La Défense et ses utilisateurs s’interrogent sur ses avenirs possibles
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
En proie à de profondes difficultés sur un marché de l’immobilier de bureau déjà lui-même au ralenti, La Défense multiplie les initiatives et projets pour sortir de l’ornière. Cette fois, l’Association des utilisateurs de La Défense, s’est engagée dans une démarche de réflexion collective, avec l’appui du cabinet Deloitte, afin d’esquisser des pistes d’avenir pour le premier quartier d’affaires européen.
À chaque itération des chiffres publiés par le GIE Immostat, le marché immobilier de bureau francilien poursuit inexorablement sa tendance à une baisse de la demande des entreprises, venant alourdir la somme des surfaces vacantes. Pour le quartier d’affaires de La Défense, la crise sanitaire de 2020 a révélé des difficultés majeures, qui certes affleuraient depuis longtemps, mais semblent désormais structurelles : vacance élevée des bureaux, loyers en baisse et raréfaction des investissements. Une crise qui met aussi à mal le modèle même de l’aménageur public Paris La Défense. Tandis que les développements de tours ont drastiquement ralenti, les recettes de l’établissement public s’en trouvent contraintes, pendant que ses dépenses augmentent du fait du vieillissement du quartier et de la vacance croissante.
Face à ce constat préoccupant, l’Association des utilisateurs de La Défense (Aude), qui fédère depuis 2002 les entreprises, écoles supérieures et universités du territoire (environ 70 aujourd’hui), appelle à l’action et propose de forger un projet collectif associant acteurs publics et acteurs privés. Une démarche faisant écho aux États généraux de la transformation des tours, qui ont lancé en 2023 une dynamique de coopération public-privé. À cette fin, elle a confié en janvier dernier une étude sur Les devenirs de La Défense au cabinet Deloitte. Le rapport se donnait trois objectifs prioritaires : évaluer la situation actuelle, tester des scenarii et identifier des leviers d’actions concrets. Voici les enseignements de ce travail.
C’est grave, docteur ?
Dans sa première partie, l’étude souligne à quel point La Défense se trouve aujourd’hui dans une situation ambivalente. Car le quartier d’affaires ne manque pas d’atouts à faire valoir. La toute nouvelle gare Éole est en service et le grand Paris Express placera 4 millions de Franciliens à moins de 30 minutes du territoire à horizon 2032. Son esplanade minéralisée à outrance gagnera en végétalisation, et donc en confort pour ses usagers, avec le projet de Grand parc de 5 hectares (https://www.republik-workplace.fr/strategies/rse/en-quete-d-espaces-verts-paris-la-defense-devoile-le-parc.html) dessiné par Michel Desvigne, qui va la transfigurer d’ici 2027. Enfin, et surtout pour son aménageur qui ambitionne d’en faire le premier quartier d’affaires post-carbone au monde d’ici la fin de la décennie, La Défense possède des atouts intrinsèques pour s’adapter à la nouvelle donne climatique : mobilités décarbonées, espace piétonnier, développement d’un réseau de chaleur partagé, et verticalité répondant aux enjeux de non-étalement urbain.
Oui, mais voilà… malgré ces atouts, les tours se vident inexorablement. Deloitte rapporte que le taux de vacance des surfaces de bureaux à La Défense est passé de 5 % avant la crise de la Covid à 14,5 % à fin 2023. Le chiffre grimpe même à 19 % en y intégrant les surfaces de bureaux libérées pas encore en phase de commercialisation. Soit un taux cinq fois supérieur à celui de Paris intra-muros (4 %) et qui apparait clairement structurel, tant il se consolide depuis quatre ans à un niveau élevé.
Pour tenter d’inverser la tendance et d’attirer les entreprises, les mesures d’accompagnement ont quant à elles augmenté de moitié pendant la même période pour atteindre jusqu’à 45 % sur certaines tours. Se faisant, les loyers réellement perçus de ces actifs ont baissé de manière significative… sans pour autant produire l’effet escompté sur la vacance. Parallèlement, les projets immobiliers, qu’ils s’agissent de construction neuve ou de redéveloppement, ont nettement ralenti à La Défense. Avant la crise sanitaire, le quartier représentait 21 % des surfaces de bureaux en chantier à l’échelle du Grand Paris : cette part a été ramenée à seulement 8 % en 2024.
Les projets immobiliers ont nettement ralenti à La Défense : avant la crise sanitaire, le quartier représentait 21 % des surfaces de bureaux en chantier à l’échelle du Grand Paris : cette part a été ramenée à seulement 8 % en 2024.
