Workplace Trends : les tiers-lieux bénéficient-ils de la dynamique du télétravail ?
Réalisé par l’Ifop et France Tiers-Lieux, en partenariat avec l’Association Nationale des Tiers-Lieux, le premier Baromètre du télétravail en tiers-lieux étudie les politiques en place dans 400 entreprises de 10 salariés ou plus. Parmi les enseignements, il ressort que la généralisation relative du télétravail ne profite pas tant à ces espaces.

Depuis la sortie de la crise sanitaire du Covid-19, le modèle de travail hybride, combinant télétravail et présence sur site, a imposé son caractère tangible dans les entreprises. Le dernier Baromètre Parella Group confirme la consolidation du télétravail puisque 56 % des dirigeants français déclarent l’autoriser, un chiffre en progression de 3 points par rapport à 2023. Le premier Baromètre du télétravail en tiers-lieux, réalisé conjointement par l’Ifop et de France Tiers-Lieux, en partenariat avec l’Association Nationale des Tiers-Lieux, vient néanmoins rappeler que la pratique du télétravail demeure relative.
Découvrez les principaux enseignements du Baromètre du télétravail en tiers-lieux dans cette nouvelle capsule Workplace Trends :
Sur les 404 organisations sondées, « seuls » 38 % des entreprises l’autorisent - dont 12 % pour l’ensemble de leurs salariés. Le frein principal demeure logiquement la nature du travail, la production n’étant pas compatible, par exemple. Pour le reste, les données du Baromètre confirme une fréquence moyenne située à deux jours par semaine, mettant tout de même en exergue un écart entre les dispositions prévus dans les chartes d’entreprise (2,1 jours) et la pratique réelle (1,4 jour).
Il n’était pas insensé de penser que cette sortie du schéma « travail = présence sur site » ouvre une brèche amenant à un recours accru des espaces de coworking, et plus largement des tiers-lieux. Ces espaces n’ont pas attendu la crise sanitaire pour émerger et ils ont connu un développement significatif ces dernières années : France Tiers-Lieux dénombrait 1 800 tiers-lieux en 2018 et 3 500 en 2023, tandis que l’Ubiqdata recense 1 191 315 m² occupés par le coworking en France, dont 91 441 m² ouverts en 2024. Le Baromètre esquisse une réponse à la question : le développement du télétravail a-t-il créé un appel d’air pour les tiers-lieux ?
Le télétravail encore largement confiné au domicile
Pour les besoins de l’enquête, 404 dirigeants d’entreprises, directeurs ou chargés de ressources humaines ont été amenés à se prononcer sur leur politique de télétravail, leur connaissance et la pratique du télétravail en tiers-lieux. Les données montrent que la notion de coworking a bien été appréhendée par les dirigeants d’entreprises et directeurs des ressources humaines : 66 % des entreprises de plus de 10 salariés sont familières avec au moins une des deux notions, coworking ou tiers-lieu. C’est davantage le cas pour les entreprises où le télétravail fait partie des pratiques (74 %) et a fortiori celles qui ont mis en place une charte ou un accord de télétravail (80 %), signe que la pratique conduit à une meilleure connaissance des lieux hors domicile où il peut se dérouler.
Malgré cette notoriété, le Baromètre note une réticence des entreprises à s’ouvrir à d’autres modalités d’exercice. Dans l’esprit des dirigeants et directeurs des ressources humaines, le télétravail rime, le plus souvent, avec domicile. Un peu comme si la complexité de convaincre qu’il était possible de travailler depuis chez soi provoquait une appréhension face à la possibilité de travailler dans un tiers-lieu. Dans les faits, il apparaît que seules 18 % des entreprises de >10 salariés qui autorisent déjà le télétravail permettent à leurs salariés de télétravailler ailleurs que depuis le domicile, qu’il s’agisse d’une résidence secondaire, un café ou un tiers-lieu.
