Stratégies

Les acteurs de La Défense se dotent d’une vision pour le quart de siècle à venir


Démarche singulière, la vision « La Défense 2050 » est à l’initiative d’un groupement de cinq investisseurs historiques du quartier d’affaires. Bâtie sur le travail pluridisciplinaire d’experts et de concepteurs, ainsi que la consultation des parties prenantes du quartier, celle-ci se décline en 15 propositions regroupées dans trois visions : stratégique, urbaine et programmatique. Après plusieurs années de réflexions, ce moment entend marquer le coup d’envoi du passage à l’action pour transformer ce site emblématique.

Le groupement La Défense 2050 propose une vision pour l’avenir du quartier en 2050. - © myluckypixel
Le groupement La Défense 2050 propose une vision pour l’avenir du quartier en 2050. - © myluckypixel

Après les Etats généraux de la transformation des tours en 2023 et une démarche réflexive menée par l’Association des utilisateurs de La Défense (Aude) en 2024, La Défense et tous ses acteurs (utilisateurs, aménageurs, investisseurs, pouvoirs publics) font consensus autour d’une ambition commune sur l’avenir du premier quartier d’affaires de France et d’Europe.

Au terme d’une année de travail, la vision « La Défense 2050 » a fait l’objet d’une méthode collaborative inédite : sous l’impulsion de cinq investisseurs historiques — Allianz France, Axa IM Alts, Groupama Immobilier, Société Générale, Unibail-Rodamco-Westfield — des experts pluridisciplinaires et des concepteurs de projets, coordonnés respectivement par Impulse Partners et Madeleine Masse, ont œuvré à définir un cap vers l’horizon 2050. Pas moins de 16 personnalités (architectes, urbanistes, historiens, neuroscientifiques, économistes, juristes, prospectivistes) se sont mobilisés, dont le sociologue Jean Viard, le Grand prix de l’urbanisme 2022 Franck Boutté et le prix Pritzker Christian de Portzamparc.

Ce cap se décline en 15 propositions qui composent une vision stratégique, urbaine et programmatique, et a été présenté le 5 mars devant 300 invités, parmi lesquels le préfet des Hauts-de-Seine Alexandre Brugère, le président du département Georges Siffredi et le directeur général de Paris La Défense Pierre-Yves Guice.

Pourquoi il faut sauver le soldat La Défense ?

Alors que toutes les réflexions sur le quartier d’affaires s’accordent sur le fait que l’entrée dans la décennie 2020 a marqué un tournant (crise sanitaire, remontée des taux d’intérêt, télétravail, prise de conscience croissante du changement climatique…), faut-il encore investir dans ce morceau d’Ile-de-France ? Le modèle des CBD monofonctionnels est à bout de souffle, le parc des tours est vieillissant — 1 million de mètres carrés seront considérés comme vétustes d’ici dix ans selon Paris La Défense —, la transition environnementale exige de la sobriété dans les nouvelles constructions, sur un foncier qui de toute façon ne regorge plus de beaucoup de ressources… sous bien des aspects, La Défense semble tout simplement être anachronique.

Cependant, les contributeurs de la vision « La Défense 2050 » soulignent aussi toutes les raisons de continuer à agir et à investir dans l’avenir du quartier. D’abord, ce site bénéficie d’une situation exceptionnelle en termes d’accessibilité. Fruit d’un investissement public de 5 milliards d’euros entre 2016 et 2031 pour l’extension de la ligne Éole et la création de ses deux nouvelles gares, ainsi que la construction de la ligne du Grand Paris Express et de sa future gare La Défense-Puteaux. En 2031, le quartier sera accessible en moins de 30 minutes par 3,8 millions de personnes, un niveau qui le place très loin devant les autres quartiers d’affaires internationaux comme La City, Manhattan, le Loop à Chicago, Shinjuku à Tokyo ou Pudong à Shangai.

Ensuite, la nécessaire restructuration des tours de première génération peut être regardée comme un verre à moitié plein, avec l’opportunité de moderniser le parc de bureaux existant et, surtout, pour en faire muter une partie vers de nouveaux usages : commerces, hôtellerie, enseignement supérieur, logement. Ces investissements de restructuration sont estimés à 4 milliards d’euros, sur la base de l’hypothèse d’un coût de travaux de 4 000 euros/m². S’y ajoute un potentiel d’un milliard d’euros a minima d’investissement en construction neuve, lié en particulier au concours Empreintes, soit un potentiel minimal total de 5 milliards d’euros d’investissements privés dans les dix ans.

