Workplace Trends : l’amitié au travail, un levier stratégique ?
Par Alexandre Foatelli | Le | Qvt
Comment l’amitié au travail est perçue par les Français ? Une étude menée par Indeed et OpinionWay apporte des éléments de réponse, mettant en exergue les impacts des relations interpersonnelles sur la motivation, la productivité et la politique interne des entreprises.
« Une amitié fondée sur le travail est préférable à un travail fondé sur l’amitié ». À l’instar de ce qu’affirme cette citation attribuée à John D. Rockefeller Jr, fils du célèbre industriel éponyme, bâtir des relations amicales entre collègues serait une meilleure option que créer un business entre amis. À la suite de la pandémie de Covid-19 et des transformations dans l’organisation du travail qui en ont découlées, le lien entre les relations amicales et professionnelles a considérablement muté.
Une récente étude d’Indeed, en partenariat avec OpinionWay, apporte des éléments sur la manière dont l’amitié au sein du milieu professionnel est perçue par les salariés français.
Découvrez les enseignements clés dans ce nouveau numéro de Workplace Trends :
Amitié au travail, une quasi-norme
Le premier constat de l’étude est qu’une grande partie des salariés a développé de véritables amitiés au travail. Au sein des organisations de 20 salariés et plus, 6 sondés sur 10 ont déjà eu des « work besties » - c’est-à-dire un collègue de travail avec qui ils ont développé une amitié et qui est devenu l’équivalent d’un meilleur ami dans le cadre du travail. En outre, 70 % des interviewés ont déjà vu certains de leurs collègues devenir des amis dans la sphère privée, et plus d’un sur deux (53 %) a rencontré certains de ses meilleurs amis actuels au travail. Des chiffres qui illustrent la normalisation du phénomène. Des amitiés se nouent certes… mais pas seulement ! Les lieux de travail sont aussi propices aux coups de cœur amoureux : 30 % des salariés interrogés déclarent avoir déjà eu au moins une relation amoureuse et/ou sexuelle avec un collègue.
L’étude d’Indeed montre aussi quelles sont les profils les plus susceptibles de nouer et cultiver des relations amicales une fois en poste. D’abord, les femmes sont plus nombreuses à déclarer avoir des « work besties » (69 % contre 54 % des hommes) et à avoir intégré certains de leurs collègues à leur sphère privée (76 % contre 66 %). L’amitié au travail est aussi plus répandue chez les jeunes salariés : par exemple, 81 % des moins de 35 ans se sont fait des amis personnels parmi leurs collègues, contre 64 % des 35 ans et plus. Enfin, les salariés travaillant dans le secteur des services sont également plus prompts à faire intégrer leur sphère privée à leurs collègues (79 %, contre 68 % pour le secteur du commerce et 57 % pour l’industrie et le BTP).
Quand « amitié » rime avec « motivation »
Plus qu’un partage de locaux professionnels, voir et passer du temps en compagnie de ses collègues préférés apparaît comme une nécessité, notamment depuis la pandémie. Ainsi, un salarié sur deux cherche en effet à accorder régulièrement ses jours de télétravail avec ceux de ses « work besties » et la même proportion déclare que leurs collègues préférés leur manquent lorsqu’ils sont à distance. Même s’il ne s’agit pas - dans bien des cas - d’amis personnels, les relations avec les « work besties » dépassent même le cadre strictement professionnel. La majorité des salariés interrogés déclare partager régulièrement avec eux des blagues ou vidéos via des messageries externes à l’entreprise (56 %), telles que WhatsApp ou Instagram.
Cette envie de maintenir le lien avec ses collègues amis, en se coordonnant sur les jours de présence ou en utilisant des réseaux sociaux personnels, s’explique notamment par le sentiment qu’il est difficile de maintenir une amitié en travaillant à distance selon 43 % des sondés. Afin de préserver et favoriser l’amitié au travail à l’heure du télétravail, les salariés plébiscitent donc les moments de rencontre en personne, qu’ils soient formels ou informels, et qu’il s’agisse de moments de travail ou non. Ils évoquent ainsi les journées d’équipes (40 %), les moments de célébrations (35 %), les activités de groupe en dehors du travail (25 %) ou encore les séminaires d’équipe (20 %).
Ces liens amicaux s’avèrent particulièrement importants pour la productivité et la motivation. En effet, près des trois quarts des salariés affirment qu’ils se sentent plus disposés à travailler davantage lorsqu’il s’agit de rendre service à un collègue ami (71 %). Donnée supplémentaire, les jeunes salariés se sentent aussi plus disposés à travailler davantage pour un collègue-ami (79 % contre 66 % de leurs aînés). Cependant, la motivation peut aussi suivre la tendance inverse : près d’un sondé sur deux reconnaît se sentir moins motivé à travailler lorsque ses « work besties » ne sont pas là (45 %). Ces statistiques démontrent que l’amitié au travail n’est pas qu’une superficialité, mais un véritable levier professionnel.
L’amitié au travail, une nécessité politique ?
Au-delà des modalités naturelles pouvant déboucher sur des liens d’amitié, ces derniers peuvent aussi servir des intérêts plus personnels. Et être politique au travail - c’est-à-dire développer une stratégie en vue de se faire bien voir par ses supérieurs/les membres de la top direction, glaner des informations, ou encore faire passer des messages/points de vue - est un jeu auquel une grande partie des salariés dans les entreprises concernées se prête : 76 % des interviewés l’admettent. À cet égard, le développement de rapports amicaux peut s’avérer très utile.
Les moments informels, inscrites dans les habitudes du quotidien, sont perçues comme des occasions parfaites pour placer ses pions : les pauses-déjeuners (41 %), les pauses café (38 %) ou bien les tours des bureaux pour dire bonjour ou au revoir (33 %). Cette politique politicienne au travail est davantage pratiquée par les jeunes (84 % des moins de 35 ans contre 75 % des 35-49 ans et 65 % des 50 ans et plus), les salariés appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures (80 %, contre 71 %), et ceux pratiquant du télétravail (81 %, contre 68 % de ceux allant tout le temps au bureau), probablement par volonté d’affirmer leur place dans l’entreprise et par crainte de passer inaperçus.
Enfin, l’étude d’Indeed souligne que les liens politiques se développent à tous les niveaux hiérarchiques : 35 % des encadrants reconnaissent avoir déjà été plus amicaux avec un collaborateur dont ils sont directement responsables afin de se faire bien voir, et 30 % des salariés l’ont fait à l’inverse avec leur supérieur hiérarchique direct.
En résumé, l’amitié au travail, qu’elle soit authentique ou stratégique, est donc une réalité tangible dans les entreprises françaises. Les employés du privé expriment un besoin fort de nouer des liens avec leurs collègues, qui jouent un rôle de soutien essentiel. Une dynamique qui favorise une porosité croissante entre les sphères professionnelle et privée. Ces relations amicales ne répondent pas seulement à un besoin social : elles permettent également de renforcer la position et l’influence des salariés dans l’entreprise, notamment dans le contexte du travail hybride.
Méthodologie
Cette étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 507 personnes, représentatif de la population salariée dans des entreprises privées de 20 salariés et plus, âgée de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de secteur d’activité, de taille d’entreprise et de région d’implantation. Les interviews ont été réalisées du 8 au 13 novembre 2024.