Si la massification du télétravail a bien évidemment eu un effet dévastateur sur l’occupation des tours, d’autres raison sont endémiques à La Défense. Portée par l’environnement de taux bas sur une longue période longue, le territoire a connu une vague massive de livraisons de tours neuves. Celles-ci ont augmenté rapidement la capacité du parc et accéléré l’obsolescence des autres tours. Parallèlement, la monovalence de ces actifs rend les projets de transformation (pour les adapter aux évolutions des attentes des utilisateurs) particulièrement coûteux et complexes, que l’augmentation brutale des taux d’intérêt a rendu rapidement impossible en termes de viabilité économique.
L’étude révèle que 37 % du parc immobilier de La Défense a été construit avant 2000 sans faire l’objet de rénovation depuis. Par conséquent, 1,5 million de mètres de carrés deviendront obsolètes dans les 15 ans à venir avance Deloitte. Or, ces tours obsolètes ne pourront avec certitude pas être relouées en l’état, pour des raisons réglementaires (obligation de mise en conformité avec le décret tertiaire nécessitant des travaux lourds) et pour des raisons de défauts structurels incompatibles avec les nouvelles attentes des utilisateurs : inconfort thermique, absence d’ouvrants, salles aveugles, absence ou insuffisance d’espaces collaboratifs, etc.
L’avenir du modèle économique en péril ?
Entre la taxe annuelle sur les bureaux, la taxe foncière (TFPB et TFPNB), et autres CFE, CVAE et TEOM, La Défense génère 410 millions d’euros de recettes fiscales chaque année. Des recettes perçues par les différents échelons de collectivités : communes de l’OIN de La Défense, Établissement Public Territorial, Métropole du Grand Paris, Société des Grands Projets (ex-Société du Grand Paris), Région Île-de-France, etc. Ce modèle est particulièrement positif pour les communes de l’OIN de La Défense, qui perçoivent 74 millions d’euros annuellement, soit 13 fois plus que la dotation qu’elles accordent annuellement à l’aménageur Paris La Défense (5,6 millions).
La Défense génère 410 millions d’euros de recettes fiscales chaque année.
L’établissement public Paris La Défense joue le double rôle d’aménageur, au titre duquel il perçoit notamment le produit de la vente des charges foncières, et de gestionnaire du quartier, chargé de l’exploitation et de l’animation du territoire. Dans le modèle « historique » de Paris La Défense, les recettes issues de l’aménagement permettaient de développer les équipements et infrastructures du quartier, mais aussi de financer les charges liées à la gestion du quartier. Ainsi, la santé de ses finances étaient dépendantes de la quantité de nouveaux mètres carrés construits.
Dans la situation actuelle, l’établissement se trouve face à un effet de ciseaux : avec le fort ralentissement des projets immobiliers, les revenus d’aménagement s’affaissent, pendant que les coûts de gestion augmentent du fait du vieillissement du quartier. Paris La Défense est confronté à un péril existentiel dont la nature n’a rien de conjoncturelle. Deloitte souligne la nécessité de redéfinir durablement ses sources de revenus, afin que ceux-ci ne soient plus dépendants des cycles immobiliers ou de la croissance, et par corollaire du nombre de mètres carrés sur le territoire. Sous peine d’exposer le quartier d’affaire à un cercle vicieux : vacance structurellement élevée, baisse des loyers et des valeurs, raréfaction des projets, obsolescence, difficulté de plus en plus accrue à redévelopper les actifs anciens, baisse continue des recettes de l’établissement public, menant à une perte d’attractivité irréversible.
À la croisée des avenirs
Le chemin du statu quo
Le premier scénario testé dans l’étude projette une situation dans laquelle ni les acteurs publics ni les acteurs privés ne se mobiliseraient. Le cas échéant, les cercles vicieux précités s’entretiendraient et les indicateurs clefs poursuivraient leur dégradation. Dans ce scenario où les taux resteraient hauts, où aucune action concrète ne serait entreprise pour faciliter le redéveloppement et où les tours obsolètes ne seraient pas relouées (même en postulant que les tours nouvelles actuellement en chantier seraient louées à 100 %), la vacance du quartier pourrait atteindre près de 40 % en 2034.
Par conséquent, ce scenario impacterait très négativement les recettes de gestion de Paris La Défense, qui subiraient un recul de 15 % en moins de cinq ans. Cette perte de revenus se cumulerait donc avec la perte de recettes de l’aménagement, ajoutant aux difficultés de l’établissement. En revanche, les recettes de taxe foncière ne seraient que très peu affectées, ce qui contribuerait à l’inaction : les communes ne verraient pas le sentiment d’urgence et n’encourageraient pas les redéveloppements.
Ce scenario « perdant-perdant » impacterait défavorablement toutes les catégories d’acteurs de La Défense. Habitants et salariés subiraient une lente dégradation du cadre de vie : moins de commerces, moins de vitalité, paysages de tours condamnées. La dégradation de la valeur des tours, les difficultés à louer et à vendre aux niveaux escomptés constitueraient un obstacle pour les propriétaires d’actifs. Quant aux entreprises, elles feraient face à la dégradation de leur marque employeur, les grands groupes perdant l’effet cluster qui leur bénéficiait.