En outre, La Défense a paradoxalement une carte à jouer dans l’adaptation climatique. Dans un scénario à +4 degrés d’ici 2050, La Défense - malgré sa minéralité - possède un potentiel bioclimatique intrinsèque : bassins d’eau et couloirs de vents qui rafraîchissent en été, tours qui ombragent, sous-sols constituant des refuges climatiques naturels, dalles qui peuvent être déposées pour se voir remplacées par de la pleine terre et des plantations.

La dette carbone de La Défense nous oblige à ne pas abandonner le quartier, Franck Boutté.

A minima, 10 hectares pourraient ainsi être végétalisés. Et comme le note Franck Boutté : « La dette carbone de La Défense nous oblige à ne pas abandonner le quartier ». En d’autres termes : tant de ressources ont été utilisées pour bâtir ce site qu’il serait contre-productif de ne pas continuer à en faire quelque chose.

Quant à l’aspect multifonctionnel que doit développer La Défense pour renforcer son attractivité, le groupement La Défense 2050 estime qu’il nécessite de créer ou transformer 4 hectares d’espaces publics. Selon ses estimations, cela requiert 500 millions d’investissements publics sur 10 ans, soit 50 millions d’euros par an, l’équivalent de 12 % des recettes fiscales générées chaque année par les propriétaires et les occupants du quartier d’affaires (412 millions d’euros en 2023).

Triple vision

Vision stratégique : faire un hub européen de l’innovation

Dans la lignée du rapport Draghi, l’Europe cherche à renforcer son autonomie stratégique. Or, La Défense possède les ressources effectives pour recevoir des programmes européens de plusieurs milliers de personnes. Le quartier forme déjà 300 000 personnes par an (70 000 étudiants, 230 000 professionnels) dans 52 établissements d’enseignements supérieurs et compte 40 % des entreprises du CAC 40, dont des leaders mondiaux de l’énergie, la construction, la finance, la santé et le cyber. Le groupement La Défense 2050 propose une vision stratégique qui repose sur un changement d’échelle, en passant de l’opération d’intérêt national des origines à une opération d’intérêt européen.

Cette ambition passe notamment par la création de deux grands clusters européens, sur le modèle du Campus Cyber : le centre européen de l’intelligence artificielle et le campus du climat et de l’énergie décarbonée. Pour attirer des antennes d’universités internationales, le groupement propose de créer une marque « Campus La Défense », agrémenté par la constitution d’une vie de campus avec 115 000 m² de logements étudiants, restauration, bâtiment d’étude mutualisé, lieux festifs, équipements sportifs.

En outre, un vaste Incubateur est perçu comme le chaînon manquant pour rapprocher les grands groupes et les acteurs académiques. Face à l’absence à La Défense de lieu de gratuité ouvert au public en matière de savoir et d’innovation, La Défense 2050 suggère de créer aussi une Université ouverte, qui aurait pour mission de diffuser, gratuitement, toute l’année, des cours ouverts à tous. Celle-ci prendrait place dans un bâtiment du nouveau parvis de la Grande Arche.

Vision urbaine : un quartier plus habitable, plus connecté, plus vibrant

Pour ce qui était à l’origine une opération d’intérêt national (OIN), le groupement note que La Défense souffre depuis quelques décennies d’un relatif désintérêt national. L’ambition de la vision stratégique ne pourra se faire sans un regain d’attractivité et de sentiment d’attachement de ses usagers. Pour changer radicalement l’image et l’expérience utilisateur du quartier d’affaires, La Défense 2050 a sollicité quatre agences d’urbanisme et d’architecture qui ont travaillé collectivement. Ainsi, les propositions architecturales qui en découlent, élaborées par 2Portzamparc, Maud Caubet Architectes et Syvil architectures s’articulent dans une vision commune du territoire suivant un plan d’ensemble cohérent réalisé par Atelier Soil, un masterplan bioclimatique pensé pour préparer 2050 dès maintenant.

Les 4 propositions architecturales pour une nouvelle expérience de La Défense.  - © Atelier Soil
Les 4 propositions architecturales pour une nouvelle expérience de La Défense. - © Atelier Soil

Masterplan bioclimatique à horizon 2050 de La Défense. - © Atelier Soil
Masterplan bioclimatique à horizon 2050 de La Défense. - © Atelier Soil

Elles sont concentrées sur quatre lieux hautement stratégiques : le nouveau parvis, la place de La Défense qui devient « le Forum », le jardin d’aventure, La Défense sur Seine (les berges et la traversée vers Paris). Toutes ont en commun de rendre La Défense plus attirante, c’est-à-dire mieux adaptée au changement climatique et plus accueillante, plus connectée, plus intense et plus vibrante.

