L’heure de gloire du bureau opéré
Par Alexandre Foatelli | Le | Environnement de travail
Ils sont assurément sortis renforcés de la crise sanitaire. Les opérateurs de coworking, et au sens large de tiers-lieux, connaissent un certain succès, même si les volumes pris à bail restent plus faibles qu’avant crise. Mais plus encore que dans leurs propres espaces, ces acteurs viennent désormais opérer directement chez les entreprises, leur apportant l’optimisation des surfaces et l’offre de services dont elles ont besoin. Une offre servicielle qui est aussi au cœur de la stratégie des foncières et de certains constructeurs. Il est venu le temps des bureaux opérés.
Au bon endroit, au bon moment. En vogue depuis une dizaine d’années, le coworking a fourbi ses armes, s’est développé dans les grands centres urbains et a trouvé son public. En témoigne les 1 700 espaces recensés en France par NCT en 2019 et les 3,4 millions d’utilisateurs recensés dans le monde par IWG la même année. Puis la pandémie de Covid-19 a fait craindre le pire pour le marché du coworking, déjà échaudé par les déboires de WeWork quelques mois plus tôt. Deux ans après, force est de constater que, après une phase délicate entre fermetures contraintes et pénuries de revenus locatifs, le modèle semble reprendre des couleurs. Au T4 2021, la région Île-de-France compte 715 000 m² d’espaces de bureaux en coworking si on se réfère au dernier baromètre Evolis sur le sujet. De son côté, IWG a enregistré une croissance de 53 % du nombre d’utilisateurs en 18 mois. Mais plus encore que le regain de vitalité du coworking, c’est une autre tendance de fond qui se dessine : le bureau opéré. Le sens de l’Histoire pour plusieurs précurseurs des tiers-lieux, qui se lancent désormais à l’assaut des locaux des entreprises pour rationaliser leurs surfaces et apporter une brique de services devenue une condition sine qua non de l’attractivité.
Tous opérateurs
Le mois dernier, Christophe Burckart, patron de IWG France, nous confiait « croire en un rééquilibrage dans les parts de marché » entre un marché des espaces de travail opérés représentant aujourd’hui 2 % de l’ensemble des surfaces. JLL avance que ce segment pourrait représenter 30 % en 2030. Un modèle appeler à se développer car le recours à des opérateurs permet à la fois de déléguer la gestion des services, d’apporter une dose de flexibilité pour les entreprises, tout en sauvegardant l’intérêt des propriétaires qui ont besoin d’engagements à long terme.
Selon JLL, les espaces de travail opérés pourraient représenter 30 % en 2030.
Pour les TPE/PME, où le directeur général regroupe bien souvent les fonctions de directeur immobilier et des services généraux, choisir un bureau opéré s’avère très utile pour pouvoir se reconcentrer sur leur cœur d’activité.
« Au plus fort de la crise sanitaire, Hiptown a récupéré des entreprises-clientes TPE/PME qui étaient chez d’autres coworkers et cherchaient à réduire leurs dépenses, ou des entreprises qui ont réduit leurs surfaces. À la sortie des périodes de confinement, certaines grandes entreprises, dont une bonne partie de leurs collaborateurs sont en télétravail, se retrouvent avec des mètres carrés pas ou sous utilisés. Pour répondre à leur problématique, nous avons créé l’offre Résilience pour opérer et commercialiser des postes de travail dans leurs immeubles pour leur compte », indique Ludovic Célérier, cofondateur d’Hiptown, lancée fin 2018 et qui a ouvert son premier site en janvier 2020 à Marseille. Un contexte très porteur puisque l’activité de bureau opéré est « devenue majoritaire dans notre chiffre d’affaires », précise Ludovic Célérier. Parmi les autres acteurs à s’être lancés dans la gestion d’espaces pour le compte des entreprises, Comet Meetings a annoncé la signature avec trois grands propriétaires pour son offre « Hospitality by Comet », une panoplie de services permettant de mieux valoriser les immeubles de bureaux.
