Les 10 commandements du renouveau de La Défense sont révélés
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
Au terme d’un cycle entamé en novembre 2022, les Etats généraux de la transformation des tours ont abouti à la révélation de dix propositions pour repenser l’avenir de La Défense. A travers elles, l’établissement public d’aménagement entend se donner les moyens de satisfaire son ambition de créer le premier quartier d’affaires post-carbone au monde.
Quelque 3,7 millions de mètres carrés sur 560 hectares, une capacité de 180 000 salariés et 52 000 habitants, 245 000 m² de commerces… Les chiffres qui entourent La Défense donnent l’ampleur des enjeux qui s’imposent au premier quartier d’affaires européen. Depuis 1958 et l’idée originelle de construire ex nihilo sur cet espace une succession de tours de bureaux, ce qui était encore inédit sur le territoire français, La Défense a indéniablement démontré des signes de réussite. Le Covid lui-même, bien qu’il ait redéfini les us et coutumes du travail dans le secteur tertiaire, n’a pas empêché le retour des salariés au sein des tours. Et les enquêtes de satisfaction de ces derniers illustrent que ce lieu singulier dans le paysage immobilier français garde encore des atouts.
Néanmoins, La Défense fait aujourd’hui face à deux limites à son modèle historique : l’épuisement du foncier et l’empreinte carbone. Ne pouvant plus ignorer celles-ci et poursuivre son cycle sempiternel de développement calqué sur celui des crises économiques, le quartier, par l’intermédiaire de son établissement public d’aménagement (EPA), s’est d’abord doter d’une raison d’être en 2021 : devenir le premier quartier d’affaires post carbone de dimension mondiale. Ouvrant ainsi la voie à plus de mixité d’usage et avec la réduction de 50 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 comme boussole, l’EPA Paris La Défense a multiplié les initiatives, à l’instar de l’appel à projets Empreintes, du projet du Parc ou encore du concours Cube.
Cependant, l’atteinte des objectifs fixés nécessitait aussi de s’attaquer à l’élément qui représente la moitié des émissions de GES : les tours, qui représentent 1 million de tonnes eqCO2, l’équivalent d’une grande ville régionale. C’est tout l’objet des États généraux de la transformation des tours, une méthode de co-construction à grande échelle annoncée en janvier 2022 et dont la conférence inaugurale s’est tenue en novembre. Cette démarche inédite a permis de poser un diagnostic sans concession des tours, pour faire émerger 10 solutions pour les transformer. Ces dernières ont été présentées par Pierre-Yves Guice, directeur général de Paris La Défense, lors de la troisième conférence organisée dans la tour First.
Dix propositions pour transformer les tours de La Défense
1) Un outil commun de calcul d’impact carbone
Prérequis à une action concrète, la première proposition formulée concerne la création d’un outil de calcul de carbone en analyse cycle de vie du territoire permettant de comparer différents scénarios de prospective. Ce dernier devra mesurer l’impact sur la trajectoire carbone de La Défense des constructions, de l’exploitation des bâtiments ainsi que de la mobilité des utilisateurs. Cet outil aidera ainsi les acteurs du quartier, public et privé, à orienter les décisions sur les opérations sur un objectif commun de baisse des émissions carbone, tout en améliorant constamment l’attractivité du quartier d’affaires. À terme, l’enjeu est également d’intégrer les externalités positives ou négatives comme l’accessibilité, l’intensité d’usage ou la réversibilité des bâtiments. À date, une initiative commune rassemble déjà plusieurs agences d’architecture et d’ingénierie pour créer un modèle statistique et une méthode de calcul. Les premiers résultats seront partagés avec le ministère de la transition écologique et le CSTB.
2) Décarboner les réseaux de chaleur et de froid du territoire
Aujourd’hui, la consommation en énergie des immeubles existants du territoire représente 15 % des émissions annuelles territoriales.