Le Nouveau Parvis de la Grande Arche, proposé par 2Portzamparc, s’inspire de la confi­guration d’un cloître : au centre, deux vastes pelouses, encadrées par deux galeries couvertes de 100 mètres de long, elles-mêmes surmontées de bâtiments bas. À la fois lieu événementiel et « place du village », elle sera le pendant de Paris La Défense Arena avec une programmation événementielle 300 jours par an. La sortie du RER et du métro se fera par une ouverture majestueuse au centre de la dalle, permettant aux voyageurs sortant de la gare de découvrir la Grande Arche plein cadre

Le Nouveau Parvis - © 2Portzamparc - myluckypixel
Le Nouveau Parvis - © 2Portzamparc - myluckypixel

Dans le prolongement du parvis, le Forum conçu par Syvil sera un nouveau cœur multimodal au centre de La Défense, conçu autour d’une vaste cour ouverte, au niveau du sol naturel, dix mètres en contrebas de la dalle, accueillant un parc arboré bordé de terrasses qui deviendra un îlot de fraîcheur naturel en été. Syvil propose de récupérer des espaces de sous-sol et de parking entre la dalle et le niveau naturel du sol, aujourd’hui inexploités. Le forum desservirait ces espaces qui représentent 15 500 m² créés à partir de l’existant sans construction neuve.

Le Forum conçu par Syvil - © Syvil architectures - myluckypixel
Le Forum conçu par Syvil - © Syvil architectures - myluckypixel

Chaînon-clé de la nouvelle composition de la dalle de La Défense et complément du dispositif paysager de l’esplanade déjà engagé par Michel Desvignes, le Grand jardin d’aventures imaginé par l’Atelier Soil se présente comme le premier grand parc bioclimatique urbain de France, livré d’ici 2030. Ce refuge climatique deviendra aussi un lieu de ressourcement et de loisirs à l’échelle du quartier et de la Métropole : il s’équipera d’un grand parcours ludique, des dispositifs de jeux pour les enfants de tout âge, des promenades avec assises protégées pour les personnes âgées, des parcours de santé pour les salariés et les riverains, des terrasses avec vue, des clairières à pique-nique pour les touristes.

Le Grand jardin de La Défense - © Atelier Soil - myluckypixel
Le Grand jardin de La Défense - © Atelier Soil - myluckypixel

Et puis, qui sait que La Défense a les pieds dans la Seine ? Le quartier a toujours surplombé le fleuve sans jamais dialoguer avec lui, au point de disparaître de la carte mentale des usagers du quartier. Redonner accès à la rive et à la fraîcheur du fleuve et créer la connexion avec l’axe historique de Paris sont le parti-pris de l’agence Maud Caubet Architectes qui propose de construire une traversée piétonne et vélo entre Neuilly et la proue de La Défense. Le projet prévoit aussi une extension des quais de Seine de Courbevoie pour les relier à Puteaux, qui transforme les bords de Seine en destination naturelle pour les 250 000 visiteurs quotidiens.

La Défense sur Seine - © Maud Caubet Architectes - myluckypixel
La Défense sur Seine - © Maud Caubet Architectes - myluckypixel

La Défense sur Seine - © Maud Caubet Architectes - myluckypixel
La Défense sur Seine - © Maud Caubet Architectes - myluckypixel

Vision programmatique : l’avènement d’un quartier multifonctionnel

Les propositions développées par le groupement La Défense 2050 ne prennent leur sens que si le quartier est capable d’accueillir des populations et des usages qui font vivre le quartier tout au long de la semaine et de l’année et en diversifient les attraits. Le potentiel d’un million de mètres carrés de bureaux à restructurer et/ou transformer dans les dix années à venir offre des marges de manœuvre pour faire muter le quartier d’affaires vers la multifonctionnalité.