La voie de l’action
À l’inverse, le second scenario de l’étude se fonde sur l’hypothèse d’une forte mise en mouvement des acteurs publics et privés. Il nécessite un changement de modèle collectivement accepté : La Défense n’est plus un territoire à aménager, mais essentiellement à reconvertir. Par conséquent, aucun avenir n’est possible si la transformation des tours n’est pas encouragée et accélérée. Les conclusions de l’étude sur ce point rejoignent celles des États généraux de la transformation des tours. Dans cet avenir, La Défense restera un territoire à dominante tertiaire, mais elle gagnera fortement en mixité. Il s’agit donc d’établir un projet de territoire permettant d’aligner toutes les parties prenantes sur la nature des investissements et des programmes à favoriser.
La Défense n’est plus un territoire à aménager, mais essentiellement à reconvertir.
La priorité consiste à enclencher un plan pour encourager les redéveloppements et les conversions d’actifs anciens. Ce plan doit s’appuyer sur une conjugaison de quatre leviers, et sa réussite dépend de la mobilisation de toutes les catégories d’acteurs : investisseurs, utilisateurs, établissement public Paris La Défense, collectivités, État.
Leviers règlementaires
- Assouplissement des contraintes règlementaires (sécurité incendie, accessibilité, urbanisme, etc…) lors de la reconversion des tours
- Facilitation de la reconversion d’une tour de bureaux en logements en aménageant le quota minimal de logements sociaux
Leviers de financement
- Création d’une foncière publique afin de permettre à PLD d’entrer au capital des opérations
- Accès à de nouveaux financements et à des taux d’intérêt plus avantageux via des fonds publics ou des fonds Green Funds
Leviers d’investissement
- Augmentation de la contribution des collectivités (région, département, communes de La Défense)
- Reversement à PLD d’une partie de la péréquation versée par les communes
Leviers fiscaux
- Exonération de la taxe bureaux en Île-de-France lors des travaux de réhabilitation/reconversion d’un actif (environ 3 ans)
- Exonération de la taxe foncière lors des travaux de réhabilitation/reconversion d’un actif (environ 3 ans)
Parallèlement, le quartier se devra aussi de bâtir un projet de territoire partagé avec un positionnement stratégique clair : le campus de l’innovation et de la connaissance. La Défense pourrait s’affirmer comme un district d’innovation avec la formation supérieure et continue, des incubateurs, des clusters thématiques, des centres de recherche, des écoles d’entreprise, un centre de formation des administrations et des centres de conférences. Ce projet se matérialiserait par la création de lieux partagés favorisant la vie de campus et les synergies entre les acteurs. Depuis quelques années déjà, La Défense renforce sa position de pôle de formation : 310 000 personnes sont formées chaque année au sein du quartier, dont 70 000 étudiants (en incluant l’Université Paris Nanterre), au sein de 52 établissements d’enseignement supérieur et de vingt-trois centres de formation.
310 000 personnes sont formées chaque année au sein du quartier, dont 70 000 étudiants.
Cependant, bien que La Défense constitue un pôle académique de premier plan européen, elle ne possède aucun des équipements partagés caractéristiques d’une véritable vie de campus : hébergement, restauration, culture, sport, vie nocturne. Le projet de territoire devra donc se fixer pour objectif d’identifier les équipements à créer et d’en définir les modalités de financement. La Défense pourra notamment accueillir plusieurs milliers de logements étudiants supplémentaires. Deloitte estime un potentiel de 5 000 logements en dix ans.
Enfin, La Défense pourra faire émerger des clusters thématiques de dimension européenne, en suivant le modèle pionnier du campus Cyber, qui s’appuieront sur la concentration de leaders mondiaux dans les secteurs de l’énergie, de la construction, de l’IT et de la finance. Ces clusters auront vocation à rassembler des acteurs français et européens, publics et privés, pour stimuler des coopérations sur le plan de l’innovation, de la formation et de l’entreprenariat.
Avec le scenario action, Deloitte prévoit que la vacance du quartier restera à son niveau actuel jusque 2030, puis elle baissera significativement, après que les premiers actifs restructurés auront été livrés, pour tomber à 12 % en 2034. Ce chiffre s’explique par le renouveau du parc de bureaux, plus qualitatif et mieux adapté aux attentes des utilisateurs, mais aussi par la réduction du parc grâce à la reconversion d’une partie des bureaux en d’autres usages (enseignement, logements, loisirs, hôtels, etc.).
L’enseignement clair à retenir de l’étude commanditée par l’Aude est qu’un manque de proactivité de l’ensemble des acteurs concernés conduiraient le 4e quartier d’affaires le plus attractif du monde à un lent déclin mortifère. Les leviers à actionner existe bel et bien, pour que La Défense puisse aborder l’avenir avec optimisme, en capitalisant sur ses atouts intrinsèques.