Aujourd’hui, la consommation en énergie des immeubles existants du territoire représente 15 % des émissions annuelles territoriales. Dans un contexte de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre plus ambitieuse encore à La Défense, le rôle du réseau de chaleur et de froid est indispensable dans l’atteinte des objectifs réglementaires et territoriaux. Il peut également répondre au besoin de visibilité de la part des investisseurs, des utilisateurs actuels, des prospects et de l’aménageur. Generia, le syndicat mixte en charge du réseau de chaud et de froid du territoire, se donne pour objectif d’élaborer à un schéma directeur du réseau, avec l’appui d’une expertise technique et d’une concertation des acteurs économiques.
3) Intégrer les opérations de restructuration dans les critères des Green Bonds
Les opérations de rénovation sont confrontées à des difficultés spécifiques d’accès au financement dans la mesure où les durées d’amortissement des prêts ne sont pas alignées sur celle des investissements réalisés. Les Green Bonds, destinés au financement de la transition écologique, constituent une opportunité pour financer la restructuration des tours existantes, dans un contexte de hausse des prix de matériaux, de l’énergie et des taux d’emprunt. Cependant, ces fonds requièrent des engagements précis de performance, d’excellence environnementale, un fléchage rigoureux des allocations ainsi qu’un suivi de conformité après la réalisation. Un groupe de travail composé d’investisseurs, d’experts et de financeurs permettrait de bâtir ainsi un référentiel répondant aux exigences des Green Bonds.
4) Adapter la fiscalité immobilière
Pour faciliter l’équilibre économique des opérations de rénovation, le levier fiscal constitue un bon moyen. De nombreuses idées d’adaptation de dispositifs existants ont été émises au cours des États généraux, dont celle du dispositif d’engagement à construire. L’enjeu est de sortir du paradoxe qui veut que pour la rénovation/restructuration de bureaux, la fiscalité actuelle peut encourager la destruction d’éléments de second œuvre non obsolètes qui pourraient être préservés. Une première concrétisation pourrait intervenir pour inciter à la frugalité dans ces opérations en intégrant un assouplissement de la doctrine fiscale sur les conditions nécessaires pour satisfaire à l’engagement de construire, plus particulièrement sur la définition de la remise à l’état neuf : les éléments du second œuvre n’étant pas en situation d’obsolescence (huisseries, cloisons, installations sanitaires et plomberie, système de chauffage) pourraient être conservés si un niveau de performance environnementale est atteint.
5) Exploiter les socles et les étages élevés des tours
Les propositions dévoilées concernent aussi les usages des tours, qui méritent d’être repensés. Ainsi, l’ouverture au public des pieds d’immeubles, pour y opérer des commerces, des services ou des équipements d’intérêt public, apparaît indispensable à l’amélioration de l’urbanité de La Défense.
L’ouverture au public des pieds d’immeubles […] apparaît indispensable à l’amélioration de l’urbanité à La Défense.
Il s’agit d’éviter les tours « aveugles », qui ne communiquent pas avec l’espace public, tout en augmentant l’intensité d’usage des bâtiments. De la même manière, les étages élevés des tours sont capables d’offrir une expérience inédite au public. Cette proposition repose à la fois sur une prescription réglementaire, via l’inscription dans les PLU d’une sujétion prévoyant l’intégration d’ERP, et sur une incitation opérationnelle et financière, avec la création d’un nouvel outil dédié, à la main de l’aménageur. Cet outil prendra la forme d’une foncière commerciale filiale de Paris La Défense, dotée à sa création de plusieurs actifs emblématiques (Com Square, la Coupole…). En plus de ce portage en propre, il aura pour fonction d’exploiter les surfaces commerciales en pieds et en toit d’immeubles aux côtés des propriétaires.
