Cas d’usage d’Atlassian : le retour au bureau a-t-il un intérêt pour la productivité ?
Depuis la généralisation du travail hybride, faire revenir les salariés au bureau est un objectif récurrent dans les entreprises. L’un des arguments avancés pour justifier cette quête : le télétravail nuirait à la productivité. Ayant adopté une approche opposée, laissant la liberté à ses salariés de choisir où ils travaillent, Atlassian partage les enseignements de son expérience, démontrant le contraire de la doxa du présentéisme.

En 2023, plus de 40 % des entreprises interrogées par CBRE associaient la dégradation des perspectives économiques à une urgence d’augmenter le taux de présence au bureau afin de favoriser… la productivité et la performance. Ce lien entre présence sur le lieu de travail et gain de productivité se trouve souvent à la base des discours prônant la limitation, voire la fin, du travail hybride. Pourtant ce lien de causalité existe-t-il réellement ? Et comment peut-on contourner les effets négatifs ?
Un contre-modèle à la politique de retour au bureau, la société internationale de logiciels Atlassian en constitue un assez signifiant. Depuis la pandémie de 2020, l’entreprise a mis en place une approche baptisée « Team Anywhere », dans laquelle les « Atlassiens » peuvent choisir de travailler d’où ils le souhaitent : de chez eux, de l’un des 12 bureaux mondiaux, d’un mélange des deux, ou d’un tiers-lieu. En somme, le personnel travaille de manière distribuée, c’est-à-dire sans être lié à un espace de travail physique.
« Trois ambitions nous ont poussés à concevoir le travail distribué pour Atlassian. D’abord, nous voulions offrir aux employés plus de flexibilité. Team Anywhere signifie que les Atlassiens peuvent choisir où ils où ils travaillent, chaque jour. En outre, nous y avons vu une opportunité d’embaucher des talents plus diversifiés, puisque la proximité d’un bureau n’est plus un facteur déterminant pour attirer un bon candidat. Enfin, nous pensons que nous devions vivre les réalités d’être nous-mêmes hautement distribués afin de pouvoir créer des produits et des pratiques pour aider les autres à bien faire, Pourquoi acheter un logiciel de travail en équipe d’une entreprise qui ne comprend pas comment les équipes collaborent en ligne ? », expliquent Mike Cannon-Brookes et Scott Farquhar, cofondateurs d’Atlassian.
Cette approche singulière fait qu’aujourd’hui, 40 % des employés d’Atlassian vivent à plus de deux heures de route d’un bureau. En outre, l’entreprise estime qu’elle aurait eu besoin de deux fois plus de surfaces immobilières pour absorber sa croissance sans la mise en œuvre de Team Anywhere. En partageant les enseignements de son expérience depuis 2020 dans un rapport intitulé « Lessons Learned : 1,000 Days of Distributed at Atlassian », l’entreprise remet notamment en cause le lien de causalité entre perte de productivité et absence du bureau.
Travail hybride ne signifie pas baisse de la productivité
En interrogeant 100 cadres de Fortune 500 et 100 cadres de Fortune 1 000*, Atlassian note que les dirigeants d’entreprise considèrent la faible productivité comme leur défi numéro 1, devant le suivi des objectifs par rapport aux progrès réalisés. Cependant, seul un cadre sur trois ayant une politique de retour au bureau pense que celle-ci a eu ne serait-ce qu’un léger impact positif sur la productivité.
Dans sa propre expérience, Atlassian relève que les principaux obstacles à la productivité (par exemple, des objectifs et des processus vagues) ne disparaissent pas comme par magie dès qu’un employé entre dans un bureau. Cela étant, certains éléments deviennent plus difficiles à gérer au sein d’une équipe distribuée.
Pour contrecarrer les effets néfastes du travail hybride, l’approche d’Atlassian consiste à mesurer la productivité en fonction des résultats, et non des tâches. « Nous fixons des objectifs clairs et ambitieux et nous nous assurons qu’ils sont visibles pour l’ensemble des équipes », explique le rapport Lessons Learned. Les objectifs et résultats clés (abrégés « OKR » en anglais) sont un système de définition des ambitions qui définissent un résultat souhaité avec une valeur commerciale mesurable, parfois assortie d’une date limite, tandis que les résultats clés sont des actions spécifiques, limitées dans le temps et mesurables qui permettent d’atteindre l’objectif. Ces OKR sont suivi chaque trimestre, afin de s’assurer d’être sur la bonne voie et corriger la trajectoire ou les annuler si nécessaire.
Afin de mieux comprendre comment les équipes distribuées peuvent être efficaces, le Team Anywhere Lab a mené une expérience récente dédiée à la manière d’aider les Atlassiens à structurer leur temps autour de leur travail le plus important. Les participants ont été divisés en deux groupes et ont reçu les recommandations suivantes : les réunions ne devaient pas occuper plus de 30 % de la semaine ; la collaboration ouverte devait représenter 10 à 20 % de la semaine ; le temps de concentration devait représenter environ 30 à 40 % de la semaine et les volontaires ne devez pas répondre aux messages pendant plus de 20 % de la semaine. Au terme de l’expérimentation, 67 % des collaborateurs et 71 % des responsables ont déclaré avoir fait plus de progrès sur les priorités principales que lors d’une semaine normale.
Enfin, le rapport vante les mérites d’un mode d’organisation qui fonctionne de manière synchrone (quand les collaborateurs travaillent ensemble au même moment) et asynchrone (quand ils travaillent de manière décalée). « Les équipes distribuées les plus performantes se concentrent sur la manière dont le temps passé séparément peut favoriser le temps passé ensemble ». L’expérience d’Atlassian conseille de dédier le travail synchrone à la créativité, au traitement des questions complexes et à la création de liens.
* en septembre 2023