Stratégies

Pierre-Yves Guice : « Il est toujours pertinent de développer des nouveaux projets à La Défense »

Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier

Certaines conjectures prédisaient le temps des tempêtes pour La Défense à l’orée de la pandémie de Covid-19. Deux ans plus tard, force est de constater que le déluge n’a pas eu lieu. Bien que quelques indicateurs, tel que le taux de vacance et des mesures d’accompagnement élevées, bouchent un peu l’horizon, le travail de fond entrepris en faveur de l’attractivité du quartier d’affaires maintient le navire à flot. Républik Workplace Le Média a abordé le timonier de l’établissement public d’aménagement Paris La Défense, Pierre-Yves Guice, afin de connaître son cap.

Pierre-Yves Guice, directeur général de Paris La Défense. - © Sabrina Budon
Pierre-Yves Guice, directeur général de Paris La Défense. - © Sabrina Budon

Comment se portent les principaux indicateurs de marché du quartier de La Défense ?

L’année passée, 205 000 m² ont été pris à bail ce qui représente la meilleure performance depuis 2016. Concrètement, cela signifie que La Défense a enregistré plus de transactions, malgré le contexte économique, les restrictions sanitaires et le télétravail, que lors des années pré-Covid de 2018 et 2019. Les loyers faciaux sur les immeubles neufs sont tirés vers le haut, avec des transactions autour de 550 €/m² sur les actifs prime (+ 10 % en un an), et des niveaux compris entre 350 et 450 € pour les immeubles rénovés ou en état d’usage. Les éléments communiqués par les commercialisateurs indiquent cependant des mesures d’accompagnement significatives. Quant au taux de vacance, il se situe autour de 13-14 % à fin 2021, ce qui traduit une hausse nette, mais pas aussi élevée que ce qui pouvait être prédit. Depuis les livraisons en blanc de 2020, on observe aujourd’hui que la commercialisation des dernières tours comme Alto et Trinity se fait au même rythme qu’avant la crise sanitaire.

Malgré le pic du taux de vacance et une hybridation du travail irrémédiable, développer de nouveaux projets tertiaires à La Défense est donc toujours pertinent ?

Oui, à condition que ces nouveaux projets correspondent aux attentes actuelles et de demain. Il n’y a plus de sens aujourd’hui de faire des bureaux pour faire des bureaux. Il faut être très sélectifs sur les projets développés avec les investisseurs. C’est déjà le cas de ceux lancés au cœur de la crise, comme The Link, Odyssey ou Altiplano. Tous ces projets doivent intégrer l’hybridation des modes de travail : les plateaux doivent être compatibles avec le flex office, permettre le fractionnement entre plusieurs occupants et contribuer à la qualité de vie au travail. En répondant à ces besoins et ces évolutions il est toujours pertinent de développer des nouveaux projets.

Il n’y a plus de sens aujourd’hui de faire des bureaux pour faire des bureaux.

Le quartier bénéficie conjoncturellement d’une offre importante de bureaux disponibles neufs ou de bonne qualité, de loyers économiques ajustés à la baisse. Ces atouts ont permis de profiter de la redéfinition des stratégies d’entreprises, qui ont pour certaines densifié leur présence à La Défense en libérant des surfaces ailleurs, voire ont choisi d’emménager dans le quartier d’affaires en quittant leur implantation dans les villes périphériques des Hauts-de-Seine. C’est le cas, par exemple, des Editions Francis Lefebvre, de Swiss Life et de Vinci. Enfin, il faut rappeler que proposer de « nouvelles » surfaces passe aussi par des réhabilitations, dont on se préoccupe bien plus que par le passé. Cela obéit à des logiques économiques et environnementales.

Dans le contexte de guerre des talents et de quête de sens au travail des jeunes générations de plus en plus engagées, La Défense ne pâtie-t-elle pas de l’inventaire d’entreprises du CAC40 ?