6) Créer le « Campus Paris La Défense »
L’affectation de surfaces tertiaires à des activités d’enseignement supérieur est une tendance lourde à La Défense, avec une population étudiante de l’ordre de 70 000. Ce phénomène nécessite toutefois d’être coordonné par une politique d’aménagement globale afin d’inscrire la vie étudiante dans la ville et d’éviter de recréer une nouvelle forme de monofonctionnalisme. Un pilotage unifié des enjeux universitaires et de vie étudiante à La Défense permettra d’y parvenir. Un réseau informel réunit déjà PLD et plusieurs établissements d’enseignement supérieur du quartier. L’enjeu sera de le structurer, de cerner les besoins, d’imaginer les services qui pourraient être mutualisés et de favoriser les liens avec les entreprises.
7) Un permis multidestination
Le dispositif du permis d’innover, qui autorise la multidestination, est particulièrement adapté aux enjeux de La Défense : il permettra d’anticiper techniquement et juridiquement tout changement d’usage qui pourrait survenir à l’avenir dans les bâtiments concernés. Cette mesure ne nécessite pas de modification législative ni réglementaire à ce stade, mais requiert une coopération étroite entre l’établissement et les propriétaires souhaitant en bénéficier. L’outil de l’agrément préfectoral pourrait également être utilisé, à la fois comme contrainte et comme incitation.
8) Rapprocher réglementations environnementales et incendie
Actuellement, le principe de précaution qui prévaut dans l’application des règlements incendie sur les IGH contraint fortement les efforts en termes de mixité et de décarbonation. Ainsi, la cohabitation de bureaux et de logements est rendue très complexe par la superposition de leurs règlements spécifiques, l’emploi des matériaux biosourcés en structure est aujourd’hui impossible sauf à coffrer les structures bois par du béton, ce qui en annule le bénéfice environnemental et la végétalisation des tours par des plantations arborées connaît depuis peu un coup d’arrêt. Cette proposition consiste à tester une approche en « effet équivalent » pouvant déboucher à terme sur une évolution réglementaire ou des innovations techniques (ATEX). Dans un premier, cela pourrait prendre la forme d’un partenariat d’ingénierie entre l’aménageur, les opérateurs privés volontaires, l’État et le CSTB, sous forme d’un programme commun de recherche appliqué à un ou plusieurs projets-tests à La Défense, centré sur l’adaptation des immeubles au dérèglement climatique et de conciliation de ces enjeux avec les contraintes de sécurité incendie.
9) L’accès à des disponibilités foncières pour des opérations de rénovation
L’un des principaux obstacles à la rénovation de grands immeubles tertiaires, et à l’introduction de nouveaux usages, réside dans la perte de surface utile générée par les transformations, ce qui dégrade la rentabilité des opérations et conduit à écarter des fonctions pourtant plus utiles sur le plan urbain : résidentiel abordable, équipements ouverts au public, commerce de proximité. Une manière de contourner cet obstacle serait d’accompagner les propriétaires pour réaliser un programme immobilier complémentaire à l’opération de rénovation, à proximité du bâtiment rénové, afin d’y retrouver les surfaces perdues et d’y implanter des services, éventuellement mutualisés ou ouverts sur l’extérieur. L’aménageur proposera aux investisseurs qui s’engagent dans des rénovations-transformations de leurs immeubles en ligne avec les objectifs de Paris La Défense d’avoir accès, dans des conditions facilitées, à des espaces valorisables. Le cadre d’un appel à projets créera une incitation et un effet levier susceptibles d’accélérer l’engagement des opérations.
10) Un fonds de dotation pour dynamiser le territoire
Enfin, la transformation du quartier d’affaires en quartier de vie passera aussi par l’amplification des collaborations entre public et privé au service de la création d’un supplément d’âme du territoire. L’implication des acteurs privés est nécessaire pour dégager les ressources nécessaires, identifier les projets fédérateurs et piloter des interventions diversifiées dont leurs salariés seront les premiers intéressés. À cette fin, Paris La Défense propose la création d’un fonds de dotation devra procéder d’une initiative conjointe entre l’aménageur et un cercle d’opérateurs privés intéressés et représentatifs.