûts, intégration des critères ESG… », pense Alexandre Fontaine.

« La reprise sera moins rapide qu’escompté. Toutefois, nous restons confiants sur la capacité de rebond du marché : dans un contexte d’inflation soutenue, les placements immobiliers jouent un rôle défensif. La collecte des fonds non cotés avait été encore très bonne en 2022, avec une obligation de déploiement du capital disponible. Finalement, le contexte actuel devrait apporter des opportunités pour créer de la valeur différemment, avec une attention accrue sur le potentiel de réversion des loyers et sur la qualité des actifs, dont, en bonne place, leur empreinte carbone. Avec des ressorts financiers encore incertains, patience avant un réel retour aux fondamentaux ! », lance indique Nicolas Verdillon, Managing Director Investment Properties chez CBRE.

« Les ajustements des taux de rendement, la diminution de la prime de risque immobilière et les incertitudes économiques globales poussent les investisseurs à la prudence. Cet attentisme, exacerbé par le décalage entre les valeurs attendues par les acheteurs et les vendeurs, devrait conduire à un volume d’investissement en immobilier commercial en France en baisse de 25 % par rapport à 2022, soit son niveau le plus faible depuis 2013 », pronostique Olivier Ambrosiali.

« Le résultat honorable réalisé par le marché de l’investissement prouve qu’il y a toujours de l’activité, alimentée par un certain nombre d’opportunités sur le marché, sur des volumes toutefois raisonnables. Seuls les actifs de très grande qualité, permettant d’améliorer la qualité des patrimoines, bénéficient actuellement de l’intérêt des investisseurs car susceptibles d’être validés en comité. Ces immeubles étant extrêmement rares, cela se traduit par un maintien du taux prime parisien et par des volumes d’activité réduits », conclut Stephan von Barczy, directeur du Département Investissement de JLL.

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