S. Leborgne (CBRE) : « La réhabilitation sera un enjeu crucial dans les métropoles régionales »
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
Après une année chahutée, la demande placée de bureaux dans les métropoles régionales repart à la hausse : au total, près d’1,2 millions de mètres carrés ont été placés sur les sept plus grands marchés, soit une hausse de 40 % par rapport à 2020. De belles performances dans un contexte de rareté de l’offre structurel. Stanislas Leborgne, directeur exécutif Régions chez CBRE, nous livre son analyse de la situation.
Comment interpréter le rebond de la demande placée dans les métropoles régionales en 2021 ?
Cette croissance annuelle de la demande placée s’explique à la fois par le contexte particulier de 2020, par un rattrapage des opérations qui avaient été mises entre parenthèses, par une dynamique économique plus favorable pour les entreprises aujourd’hui et, enfin, par la demande exogène issue des mouvements de population de Paris vers les Régions.
A Lille, la demande placée atteint 274 000 m², et se rapproche ainsi fortement de Lyon (290 000 m²).
Le rebond se décompose en deux branches. D’une part, il est le résultat d’une bonne dynamique pour les PME/PMI, qui s’observe principalement sur les créneaux de petites et moyennes surfaces. À l’autre bout du spectre, les grandes transactions ont bondi de 58 % par rapport à 2020, avec 33 opérations supérieures à 5 000 m². C’est un niveau qui renoue avec les standards pré-Covid.
Ces grandes transactions sont-elles réparties de manière homogène sur le territoire national ?
Certaines métropoles ont été plus bénéficiaires de ces grandes opérations locatives, à l’image de Lille, où la demande placée atteint 274 000 m², en grande partie drivée par des mouvements importants. La Métropole de Lille se rapproche ainsi fortement de Lyon (290 000 m²), qui était historiquement très en avance sur les autres marchés régionaux. Les transactions importantes se sont plutôt concentrées sur les marchés les plus importants (Lyon, Lille, Aix-Marseille, Bordeaux, Nantes), où les grands utilisateurs sont positionnés traditionnellement. En revanche, cette année a connu un fait nouveau dans la typologie des acteurs derrière ces opérations.
Qui sont ces nouveaux animateurs des marchés régionaux ?
On observe la montée en puissance des organismes de formation. Avant la pandémie, le secteur public et parapublic était le premier preneur de surfaces de plus de 5 000 m². En 2021, l’immobilier d’éducation capte près d’un tiers des volumes placés par de grandes transactions. Les grandes écoles privées manifestent une demande croissante pour des campus notamment. Ces groupes d’enseignement voient bien le regain d’attractivité dont bénéficient les métropoles régionales, et ils anticipent les mouvements de population pour offrir des capacités de formation aux futurs étudiants qui habiteront ces villes.
Vous avez évoqué la demande exogène comme une des causes du rebond de la demande placée en Régions. Quelle est la part réelle de cette demande ?
Selon moi, il faut d’abord rappeler que la délocalisation d’une entreprise est compliquée à mettre en œuvre, sur le plan juridique et social. On n’assiste donc pas à un départ massif des entreprises. Cependant, cette demande exogène revêt aujourd’hui trois réalités. D’abord, un certain nombre d’entreprises en croissance ont choisi d’ouvrir des antennes régionales pour assurer le développement de leur activité.
On observe la montée en puissance des organismes de formation.
Bien que cela ne constitue pas un mouvement de collaborateurs venant de Paris vers les métropoles régionales, ces entreprises créent de l’activité économique et recrute localement. Le second volet provient de startups qui font le choix de s’implanter en dehors de l’Île-de-France, notamment à Nice, à Nantes, à Bordeaux ou à Grenoble. Enfin, il y a aussi des opérations d’extensions des entreprises déjà présentes sur le territoire : 56 % des utilisateurs qui déménagent en Régions agrandissent leurs surfaces prises à bail, bien qu’ils prennent en compte le recours au télétravail. À mon sens, ces entreprises agrandissent leurs locaux pour accompagner la mobilité éventuelle de leurs salariés qui souhaitent s’implanter en Régions, tout en divisant par deux ou par trois les coûts par poste de travail.
Autre tendance à l’œuvre, l’hybridation des modes de travail tient une place importante dans les réflexions. Les marchés régionaux sont-ils adaptés à cette évolution ?
Concernant les tiers-lieux, les métropoles régionales n’ont effectivement pas la même maturité que le marché francilien. Les centres de coworking sont très concentrés dans le centre des métropoles les plus importantes, et il est vrai que l’émergence des besoins de flexibilité nécessite un rééquilibrage.
Le renouvellement de l’offre sur les métropoles régionales est structurellement trop faible pour satisfaire la demande.
Des développements en la matière sont certainement à attendre dès 2022 et pour les deux prochaines années. En revanche, les métropoles régionales peuvent se targuer d’un réseau TGV efficace qui rend la Capitale facilement accessible, ce qui facilite la pratique du télétravail pour les collaborateurs qui veulent s’y installer. Les villes moyennes à proximité relative de Paris - telles que Rouen, Tours, Reims, Orléans, Le Mans ou Angers - bénéficient tout autant de l’hybridation du travail.
CBRE pointe également le pipeline des livraisons de bureaux en Régions qui demeure faible. À quoi cela est-il dû ?
C’est un problème qui ne date pas des retards induis par le Covid sur les chantiers. Le renouvellement de l’offre sur les métropoles régionales est structurellement trop faible pour satisfaire la demande. En observant la demande placée, on voit qu’un mètre carré sur deux est pris dans le neuf ou le restructuré, ce qui témoigne d’une attractivité forte des utilisateurs pour ce type de biens. Ce déséquilibre ne fait qu’assécher le stock d’offre disponible, particulièrement dans les quartiers d’affaires, et c’est un vrai enjeu pour les métropoles. Pour pouvoir continuer d’attirer de nouvelles entreprises, elles doivent être en mesure de répondre à une demande encore plus attentive à la qualité des immeubles et à la centralité de leur implantation. Cet enjeu sur le neuf ne doit pas occulter celui sur les bureaux de seconde main.
Vous soulignez en effet que les réhabilitations d’immeubles de seconde main sont aussi indispensables, mais les conditions nécessaires sont-elles réunies pour mener à bien ces opérations ?
C’est une question centrale aujourd’hui et un enjeu crucial demain. Il devient de plus en plus compliqué de développer de nouveaux projets. Il faut donc travailler sur le parc existant, que ce soit de la restructuration ou un changement d’usage. Cela sera plus aisé sur l’offre de seconde main en centre-ville, où les valeurs locatives permettent d’amortir plus facilement les travaux de mise aux normes. De plus, la demande de centralité des utilisateurs complique la tâche des investisseurs, car les propriétaires n’ont aucune garantie de trouver preneur à la sortie. Il faudra donc très probablement trouver d’autres destinations pour ces immeubles.