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Télétravail : l’épineuse gestion des déménagements longue distance pour les entreprises

Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail

Liberté individuelle vs responsabilité de l’entreprise. Une récente décision de la Cour d’appel de Versailles a statué en faveur d’un employeur qui avait licencié un salarié ayant déménagé à plus de 400 km de son lieu de travail. L’affaire met en lumière la problématique qui se pose aux DRH pour gérer ces situations devenues plutôt courantes.

Selon l’ANDRH, 30 % des entreprises ont été confrontés à des employés ayant déménagé loin. - © Getty Images/iStockphoto
Selon l’ANDRH, 30 % des entreprises ont été confrontés à des employés ayant déménagé loin. - © Getty Images/iStockphoto

L’un des plus gros changements auquel les entreprises ont eu à faire face à la suite de la pandémie de coronavirus, c’est qu’un nombre significatif de salariés ont déménagé avec des conséquences notoires. Une étude d’octobre 2021 menée par l’ANDRH auprès de ses 450 membres révélait que 30 % des répondants ont été confrontés à des employés ayant déménagé et demandant une adaptation de leurs conditions de travail. « Les ressources humaines se sont trouvées démunies face à ce phénomène, avec des salariés qui ont mis leurs employeurs devant le fait accompli en demandant que ces derniers s’adaptent », souligne Audrey Richard, présidente de l’association.

L’un de ces cas a fait l’objet d’une décision de la Cour d’appel de Versailles mi-avril. Un salarié qui s’était installé en Bretagne sans en informer au préalable son employeur, à plus de 400 km de son lieu de travail, a été licencié pour faute, à la suite de son refus de se rapprocher géographiquement. Saisissant la justice, le collaborateur s’appuyait notamment sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits l’hommes et des libertés fondamentales, qui prévoit que toute personne a droit au respect de son domicile et au libre choix de son lieu de résidence. Il mettait également en avant l’absence de retards lors de ses prises de poste et la prise en charge des frais liés à ses déplacements domicile-travail. Ses arguments n’ont pas convaincu la cour d’appel de Versailles, qui a considéré le licenciement valable, se basant sur l’obligation de l’employeur d’assurer la sécurité du collaborateur (article L.4121-1 du Code du travail).

Distance maximum ?

Cette décision de justice sonne-t-elle le glas de la liberté de s’installer où on le désire ? Plus prosaïquement, l’affaire montre que la gestion du télétravail dans les entreprises est complexe et potentiellement porteuse de conflits sociaux. La plupart des firmes ont, en collaboration avec les partenaires sociaux, établis des accords de télétravail. Le principe le plus répandu repose sur deux jours de télétravail pour trois jours au bureau. « Lorsque nous faisons face à une somme de cas individuels souhaitant avoir des aménagements par rapport aux accords, cela devient ingérable pour les entreprises, poursuit Audrey Richard. Comment justifier qu’on accepte des aménagements pour ces cas de figure et pas pour d’autres qui habitent dans un rayon plus petit et qui voudraient faire plus de télétravail par convenance personnelle ? »

Le salarié n’est jamais dispensé d’informer son employeur, rappelle Sandra Gallissot, consultante pour juRISK RH et experte en droit du travail.

Quid des collaborateurs qui souhaitent respecter les accords tout en habitant à longue distance de leur lieu de travail ? Pour les directions des ressources humaines, avoir à effectuer de longs trajets, en partant très tôt et en rentrant très tard chez soi, est néfaste pour les conditions de travail et le temps de repos. Cette inquiétude aurait donc tendance à prendre le pas sur la liberté de choix du travailleur de s’infliger un rythme de vie contraignant en lien avec son lieu d’habitation. Une considération dont la subjectivité n’échappe pas à Audrey Richard. « Il s’agira toujours d’un cas d’espèce », abonde Sandra Gallissot, consultante pour juRISK RH et experte en droit du travail. Malgré cela, la présidente de l’ANDRH ne considère pas que ce type de politique nuise à l’attractivité d’une entreprise : « celle-ci se construit à travers des accords négociés avec les partenaires sociaux sur la base des enjeux spécifiques importants pour la société et ses employés, aboutissant à une politique sociale mieux-disante par rapport à la loi générale. »

Dans les faits, un salarié est libre de vivre où il le souhaite, mais ce choix n’est pas neutre pour l’employeur. « Dans la plupart des contrats de travail, il est indiqué que tout changement d’adresse doit être notifié, et ce pour trois raisons : l’employeur adresse des documents à son salarié, il doit avoir la possibilité de contrôler en cas d’arrêt maladie et il est tenu par le Code du travail de veiller à la sécurité et la santé physique et mentale de ses collaborateurs », détaille Sandra Gallissot. Ce dernier élément est d’ailleurs couramment invoqué pour défendre les conditions de travail des salariés. « Il est logique que l’employeur puisse tirer les conséquences du choix de domiciliation, bien qu’il reste libre », souligne la spécialiste. D’autant plus que « le salarié n’est jamais dispensé d’informer son employeur », cela relève de la « loyauté du contrat ».

Jurisprudence ?

Bien que médiatisée, cette décision de la Cour d’appel de Versailles n’est pas inédite. « Avant l’explosion du télétravail, il y avait des cas de salariés qui se délocalisaient pour d’autres problématiques, comme le prix du foncier et de l’immobilier, et cela posait des difficultés pour l’employeur, rappelle Sandra Gallissot. La nouveauté réside dans les excès liés au télétravail en sortant d’une période exceptionnelle. Il est nécessaire que toutes les parties prenantes reviennent dans le cadre réglementaire du droit commun. »

L’ANDRH considère que le cadre légal doit évoluer sur certains points.

D’après l’ancienne avocate, tous les textes juridiques existent déjà, mais « l’articulation pour le retour au droit commun sera intéressante ». De son côté, l’ANDRH considère que le cadre légal doit évoluer sur certains points. « Quand un salarié déménage, l’employeur reste tenu de prendre en charge la moitié des frais de transport, ce qui n’est pas toujours supportable financièrement », plaide Audrey Richard. Le dialogue social et la bonne communication entre employés et employeurs seront donc des éléments prépondérants pour gérer ces situations.

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