Je pense qu’il demeure dans l’ensemble une adéquation entre les débouchés que proposent les grandes entreprises historiquement présentes à La Défense et les aspirations professionnelles des jeunes diplômés. Ces entreprises ne sont plus, depuis longtemps, enfermées dans un modèle poussiéreux de « capitalisme productif », et proposent de nombreuses opportunités intéressantes en début de carrière. Il n’en reste pas moins vrai que le quartier ne couvre pas certains secteurs d’activité : les startups, l’économie sociale et solidaire, l’économie de la création et des pans entiers de l’économie servicielle sont historiquement absentes de La Défense. Un manque qui peut nuire à la capacité à renouveler la population de collaborateurs.

Des premiers signes montrent que le travail sur la qualité de vie et l’image du quartier porte ses fruits.

On observe cependant des ajustements qui commencent à se faire mécaniquement, grâce notamment à la baisse des loyers et à l’acceptation des propriétaires à découper leurs biens à la location. Des entreprises du luxe, de la technologie et du retail ont commencé à s’installer. En outre, en intervenant directement, l’établissement public peut faciliter le développement d’écosystèmes susceptibles d’attirer les talents. Il y a toute une politique à construire en la matière, mais des premiers signes montrent que le travail sur la qualité de vie et l’image du quartier porte ses fruits.

Vous parlez de premiers signes montrant que La Défense s’ouvre à d’autres acteurs que les grandes entreprises. Quels signes ?

Deux exemples récents prouvent cette dynamique d’ouverture. Le premier, c’est l’inauguration du campus Cyberdéfense, cet incubateur dédié à la cybersécurité regroupant des universités, des startups, des coworkers et des grandes entreprises. Les 26 000 m² ont été entièrement loués avant la livraison, et les utilisateurs finaux seront très majoritairement des jeunes générations. La seconde illustration concerne les prospections et les choix d’implantation d’établissements d’enseignement supérieur au profit de La Défense. L’immeuble Cœur Défense va accueillir à la rentrée prochaine 3 500 étudiants d’une antenne du groupe Omnes. Si une grande partie du chemin reste devant nous, La Défense se montre tout de même déjà capable d’attirer les moins de 25 ans.

En tant qu’aménageur, comment pouvez-vous concrètement agir sur l’image du quartier et sur l’évolution des espaces de travail ?

Notre action se décompose de trois manières principales. D’abord, par notre mission de base sur l’espace public et les infrastructures. Paris La Défense a entrepris depuis quelques années un grand plan d’investissement pour le renouvellement de ces infrastructures, et nous sommes en train de l’accélérer et de le verdir. Cela se traduit par l’aménagement de 6 km de pistes cyclables, la transformation du boulevard circulaire en boulevard urbain ou encore la végétalisation du parvis piétonnier avec la création du plus grand parc urbain sur dalle de France. Le deuxième volet concerne l’économie servicielle, qui accompagne l’immobilier de bureau, pour faire de ce quartier un lieu de vie. Notre établissement public agit soit en accompagnement de projets privés, soit en maitrise d’ouvrage, pour enrichir l’offre de services, de la restauration à la santé, en passant par la culture.

Des freins structurels à la mixité d’usages existent bel et bien en France.

Enfin, nous agissons sur les projets immobiliers eux-mêmes, en dialoguant avec les porteurs de projets. Afin d’accélérer la prise en compte des nouvelles attentes, Paris La Défense a décidé d’engager en 2022 une initiative publique, avec le lancement de l’appel à projet baptisé Empreintes. Celui-ci portera sur cinq sites non bâtis dont nous sommes propriétaires et inclura un cahier des charges précis auquel devront répondre les opérateurs (investisseurs, promoteurs, constructeurs et architectes). Les projets devront répondre aux enjeux d’actualité : la mixité fonctionnelle, l’évolutivité des espaces de travail, la qualité environnementale ou l’insertion urbaine avec les villes limitrophes. 

Diriez vous que le manque de mixité d’usages traduit un frein idéologique franco-français ?