Ainsi, les projections réalisées par le cabinet Alphaville pour le groupement La Défense 2050 estiment à 275 000 m² la surface qui devrait être transformée dans les dix années à venir - soit 27,5 % du million de mètres carrés cités plus haut et 7 % du parc total de bureaux existants à La Défense - pour atteindre un optimum permettant au quartier d’avoir une masse critique de diversification tout en conservant son identité historique de quartier d’affaires. Ces 275 000 m² se décomposent de la façon suivante : plus de 115 000 m² liés à l’émergence du « hub de l’innovation », avec des logements étudiants (60 000 m²), mais aussi de nouveaux espaces de formation, incubateurs, centres de R&D (56 000 m²) et 160 000 m² d’habitation, incluant des chambres hôtelières et des résidences pour seniors.

L’agence ChartierDalix a mené pour le groupement une étude de faisabilité technique de la transformation des tours de bureaux en logements. Si la conversion de certains immeubles de grande hauteur (IGH) en logements est techniquement possible, elle engendre une perte de surface locative moyenne de 12 % à 30 % selon les morphologies de tours, par rapport au bureau en l’état actuel de la réglementation. Afin de résoudre l’équation économique de la mutation des tours, le groupement appelle à des incitations fiscales à la reconversion, ainsi qu’à la levée des autres freins que constituent les règles d’urbanisme et les règlements de sécurité incendie.

Comme l’a exhorté Georges Siffredi en conclusion de la conférence de présentation des travaux du groupement La Défense 2050, « on peut continuer à réfléchir, certes, mais à un moment donné il faut qu’on rentre dans le processus, dans l’action ». De son côté, le préfet des Hauts-de-Seine Alexandre Brugère a assuré que « L’État a reçu le message 5 sur 5 » et que « l’État prendra sa part ». Au regard de l’ampleur du chantier, il faudra compter sur l’engagement de tous pour rendre cette transformation vers une nouvelle ère de La Défense effective

Les 15 propositions pour transformer La Défense

Vision stratégique

1) Créer deux clusters thématiques, le centre européen de l’intelligence artificielle et le campus du climat et de l’énergie décarbonée, espaces de coopération entre start-ups, grands groupes privés, acteurs publics, académiques et scientifiques

2) Implanter des antennes d’universités et écoles internationales prestigieuses par la création d’une marque « Campus La Défense » et d’un plan d’attractivité

3) Faire émerger une authentique vie de Campus, en créant 115 000 m² de logements étudiants et de services : restauration, bâtiment d’étude mutualisé, lieux festifs et bars étudiants, équipements sportifs

4) Créer le grand incubateur de La Défense, chaînon manquant pour rapprocher les grandes entreprises des acteurs de la formation et de l’innovation

5) Créer l’Université ouverte de La Défense, lieu symbolique de la nouvelle Défense proposant gratuitement des cours ouverts à tous, à l’instar du collège de France

Vision urbaine

6) Mettre en œuvre un master plan bioclimatique - Doublement des surfaces végétalisées, création de refuges climatiques naturels (Atelier Soil, Atelier Franck Boutté)

7) Transformer le parvis de la Grande Arche en parvis des événements sur sa partie haute, animé 300 jours par an, et en place du village sur sa partie basse (2Portzamparc)

8) Créer Le Forum, cœur multimodal situé au barycentre de La Défense, pour optimiser l’accessibilité du quartier et créer de nouveaux espaces de rencontres (Syvil)

9) Retrouver un parcours de mobilités de proximité avec pour les piétons une logique de rue à échelle humaine et instinctive ; et pour les cyclistes un réseau connectant la dalle, les sous-sols, les villes voisines et l’axe historique (Atelier Soil)

10) Aménager les berges de Seine et créer une traversée piétonne entre La Défense et Neuilly-sur-Seine pour prolonger l’axe historique de Paris (Maud Caubet Architectes)

Vision programmatique

11) Convertir en 10 ans 275 000 m² en de nouveaux usages : hôtellerie, enseignement supérieur, loisirs, logement et commerces de proximité

12) Établir une réglementation environnementale spécifique (RE 2020) pour les immeubles de grande hauteur (IGH) en prenant en compte l’impact carbone de la desserte exceptionnelle de La Défense

13) Instaurer une fiscalité écologique pour encourager les restructurations de tours plutôt que les démolitions-reconstructions

14) Accélérer et faciliter l’obtention des autorisations administratives pour les travaux, notamment pour aider à la mutation de bureaux vers d’autres usages et pour faciliter toutes les formes d’expérimentations

15) Pour atteindre ces objectifs, mettre en place un dialogue public-privé dans le cadre des nouvelles instances : Conseil de développement de La Défense, Atelier des territoires et une voix consultative au conseil d’administration de Paris La Défense.