Si le Covid a, une nouvelle fois, servi d’accélérateur, l’idée pour les entreprises de confier la gestion d’une partie de leurs locaux n’est pas neuve. Par exemple, le spécialiste des séminaires Chateauform’ a lancé cinq ans auparavant son concept @Home, avec une première signature au sein de l’iconique campus de la Société Générale à Val de Fontenay, les Dunes. D’autres réalisations ont suivi, telles que Le Metropolitan à Paris 17e et le Campus EMEA de Deloitte à Val d’Europe qui doit ouvrir cette année. La pandémie et ses conséquences sur les modes de travail ont cependant donné une nouvelle impulsion, en redéfinissant l’usage du bureau. « Depuis la crise sanitaire, le bureau devient encore plus un lieu de sociabilisation, destiné au travail collaboratif, mais pas uniquement. Sur nos séminaires d’entreprise, on observe que la dimension sociale prend le pas sur le travail. On pourrait imaginer qu’à terme, les talents des entreprises viennent au bureau sans leur ordinateur, seulement pour échanger avec leurs collègues, et que toutes les tâches de production, administratives ou répétitives seront réservées aux deux à trois jours de télétravail dans la semaine », anticipe Jean-Baptiste Hue, directeur du développement Home & New Business chez Chateauform'.
Approche globale
Ce mouvement des opérateurs de tiers-lieux vers la gestion des espaces pour les entreprises n’est que la partie émergée de l’iceberg, car la tendance s’étend même à une gestion de A à Z des immeubles. Avec @Home, Chateauform’ accompagne aussi les promoteurs et les propriétaires dans leur stratégie. « Nous avons déjà mener des missions de conseil auprès d’entreprises comme TotalEnergies ou L’Oréal. Notre accompagnement s’étend de l’analyse de marché pour déterminer l’emplacement à la gestion administratives des contrats de FM, en passant par l’aménagement des espaces et la définition des services attendus », explique Jean-Baptiste Hue.
Officity regroupe 240 solutions autour des espaces de travail.
D’autres vont même plus loin, en démarrant l’accompagnement dès la conception de l’immeuble. C’est le sens de la démarche Officity, lancée par Bouygues Construction. Cette démarche s’appuie sur l’ensemble des entités du groupe (Bouygues Bâtiments, Bouygues Energies & Services, Linkcity…) et constitue une boite à outils centrée sur les enjeux qui se posent aujourd’hui à l’immobilier de bureau, de la conception réversible à l’attractivité des espaces, en passant par l’aspect environnemental. Celle-ci regroupe 240 solutions autour des espaces de travail, avec un focus plus approfondi sur environ 35 d’entre elles qui font l’objet d’accords de coopération. « Nous avons par exemple des partenariats avec des opérateurs pour intensifier les usages sur des surfaces de bureaux qui sont sous-utilisées exploitées, une approche rendue pertinente par le prix des mètres carrés et la massification du télétravail. Sur le volet environnemental, Officity embarque une batterie de solutions pour réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment, par exemple autour de l’économie circulaire, qu’il s’agisse des revêtements de sol, de l’isolation ou des peintures », cite Fabrice Poline, responsable marketing stratégique chez Bouygues Construction. Ainsi, Bouygues Construction ambitionne d’intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’immobilier de bureau.
Les foncières aussi ont bien compris l’utilité de proposer aux utilisateurs une gestion déléguée des services et des espaces partagés. Avec sa marque YouFirst bureau, Gecina s’appuie d’abord sur un accompagnement humain délivré par les YouFirst Managers - présents sur une dizaine d’immeubles et qui seront développés sur un total de 15 sites à fin 2022. « Ces managers permettent de personnaliser l’offre de services et d’orienter les demandes des utilisateurs. Ils sont les chefs d’orchestre de la vie de l’immeuble », décrit Arnaud Violette, directeur commercial bureau chez Gecina. Un travail commun avec les locataires permet de définir les services qui seront proposés. « Nous proposons un socle commun avec les services d’accueil, de restauration, de maintenance et de conciergerie. C’est un indispensable avant de penser à lancer des services additionnels. De même, la présence humaine dans l’immeuble et l’ancrage dans le quartier sont au moins aussi importants que les services proposés », souligne Arnaud Violette.
Services et optimisation
Fin 2021, la foncière - disposant d’un patrimoine de bureaux de 1 500 000 m² situés principalement dans Paris et le Croissant Ouest - a décidé d’y adjoindre une application mobile, en signant un partenariat avec HqO. « L’application permet aux collaborateurs d’entrer dans leur immeuble avec son smartphone, d’accéder au service de restauration et de conciergerie, de réserver des salles de réunion, d’entrer en relation avec le YouFirst Manager, de déclarer des incidents ou encore d prévenir l’accueil de l’arrivée d’un visiteur. En outre, l’application doit permettre une ouverture sur le quartier, en indiquant les bonnes adresses de restaurants ou les salles de sport autour de l’immeuble. Nous travaillons sur ce sujet pour que les entreprises puissent proposer à leurs salariés des services à la fois internes et externes », détaille Arnaud Violette. Ainsi, l’offre de services se trouve augmenté par une ouverture sur le quartier, contribuant de faire des immeubles de bureau des destinations moins fermées sur elles-mêmes.