Des freins structurels existent bel et bien en France. Un frein psychologique, d’abord, au sujet de l’habitat de grande hauteur, puisque l’expérience des grands ensembles après-guerre n’a pas laissé un bon souvenir et que les opérations privées menées à Beaugrenelle ou Place d’Italie à Paris n’ont pas été une franche réussite. S’ajoutent à cela des considérations réglementaires spécifiques à la France, qui ont bien sûr leur intérêt car le pays n’a pas connu de catastrophes majeures telles que l’incendie de la tour Grenfell à Londres en 2017. Le revers est que le logement dans des tours coûte extrêmement cher en charges pour le fonctionnement. Et puis le contexte spécifique d’un quartier d’affaires fait qu’il a, pendant longtemps, été est plus rentable économiquement d’investir dans des projets tertiaires que dans du résidentiel. Ces facteurs psychologiques et économiques du côté des particuliers et des investisseurs peuvent s’accompagner d’interrogations quant à la difficulté, tout à fait réelle, d’intégrer de grands ensembles de logements en matière de services publics pour une municipalité. De fait, il n’y a eu aucun développement d’habitation durant plus de 30 ans dans le périmètre du quartier d’affaires.

Tous les leviers doivent être actionnés en même temps si nous voulons réussir la transition énergétique du quartier.

Néanmoins, une inflexion s’observe depuis quelques années, avec le développement de résidentiel géré, principalement de résidences étudiantes. À la suite de la pandémie, un certain nombre de facteurs, sur le raisonnement économique des investisseurs et la vision des équilibres urbains souhaitables pour La Défense, ont évolué, d’où l’émergence de projets d’hébergement à destination de tous les utilisateurs. Le projet Odyssey, porté par Primonial REIM en lieu et place des Miroirs, prévoit par exemple d’inclure des surfaces réversibles entre bureau et logement géré.  

Au-delà de la végétalisation de la promotion de la mobilité douce, l’ambition « post carbone » que vous portez passe-t-elle aussi par le mix énergétique des bâtiments ?

Oui, cela fait même partie des initiatives concrètes déjà lancées. Nous avons mis en place cette année une déclinaison du championnat de France des économies d’énergie, une démarche animée par l’Ifpeb et le ministère de la Transition écologique. Cela consiste en la création d’une communauté de gestionnaires et de propriétaires immobiliers mis en compétition de manière ludique sur leurs consommations d’énergie. Nous menons un également un effort de modernisation des infrastructures.

On trouve de plus en plus de raisons de rester à La Défense après le bureau.

La Défense est notamment alimentée par un réseau de chauffage urbain dont la conversion aux matériaux biosourcés est en cours. De toute les manières, agir sur les émissions carbonées nécessitent une approche globale : le dernier bilan scope 3 que nous avons dressé montre que tous les leviers doivent être actionnés en même temps si nous voulons réussir la transition énergétique du quartier. Cela comprend la construction, les usages, les mobilités, les services… C’est à cette seule condition que nous serons à la hauteur de notre ambition de diviser par deux l’empreinte carbone de La Défense d’ici 2030.

En somme, La Défense sort plutôt grandie de l’épreuve actuelle ?

La Défense n’est plus la même ! Certes les fondamentaux sont toujours là : excellente connexion en transports en commun, une offre immobilière de premier plan bien plus abordable que dans Paris, et un niveau de service inégalé en banlieue parisienne. Cependant, le quartier est bien plus ouvert que par le passé. Il s’est ouvert aux PME et ETI avec des surfaces proposées plus diversifiées qu’avant. Il a également su accueillir des populations venues de tous horizons : étudiants, startupers, coworkers… Le cliché du business man en costume sombre est de moins en moins vrai. Et puis on ne fait pas que travailler : la plus grande salle de spectacles d’Europe, un centre commercial d’envergure régionale, de nombreux restaurants et bars… On trouve de plus en plus de raisons de rester à La Défense après le bureau.

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