[INFOGRAPHIE] Quel impact de la crise sanitaire sur les tiers-lieux en Île-de-France ?
Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail
Pour les près de 1 000 tiers-lieux recensés en Île-de-France, la crise sanitaire a agi comme un sérieux coup d’arrêt à leur activité. Et si l’hybridation des modes de travail qui résulte de cette période semble leur profiter pleinement, encore faut-il que ces acteurs retrouvent une santé financière leur permettant de s’adapter à cette nouvelle demande. Une enquête menée par L’Institut Paris Région, associé au laboratoire Smart Lab Lability et à la Région, apporte des éléments concrets pour appréhender la situation du marché.
Qu’ils servent à travailler, à télétravailler, à entreprendre, à se réunir, qu’ils soient situés dans les centres urbains, les lieux de loisirs ou proche des zones d’habitation, les tiers-lieux regroupent une grande diversité. En Île-de-France, environ 1 000 tiers lieux d’activités sont recensés, qu’ils prennent la forme de bureaux mutualisés, d’espaces de coworking, de fablabs ou de lieux d’accompagnement à la création et au développement des entreprises (incubateurs, pépinières, etc.). Deux ans en arrière, la crise sanitaire et les périodes de confinement et de restrictions ont fortement affecté les tiers lieux, comme toutes les entreprises, obligés de fermer leurs portes puis de fonctionner à jauge réduite.
Afin de mieux comprendre la façon dont les tiers lieux d’activités ont vécu cette crise, une enquête a été lancée à l’automne 2021, auprès des gestionnaires de ces lieux. Celle-ci est le fruit d’un partenariat entre L’Institut Paris Region, le laboratoire de recherche Smart Lab Lability et la Région Île-de-France. Les objectifs de l’enquête sont doubles : établir un panorama des tiers lieux d’activités en Île-de-France en 2021 et cartographier cet écosystème ; et réaliser un état des lieux de l’impact de la pandémie de Covid-19 afin de mieux comprendre les dynamiques existante et émergente.
Forte concentration
Au regard des données collectées par l’enquête, il apparaît que les tiers-lieux sont fortement concentrés dans le cœur de l’agglomération francilienne, 7 sur 10 étant situés dans la Métropole du Grand Paris. Par ailleurs, les tiers lieux indépendants franciliens sont souvent hybrides : un même lieu peut accueillir un espace de coworking, un fablab ou un incubateur. C’est le cas pour 80 % d’entre eux, mêlant plusieurs activités et proposant un espace (laboratoire ou atelier) permettant d’expérimenter dans différents domaines : éducation, médiation numérique, transition écologique, culture, artisanat…
Les usagers sont à 78 % des « indépendants », mais on y trouve également des jeunes entreprises, des makers, des télétravailleurs, etc. 58 % des tiers lieux ont un statut d’entreprise (SA, SARL, etc.), 25 % sont des associations, 9 % des coopératives et 8 % des collectivités territoriales.
Coup d’arrêt
Durant la crise, 83 % des tiers lieux ont dû fermer partiellement ou totalement. Leur fréquentation a fortement diminué : le nombre moyen de personnes venues travailler ou réaliser des projets a chuté de 56 % par rapport à 2019. Ainsi, près d’un tiers lieu sur deux a vu son chiffre d’affaires diminuer, alors qu’il était en hausse avant la crise. La capacité d’autofinancement des tiers lieux a baissé de 36 % et 25 % ont déclaré des difficultés à payer leur loyer. Si certains ont pu bénéficier d’un report, aucune négociation n’a été possible dans la majorité des cas. Résultat : ils sont quatre fois plus nombreux à avoir des difficultés à rembourser leur crédit bancaire. Au sortir de la crise, 45 % des tiers lieux sont en situation déficitaire, contre seulement 15 % avant la crise. Et cela alors même qu’ils ont dû réaliser de nouveaux investissements à cause du Covid-19 : près de 6 tiers lieux sur 10 ont mis en place un dispositif sanitaire (gel hydroalcoolique, masques, équipements pour visio, parois mobiles, etc.).
Cependant, les dispositifs d’aide publique mis en place dès le premier confinement (17 mars 2020) ont permis d’amortir la crise : 43 % des tiers lieux en ont bénéficié, notamment des indemnités de l’activité partielle, pour la moitié d’entre eux. Si les tiers lieux se sont saisis, pour la plupart, des mesures mises en place par le gouvernement, les perspectives restent incertaines, puisque 36 % des tiers lieux faisant état d’un risque de fermeture à court ou moyen terme. Pour résister et surmonter la crise, des partenariats locaux ont été noués : la moitié a participé à des réseaux de tiers lieux (A+ c’est mieux, Collectif des tiers lieux, CRESS, Fab City Grand Paris, etc.). Ces derniers se sont mobilisés dans des actions de solidarité, en mutualisant leurs moyens pour développer des outils et des projets communs avec d’autres structures (association, art, culture, jeunesse, animation locale…). En outre, les tiers lieux, et plus particulièrement les fablabs, se sont engagés très rapidement et en très grand nombre dans la fabrication et la distribution bénévoles de matériel médical. Ainsi, face à la pénurie, les makers ont produit et distribué du matériel de protection pour répondre en urgence aux besoins : masques, visières, respirateurs, pousse-seringues…
Des tiers-lieux pivots de la transition écologique
Dans l’enquête, 94 % des tiers-lieux déclarent avoir mis en place des actions en faveur de la transition écologique : sensibilisation auprès des utilisateurs, incitations au zéro déchet, circuits courts (distribution Amap, marché local…), investissements en vue de réduire l’impact carbone, etc. Ils sont par ailleurs nombreux à être engagés dans l’économie circulaire, à travers des événements de type repair cafés, ateliers de réparation d’objets ou intégration d’activités de ressourcerie ou recyclerie.
Quelles perspectives ?
Au moment de l’enquête, en septembre 2021, près de 9 tiers lieux sur 10 ont vu leur activité redémarrer. Si 44 % souhaitent continuer leur activité comme avant, d’autres souhaitent réorienter leur modèle, notamment en captant une nouvelle demande, celle des télétravailleurs. En effet, la moitié des tiers lieux interrogés considèrent le développement du télétravail comme une nouvelle opportunité pour leur activité : la généralisation du télétravail pourrait faire évoluer les choix de localisation des actifs, les stratégies d’implantation des entreprises et donc la configuration des lieux d’activité. D’ailleurs, L’Institut Paris Région relève un intérêt croissant de la part des politiques publiques, qui tentent d’inciter au développement des tiers lieux de travail par le biais d’appels à projets ou de les accompagner par des guides méthodologiques ou des subventions.
Dans sa conclusion, l’enquête souligne que « au-delà de leur rôle dans le développement économique et l’emploi, les tiers lieux participent à d’autres aspects de l’aménagement du territoire francilien : la mobilité, l’attractivité résidentielle, la culture, la médiation numérique, la production industrielle en milieu urbain, la qualité de vie des actifs, l’engagement citoyen, la reconquête des espaces ruraux… ». Avec l’appui des pouvoirs publics et à la faveur d’une hybridation propice à leur développement, les tiers-lieux devraient poursuivre leur expansion dans la région.
Méthodologie :
Coconstruit par L’Institut Paris Region et le Smart Lab Lability, le questionnaire comporte une soixantaine de questions. Il s’adresse aux gestionnaires de tiers lieux. L’enquête en ligne s’est déroulée du 26 juillet au 7 octobre 2021.