L’accompagnement des opérateurs permet aussi aux entreprises de mieux optimiser leur patrimoine, pas uniquement les mètres carrés d’un immeuble. « Les implantations en Régions peuvent servir de variables d’ajustement aux grandes entreprises pour rationaliser leur consommation de mètres carrés. Quand un siège francilien est pris à bail pour longtemps, l’entreprise peut difficilement se permettre de lâcher des surfaces. En revanche, elle peut aller de la flexibilité en Régions, en migrant dans un tiers-lieu ou en choisissant de confier ses surfaces à un opérateur », décrypte Ludovic Célérier.
Avec des offres globales, cette optimisation est même possible à long terme. « Nous mettons en place des solutions technologiques et servicielles pour rendre nos projets durables et évolutifs dans le temps, met en avant Fabrice Poline. En outre, pouvoir potentiellement intervenir sur un projet de sa conception à son exploitation permet d’assurer un meilleur suivi. Par exemple, quand un constructeur intègre les systèmes de ventilation et de climatisation, les paramétrages ne seront pas forcément en adéquation avec les attentes du facility manager qui va assurer l’exploitation. Une approche intégrée permet d’impliquer le facility manager très tôt dans le projet, surtout s’il fait partie de notre écosystème, ce qui évite de devoir reprendre des aménagements techniques au moment de la livraison », appuie-t-il.
Ambitions
À la lumière des intérêts croisés des propriétaires, des utilisateurs et des collaborateurs, le modèle du bureau opéré a clairement le vent en poupe. Chateauform’ @Home vise la signature de cinq nouveaux contrats par an, et recherche des partenariats à grande échelle avec les foncières pour homogénéiser la qualité de services dans leur parc. En parallèle, le spécialiste des séminaires nourrit des ambitions sur le développement de campus d’entreprises, à l’image de ses réalisations pour Deloitte et Pernod Ricard. « Afin d’attirer les talents, certaines entreprises créent des campus pour former directement leurs futures équipes. Ces projets rentrent totalement dans notre scope et nos savoir-faire », abonde Jean-Baptiste Hue.
Pour Hiptown, cette année sera celle d’une ambition clairement affichée : estimé à 2 millions d’euros en 2021, le chiffres d’affaires visé est de 6 millions d’euros. Sur le volet bureau opéré, qui pèse pour 25 % du CA de la PME, l’objectif est d’ouvrir deux nouveaux espaces par mois d’ici la fin de l’année. De son côté, Gecina compte se placer comme l’interlocuteur privilégié entre ses clients locataires et son écosystème de prestataires de services. L’ambition sur 2022 est de développer l’application YouFirst Bureau sur une quinzaine d’immeubles représentant 360 000 m², et un plan de déploiement jusqu’en 2025 prévoit entre 250 000 et 300 000 m² supplémentaires opérés par l’application chaque année.
Qu’on se le dise, le bureau opéré a un bel avenir devant lui.
Touche pas à mon DET !
Avec l’offensive des bureaux opérés, quel avenir se dessine pour les directeurs Environnement de travail (DET) ? Entre spectre d’intervention réduit et facilitation de la gestion des espaces de travail, où se place le curseur ? Verbatims.
Jean-Baptiste Hue, directeur du développement Home & New Business chez Chateauform'
« Pour les DET, Chateauform’ @Home est une passerelle entre eux et les prestataires, qui leur permet de rationaliser leur temps et leur coût et n’ayant qu’un seul interlocuteur au lieu de six ou sept contrats. Le directeur Environnement de travail devient un partenaire pour lequel nous sommes apporteur de solutions. »
Ludovic Célérier, cofondateur d’Hiptown
« Après la négociation des contrats avec le directeur général, nos interlocuteurs en phase opérationnelle sont principalement les DRH. On a tendance à s’intégrer au sein des entreprises pour lesquelles nous opérons. »
Arnaud Violette, directeur commercial bureau chez Gecina
« Nous sommes là pour faciliter la vie des DET, sans leur imposer telle ou telle prestation. Ils sont tenus au courant lorsque nous déployons l’application sur leur immeuble et accompagnés sur la manière de communiquer auprès des collaborateurs. Nous sommes également à l’écoute de leurs besoins, dans un contexte de guerre des talents où les services doivent répondre aux demandes primaires des collaborateurs, et ainsi améliorer leurs expériences au sein de nos espaces de vie et de travail. »