[ETUDE] Pourquoi le flex office à tout-va ne va pas
Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail
Cet article est référencé dans notre dossier : Les tendances du workplace en 2023
Déjà en vogue avant la pandémie, le combo open space/flex office a tendance à se généraliser, profitant de l’hybridation entre télétravail et présentiel pour justifier sa mise en œuvre. Cependant, cette solution plébiscitée aussi pour des raisons budgétaires convient-elle à ceux qui la subisse : les employés ? Selon le dernier rapport d’étude mené par Steelcase auprès de 5 000 participants dans 11 pays, la réponse est non, pas vraiment.
Les débats animés autour des open spaces existaient bien avant la pandémie de Covid-19. Séduites par l’exemple des startups technologiques, qui entendaient promouvoir la collaboration et l’innovation grâce à des espaces entièrement ouverts, un large nombre d’entreprises ont adopté cette solution, avec en ligne de mire, aussi, une réduction de leur facture immobilière. Les employés devenant de plus en plus mobiles avec la démocratisation des équipements portables, la tendance au flex office a pu se développer : l’espace n’est plus seulement ouvert, le salarié peut travailler où il veut (et peut !). Mais ce mouvement s’est heurté au mécontentement des individus, qui se sont plaints d’être trop exposés et d’avoir du mal à se concentrer. S’ils appréciaient la liberté de pouvoir choisir où travailler, ils ressentaient aussi le besoin de disposer d’un espace « à eux » au sein de l’espace de travail.
Puis, la pandémie a frappé. De nombreux employés ont été contraints de télétravailler, et pour beaucoup d’entre eux, cette expérience a eu des bénéfices. « À l’époque, nos enquêtes ont montré que les individus souffraient certes d’un sentiment d’isolement, mais étaient soulagés d’être débarrassés des trajets domicile-bureau. Au fil du temps, ils ont en outre eu l’impression de pouvoir créer leur propre expérience de travail. À l’échelle mondiale, la majorité des individus (70 %) possèdent un espace de travail dédié à domicile », souligne Steelcase dans son rapport d’étude intitulé « L’ère du travail hybride : comment répondre aux besoins des individus ». Parmi les trois conclusions qu’apportent l’étude, le besoin d’espace de travail privatisé pour les salariés est tangible, alors que les entreprises se précipitent dans la direction opposée.
Bureau privatif : espèce en voie de disparition
En effet, avec le développement du travail hybride, les entreprises fondent leurs décisions immobilières sur l’hypothèse d’une diminution du taux d’occupation. L’une de ces décisions consiste dès lors à accroître la proportion de bureaux non attribués afin de renforcer la flexibilité des espaces. À l’échelle mondiale, 15 % des employés de grandes entreprises (+ de 10 000 personnes) ont ainsi perdu leur poste attribué depuis la pandémie et ils sont 10 % à être concernés indépendamment de la taille des organisations. « Une stratégie de flex office focalisée sur la réduction des frais immobiliers pourrait avoir un coût plus difficile à mesurer à court terme », pointe l’étude de Steelcase.
Pour répondre à la demande de flexibilité et d’intimité des individus les entreprises offrent par ailleurs différentes options hybrides (télétravail, salles de réunion, espaces informels…), lesquelles représentent un niveau d’autonomie sans précédent. Cependant, le travail hybride ne permet pas à lui seul de répondre à tous les besoins des individus. Pour preuve : l’étude de Steelcase révèle que ces deniers sont prêts à renoncer à des jours de télétravail en échange de plus d’intimité, de confort et de contrôle au bureau. Ainsi, la majorité des employés dans les 11 pays sondés (55 %) disent préférer disposer d’un poste attribué au bureau et télétravailler moins souvent. Une proportion qui grimpe à 62 % en France ! Seuls les employés australiens, canadiens et britanniques préfèrent le télétravail à un poste attribué au bureau.
« Le souhait des employés de disposer d’un poste attribué est sans doute surprenant pour les entreprises qui pensaient avoir répondu à leurs attentes en leur offrant plus de flexibilité à travers le travail hybride. Mais le sentiment d’appartenir à l’entreprise grâce à un espace »à soi« que l’on peut personnaliser à loisir est plus important que ne l’imaginent beaucoup de dirigeants », indique Steelcase. Un environnement de travail manquant d’espaces privatifs favorisant la concentration, d’espaces d’équipe ou d’endroits où déposer ses effets personnels, aura pour conséquence de « perdre » les salariés. « Ces employés nomades auront du mal à se sentir en phase avec leur entreprise et à s’affranchir du sentiment d’isolement apparu pendant les périodes de confinement », appuie le rapport.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais
Si la majorité des individus disposent d’un espace de travail dédié à domicile, ceux qui n’en ont pas sont généralement des employés. Et si les dirigeants d’entreprises encouragent le flex office, ils sont plus nombreux à disposer d’un espace privatif au bureau : 49 % vs 19 % sur les 11 pays, 60 % vs 32 % en France. Pourtant, selon les données compilées par Steelcase, les employés consacrent plus de la moitié de leur temps à des tâches nécessitant de la concentration - contre moins d’un tiers pour les dirigeants. La conséquence de cette inégalité hiérarchique, qui prévaut dans de nombreuses entreprises, n’est guère étonnante : les employés préfèrent rester chez eux, où ils peuvent contrôler leur expérience de travail et leur intimité, même s’ils doivent parfois travailler sur leur canapé. À l’inverse, les dirigeants des différents pays sont plus enthousiastes que les employés à l’idée de travailler au bureau.
Au regard de ces conclusions, il apparaît que les espaces de travail doivent encore évoluer pour accompagner la montée en puissance du travail hybride. Afin que les individus aient envie de retourner au bureau, il est indispensable que l’expérience de travail offerte soit sensiblement meilleure que celle vécue en télétravail. Pour y parvenir, Steelcase conseille de créer des espaces de travail qui offrent aux individus plus de choix et de contrôle, tout en les invitant à repenser la notion de possession : les espaces d’équipe, les espaces projet ou encore les systèmes de réservation peuvent contribuer efficacement au sentiment d’appartenance. Car dans la réalité, les individus n’organisent pas leurs semaines de travail avec certains jours dédiés à la collaboration, et d’autres à la concentration : ils ont besoin de pouvoir passer du travail collectif au travail individuel, et vice versa, tout au long de la journée.