De fortes disparités existent selon la taille de l’entreprise. Ainsi, les plus petites entreprises, souvent plus flexibles, autorisent davantage le télétravail dans d’autres lieux (28 % des entreprises de 10 à 19 salariés). Sans surprise, les auteurs du Baromètre constatent que les entreprises les plus familières du télétravail ont tendance à se montrer plus ouvertes à sa tenue dans d’autres lieux que le domicile. Les entreprises du secteur des services se démarquent ainsi sur ce point, puisque 28 % autorisent le télétravail dans d’autres lieux. C’est également le cas dans les entreprises où la pratique du télétravail est massivement adoptée (25 % de ces entreprises). Enfin, la formalisation d’une charte d’encadrement du télétravail semble favoriser la pratique du télétravail ailleurs qu’à domicile (27 %).
Ce manque de maturité et de formalisation de la pratique du télétravail en espaces de coworking ou en tiers-lieux et la réticence à s’ouvrir à de nouveaux lieux de travail semblent voués à se poursuivre : parmi les entreprises de >10 salariés autorisant le télétravail depuis le domicile, 13 % seulement se disent intéressées pour ouvrir la possibilité du télétravail en tiers-lieu. Ce refus est d’abord motivé par une absence de demande de la part des salariés perçue par les dirigeants et DRH (40 %). La problématique du financement constitue la deuxième raison la plus citée, puisque 31 % des entreprises récalcitrantes disent refuser de financer ce format de télétravail. En troisième position, on retrouve la volonté pour 27 % des répondants d’inciter à travailler dans les locaux. Les deux raisons suivantes s’apparentent davantage à des problématiques logistiques : 21 % craignent un risque pour la sécurité des données, et 17 % estiment que c’est trop compliqué d’un point de vue juridique et RH.
Ainsi, le concept de tiers-lieu peine encore à se faire une place dans les usages. Pourtant, les dirigeants d’entreprises et responsables des ressources humaines, tout comme les salariés, sont sensibles aux avantages du télétravail et des tiers-lieux.
Les tiers-lieux plébiscités avec parcimonie
Les entreprises s’accordent volontiers sur les avantages liés au télétravail, à domicile ou en tiers-lieux : 96 % des dirigeants et directeurs des ressources humaines d’entreprises de 10 salariés ou plus lui reconnaissent au moins un avantage. Les principaux avantages mentionnés sont le temps économisé dans les transports (89 %) et le respect de l’équilibre vie professionnelle/personnelle (78 %). Cependant, ils ne sont plus que 52 % à reconnaître que le télétravail entraîne un gain de productivité, signe que cette modalité ne fait pas encore tout à fait l’unanimité. Une méfiance qui se heurte toutefois aux études réalisées sur le terrain : d’après les estimations d’Asterès, le coworking permet un gain de productivité́ de 16 %, soit 11 000 € par coworker et par an en équivalent monétaire.
En revanche, en dehors des prestations liées au télétravail, les entreprises sont intéressées par les possibilités qu’offrent les espaces de coworking et les tiers-lieux. Ces espaces convainquent quand ils sont perçus comme un prolongement de l’entreprise pour accueillir des initiatives plus ponctuelles. Dans le cadre de l’étude, les auteurs ont testé l’intérêt d’une série d’initiatives et de services mis en place par des tiers-lieux : hackathon, location d’espaces, mise à disposition d’outils et de machines… Finalement, 55 % des entreprises interrogées sont intéressées par l’une des initiatives testées, ou l’ont déjà mise en place (31 % en ont mis en place au moins une).
Pour les salariés, le tiers-lieu permet aussi de pallier certaines défaillances du télétravail à domicile. En effet, ce dernier peut être synonyme de solitude : si 19 % de l’ensemble des Français se sentent toujours ou souvent seuls - donnée déjà alarmante en soi -, cette proportion atteint 34 % chez les télétravailleurs à domicile rapporte le Baromètre de France Tiers-Lieux. Compte tenu de ces données, les entreprises auraient à gagner en se penchant sur les tiers-lieux afin de diversifier leur offre de télétravail. Cependant, à date, le développement du télétravail n’a pas nourri celui du coworking et des tiers-lieux, face à un ensemble de freins persistants.
Auteurs de l’étude : Enora Lanoë-Danel, chargée d’études senior Ifop Opinion - Département Opinion et Stratégies d’Entreprise.
Relecteurs : Chloé Rivolet, co-directrice et responsable Animation territoriale de la Coopérative des Tiers-Lieux, et Stéphane Bensimon, directeur général de Wojo.