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Caroline Elbaz (Oracle) : « Il faut privilégier l’équité de traitement entre les individus »

Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail

Durant toute la durée de la crise sanitaire, Oracle a appliqué une politique particulière. Les 140 000 salariés dans le monde, dont 1 400 en France, sont restés en télétravail complet à partir de mars 2020 durant deux ans. Au sortir de cette longue période, l’entreprise expérimente tout juste l’hybridation du travail, dans une logique très flexible centrée sur les besoins individuels des collaborateurs. Caroline Elbaz, DRH d’Oracle France, nous détaille son approche et sa vision du métier à l’aune de cette ère nouvelle.

Caroline Elbaz, DRH d’Oracle France. - © Oracle France
Caroline Elbaz, DRH d’Oracle France. - © Oracle France

Comment avez-vous géré la période de pandémie chez Oracle ?

Avant la crise sanitaire, le télétravail faisait partie de la culture de l’entreprise, principalement pour les fonctions supports : à l’époque, j’avais déjà entre 150 et 200 personnes qui étaient en full remote. Dès le mois de mars 2020, nous sommes passés en télétravail complet pour tous les salariés et, en Europe, nous le sommes restés jusqu’en mars… 2022 ! Ce choix a été dicté par les différentes vagues épidémiques, qui ont convaincu l’entreprise de ne pas alterner période de réouvertures et de fermetures des bureaux. Toutes les opérations, y compris les négociations salariales, les entretiens d’embauches et la gestion des départs se sont tenus à distance. Cela a permis de limiter drastiquement le nombre de contaminations au sein de nos effectifs.

Cette période a été l’occasion de s’interroger sur l’avenir du travail pour nos salariés. Le changement le plus significatif, c’est que la vie personnelle des collaborateurs est devenue un véritable sujet de préoccupation pour les ressources humaines. Nous sommes sortis de la RH traditionnelle où on applique indifféremment la même politique pour tous, pour passer à un management d’orfèvre et de sur-mesure. Notre job consiste désormais à concilier les besoins individuels avec la bonne tenue du collectif.

Comment s’est effectuée cette transition ?

Durant près d’un an, nous avons négocié avec les syndicats pour établir un accord d’entreprise très innovant. Ce dernier prévoit pour l’ensemble des métiers - exception faite des infirmières et des employés du data center - une organisation flexible définissant pour chacun le nombre de jours qu’il souhaite effectuer en télétravail chaque mois, entre un et trois jours par semaine.

Je ne crois pas à l’idée qui oppose le télétravail dédié aux tâches de concentration et au travail individuel et le bureau qui sert au collaboratif.

Une partie des frais de transport sont pris en charge, même pour les collaborateurs qui déménagent loin, nous donnons la possibilité de travailler dans des tiers-lieux et nous étudions la possibilité de travailler depuis l’étranger. Cette grande flexibilité est conditionnée à l’accord des managers de chaque équipe. Oracle est encore dans une phase d’expérimentation de cette organisation hybride, puisque nous ne l’avons pas vécu durant les deux dernières années. Cette phase doit aboutir en juin aux choix définitifs du régime de télétravail que chaque collaborateur désire avoir.

Finalement, Oracle n’a pas connu une opposition entre télétravail et présentiel ?

Effectivement, nous avons réfléchi en termes de complémentarité entre ces deux modes. Je ne crois pas à l’idée qui oppose le télétravail dédié aux tâches de concentration et au travail individuel et le bureau qui sert au collaboratif. Le télétravail n’empêche pas le collaboratif et la créativité, du moment où les bons outils de mise en relation des collaborateurs sont mis en place. A l’inverse, il faut avoir des espaces pour s’isoler lorsque l’on est au bureau, selon les besoins du moment.

D’un autre côté, le présentiel nourrit l’individu dans sa dimension humaine, au-delà des éléments matériels : l’odeur, le touché, la communication non verbale, l’affection… autant d’éléments fondamentaux qu’il faut maintenir. En somme, le présentiel ne doit pas disparaître, mais il ne faut pas considérer que le télétravail empêche le travail collaboratif.

Le management a-t-il suffisamment évoluer pour s’adapter à cette nouvelle donne ?

Clairement, tous les managers n’ont pas avancé au même rythme. Ceux qui n’ont pas encore effectué leur transition et continuent à gérer leurs équipes à l’ancienne se heurtent à un mur. Cela nécessite de l’apprentissage et de l’expérimentation, il ne s’agit pas simplement d’appliquer des concepts théoriques. L’adaptation à l’hybridation du travail induit aussi de la communication entre les managers et leurs équipes pour mettre en exergue les choses à améliorer.

Quel est le rôle du DRH dans cette transformation du travail ?

Ce rôle doit être beaucoup plus visible aujourd’hui. Auparavant, il existait une culture du secret, les RH étaient un sujet complexe et sensible. La pandémie a mis les ressources humaines au centre du jeu : le ministère du Travail s’est même appuyé sur les positions des DRH pour définir certaines politiques.

Il n’est plus question de simplement appliquer les réglementations égalitairement

Je nous considère comme des agents de la transformation, qui doivent guider, accompagner, faire réfléchir les collaborateurs et le management sur leurs nouvelles façons de s’organiser. Il n’est plus question de simplement appliquer les réglementations égalitairement, mais de rechercher l’équité en prenant en considération les spécificités de chaque individu. Cela induit une complexité accrue de notre action, pour faire accepter nos décisions et dissiper tout sentiment d’injustice qui pourrait faire exploser le collectif.

Ce nouveau rôle nécessite d’avoir une relation de confiance entre le salarié et l’entreprise, ce qui n’est pas toujours le cas…

Il est indéniable que, lorsque l’entreprise refuse des aménagements sur le télétravail, le salarié le perçoit comme un manque de confiance. Quand le télétravail généralisé s’est imposé aux managers, ils n’ont pas eu d’autres choix que de faire confiance à leurs équipes, en passant d’un mode de contrôle à celui du résultat. Dès l’instant où les collaborateurs sont revenus sur site, des mécanismes de contrôle ont émergé à nouveau, des discours du type « on siffle la fin de la récréation » ont été tenus, et la réaction des salariés a été violente. C’est pour cela qu’il faut privilégier l’équité de traitement : prendre en considération les besoins, c’est marquer sa confiance à l’individu sur le fait qu’on ne doute pas qu’il sera investi dans son travail. C’est à cette condition que la relation employeur-employé atteindra la maturité de confiance nécessaire au bon fonctionnement d’une organisation hybride.

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