C. Burckart : « L’intégration d’espaces gérés par un opérateur deviendra une norme »
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
D’abord durement frappés par les restrictions sanitaires dues au coronavirus, les opérateurs de coworking et autres bureaux flexibles ont tiré leur épingle du jeu au sortir des confinements stricts. Leur croissance exponentielle semble annoncer l’avènement d’un nouveau modèle, où les grands groupes délègueront de plus en plus la gestion opérationnelle de leur immobilier. Christophe Burckart, directeur général de IWG France, apporte son analyse et sa vision sur l’avenir des tiers-lieux.
Quel est le bilan de l’année 2021 pour IWG France ?
Cette année a été riche d’un enseignement : le bureau n’est pas mort ! Il se montre au contraire bien plus résilient que ce qu’on pouvait imaginer. Pour preuve, notre point le plus bas en termes de taux d’occupation sur les 18 derniers mois a été de 68 %. Alors même que beaucoup de nos clients ont respecté les consignes sanitaires et ne venaient pas tous systématiquement sur site, ils ont tout de même, pour la grande majorité, renouvelé leurs contrats. En échangeant avec eux, ils mettent en avant le fait que le bureau représente un lieu de socialisation pour leurs équipes, indispensable à leur engagement dans l’entreprise et dont ils voulaient pouvoir disposer à la sortie des périodes de confinement. Notre taux d’occupation a désormais retrouvé son niveau d’avant crise.
La moitié de notre commercialisation en 2021 s’est faite avec de nouveaux clients, qui ont souhaité abandonner le modèle rigide du bail commercial conventionnel.
En 2021, nous avons bénéficié d’un effet vaccination à partir d’avril-mai, au moment où la population s’est sentie armée pour reprendre une vie proche de la « normale ». Cet effet a d’abord concerné les TPE-PME, puis les grandes entreprises à compter de septembre. Nos chiffres de commercialisation ont battu des records depuis le printemps dernier, avec une croissance supérieure à 60 % par rapport au référentiel pré-Covid de 2019. Au niveau du groupe, alors que nous avions mis 30 ans à rassembler 3,4 millions d’utilisateurs de nos espaces dans le monde à la fin 2019, nous sommes aujourd’hui passés à 5,2 millions en 18 mois. Soit une croissance de 53 % !
Sur quels éléments ont reposé vos bons résultats ?
Cette croissance s’appuie sur deux leviers. D’abord, les entreprises ont tiré des enseignements des crises économiques, des cycles de croissance et désormais des pandémies : il leur faut être agiles et donc flexibiliser leurs engagements immobiliers. La moitié de notre commercialisation en 2021 s’est faite avec de nouveaux clients, qui ont souhaité abandonner le modèle rigide du bail commercial conventionnel. Le second levier a été le télétravail, que peu d’entreprises peuvent réfuter aujourd’hui. Certaines d’entre elles sont allées plus loin qu’un modèle simpliste combinant des jours de travail à domicile et de présence dans les bureaux, en intégrant des options de tiers-lieux dans leur dispositif. Nous avons signé beaucoup de contrats avec des entreprises - telles que Dell, Cisco ou l’entreprise de télécom nipponne NTT - dont les collaborateurs sont devenus membres du réseau IWG en France et dans le monde, ce qui leur permet d’accéder à nos 3 500 espaces en fonction de leur besoin, avec une facturation à l’usage.
L’offre de services est-elle devenue primordiale dans votre activité d’opérateurs ?
Depuis 2014-2015, les services de restauration, de sport et de bien-être sont arrivés en masse sur notre marché et se sont ajoutés à la brique de base des services généraux (Internet, accueil, ménage). Il est intéressant de noter qu’un certain nombre de services au sein des espaces de travail émane aujourd’hui non pas de l’opérateur, mais des utilisateurs eux-mêmes. C’est le cas sur nos centres avec des applications pour faire du troc ou pour récupérer des paniers repas par exemple. Il faut maintenant aller plus loin… et c’est le sens du partenariat signé entre IWG et l’Accor Arena, où nous allons opérer certains de leurs espaces laissés souvent vacants, tout en s’appuyant sur la stratégie de prestations de services de ce lieu événementiel. Au lieu de faire entrer le service dans nos centres, nous en implantons un au cœur d’un panel déjà établi.
Autre exemple sur notre centre Stop & Work du plateau de Saclay, qui propose un écosystème d’entreprises de 6 000 m2. Il dispose d’un centre événementiel à la disposition des utilisateurs du site et des environs. Le premier étage est un incubateur pour amorcer les projets entrepreneuriaux, tandis que le deuxième niveau est une pépinière destinée aux entreprises en recherche de financements et poursuivant leur développement. Enfin, le reste des étages propose un centre d’affaires flexible plus classique permettant aux sociétés arrivées à maturité de potentiellement travailler avec de nouvelles startups intégrant le lieu. Le tout propose des services dédiés, comme un Media Lab ou un centre de réalité virtuelle.
Pensez-vous que les entreprises finiront par déléguer la gestion de leur environnement de travail à des opérateurs tels que IWG ?
Tout à fait. Le marché des espaces de travail opérés représente aujourd’hui 2 % de l’ensemble des surfaces, et je crois en un rééquilibrage dans les parts de marché. JLL prédit que ce segment pourrait représenter 30 % d’ici 2030. Je pense que l’intégration d’espaces opérés par un opérateur deviendra une norme pour les grandes entreprises, mais qu’elles auront toujours besoin de lieux qui leur appartiennent comme le siège social, constitutif de l’identité de la marque employeur. C’est ce que fait notamment Oracle, qui conserve son siège à Colombes, tout en migrant tout le reste de ses implantations au sein du réseau IWG. Pour les TPE-PME, le besoin de louer elles-mêmes leurs sites est moins prégnant, et un certain nombre pourraient ne passer que par des opérateurs. IWG a notamment accueilli le siège social de L’Express, qui est passé d’un espace conventionnel de 3 000 m2 à 650 m2 de bureaux chez nous, en jouant sur la flexibilité de nos offres.
L’ambition est de dépasser les 1 000 centres sur le territoire à l’horizon 2030, en partant des 130 répartis dans 76 villes que nous opérons déjà.
Ce modèle se développera d’autant plus que le recours à des opérateurs permet à la fois de déléguer la gestion des services, d’apporter une brique de flexibilité pour les entreprises, tout en sauvegardant l’intérêt des propriétaires puisque nous prenons des engagements à long terme. A l’instar de ce qui se fait dans l’hôtellerie, où les actifs sont possédés par des investisseurs et l’activité est gérée par des opérateurs.
Quels objectifs se fixe IWG France pour l’avenir ?
Nous nous projetons vers une normalisation de notre taux d’occupation, à hauteur de 90 à 92 %. En parallèle, nous avons réenclenché le développement de notre réseau : nous avons retrouvé notre rythme pré-Covid avec l’ouverture d’un centre par mois depuis le début de l’année 2021, et nous allons l’accélérer. L’ambition est de dépasser les 1 000 centres sur le territoire à l’horizon 2030, en partant des 130 répartis dans 76 villes que nous opérons déjà. Notre développement sera pour un tiers organique et pour deux tiers se fera avec des partenaires franchisés locaux qui apporteront leurs leviers de financement.