Jean-Éric Fournier (Covivio) : « La filière bois va faire face à une demande en forte croissance »
Par Alexandre Foatelli | Le | Rse
Dans un souci de transparence vis-à-vis de son action en matière de développement durable, Covivio a publié son premier rapport climat. L’objectif est de répertorier et mesurer les actions mises en place pour accélérer la trajectoire ambitieuse que s’est fixée la foncière. Républik Workplace a interrogé Jean-Éric Fournier, directeur du développement durable de Covivio depuis plus de 13 ans, afin de tirer un bilan des réalisations et évoquer les objectifs pour l’horizon 2030.
En introduction de ce premier rapport climat, Covivio rappelle avoir rehaussé ses engagements initialement pris à la suite de l’Accord de Paris en 2015. Pourquoi cela ?
Notre trajectoire initiale de réduction de nos émissions carbone, amorcée début 2018, était alignée sur le scénario 2°C issu de l’Accord de Paris à horizon 2030. Rapidement, notre ambition a été reconnue par l’initiative Science Based Targets (SBTi). Fin 2021, nous avons voulu mettre à jour ces objectifs pour relever nos ambitions face à l’urgence climatique et intégrer les évolutions de notre portefeuille. Fin 2020, nous étions à -20 % par rapport à 2010, pour un objectif annoncé de -34 % d’ici 2030. Désormais, nous visons -40 % et notre trajectoire est alignée sur un scénario 1,5°C pour nos scopes 1 et 2, comprenant les consommations directes et indirectes des immeubles que nous gérons directement : les parties communes des immeubles multilocataires et notre patrimoine corporate qui accueille nos équipes. Pour le scope 3, qui intègre la construction, la rénovation et l’exploitation des surfaces de bureaux privatives des immeubles multilocataires, les actifs monolocataires et notre parc résidentiel et hôtelier, notre trajectoire s’aligne sur un scénario compris entre 1,5°C et 2°C.
Dans le scope 3, Covivio inclut notamment la consommation des parties privatives. Comment la foncière peut agir sur ce volet ?
En lien avec notre stratégie partenariale et notre raison d’être, nous travaillons en étroite collaboration avec nos clients en menant un travail de sensibilisation sur tous les aspects du développement durable. La majorité de nos locataires tertiaires est constituée de grands comptes avec des implantations immobilières multiples et souvent cotée en Bourse, avec des ambitions environnementales élevées. Dès 2010, nous avons organisé des comités de développement durable avec nos preneurs, ce qui nous a permis d’être en avance sur la réglementation qui a ensuite imposé les annexes environnementales dans les baux commerciaux.
Dès 2010, nous avons organisé des comités de développement durable avec nos preneurs.
À la même époque, nous avions établi une cartographie énergétique et environnementale de notre portefeuille en étroite collaboration avec les utilisateurs et avec l’appui du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB). Cela avait permis de faire ressortir un certain nombre de leviers d’amélioration, sur le bâti, la maintenance/exploitation et les bonnes pratiques des usagers. Plus récemment, l’entrée en vigueur du dispositif éco-énergie tertiaire a représenté une opportunité supplémentaire de nourrir le dialogue avec nos locataires autour de la performance énergétique et de l’empreinte carbone des bâtiments.
Ce scope comprend aussi la construction et la rénovation des bâtiments, qui représentent 57 % de vos émissions. Pourtant, construire et restructurer semblent incontournables. Comment résoudre cette équation ?
En effet, cela représente une source d’émissions importante, mais nécessaire pour permettre d’accompagner la transition de notre portefeuille. Covivio s’engage notamment pour favoriser les restructurations d’immeubles existants afin de s’adapter aux nouveaux standards de performance et aux attentes des utilisateurs. Cela permet aussi de respecter le principe de zéro artificialisation nette qui s’impose notamment pour protéger la biodiversité que pour lutter contre l’effet d’ilot de chaleur urbain. En outre, pour tenter de réduire l’empreinte carbone de ces travaux lourds, nous veillons à privilégier la circularité et utiliser des matériaux durables, recyclés et recyclables, à l’instar de notre opération So Pop à Saint-Ouen où nous avons réemployé des planchers techniques provenant d’un immeuble voisin.
En s’impliquant dans des initiatives telles que le Hub des Prescripteurs bas carbone ou Sekoya, nous parvenons à identifier des solutions innovantes. Nous avons ainsi collaboré avec des entreprises comme Cycle Up ou Circouleur, une startup qui réutilise des pots de peinture peu ou pas utilisés voués à la destruction pour proposer leur propre gamme de couleurs. L’économie circulaire est une réponse très importante dans cette équation. Covivio fait par ailleurs partie du groupe de travail pour la création d’un label construction bas carbone paneuropéen aux côtés de sept autres investisseurs et en lien avec l’association BBCA.
Le rapport Climat 2022 aborde aussi le sujet de la construction bois. Partagez-vous les préoccupations qui se font jour sur la capacité de la filière bois d’absorber une demande exponentielle ?
Cette question est fondée car la filière bois va devoir faire face à une demande en forte croissance. La dernière Réglementation environnementale (RE2020) confère une place importante au bois dans la construction, et nous avons nous-mêmes plusieurs opérations en ossature bois.
La dernière Réglementation environnementale (RE2020) confère une place importante au bois dans la construction.
L’approvisionnement en matière première, dans un contexte géopolitique vecteur d’inflation sur le prix des matériaux et du transport, pose question, tout comme la soutenabilité écologique à long terme de l’exploitation de la ressource. Il sera probablement nécessaire de faire une sorte de clause de revoyure sur l’application de la RE2020 pour en dresser le bilan de faisabilité en fonction de la situation et de faire des ajustements si nécessaires concernant notamment ce sujet.
Quid de l’eau ? Avez-vous des objectifs spécifiques sur votre consommation ?
Sur notre patrimoine de bureaux en France, notre objectif est de limiter la consommation d’eau en deçà de 0,5 m3/m²/an. Dans les faits, nous avons déjà atteint un plancher qu’il sera difficile de surpasser, qui est le fruit d’un travail engagé depuis douze ans. Nous avons également fixé des objectifs pour nos autres portefeuilles en lien avec les spécificités produits et pays. Notre volonté est néanmoins de continuer à maitriser notre consommation à de tels niveaux et restons en veille concernant les nouvelles solutions nous permettant d’y parvenir.
Votre stratégie comporte-t-elle un travail sur la flexibilité des usages à long terme ?
Sur chaque nouveau développement, nous nous interrogeons sur sa capacité à évoluer dans le temps pour s’adapter à différents usages. Cependant, il faut être attentif à ce qu’un immeuble demeure fonctionnel pour son usage premier. Cette adaptabilité s’entend sur le plan physique, mais il y aussi des dimensions numériques à prendre en compte.
Covivio considère ses sites comme des leviers de biodiversité et s’implique depuis plus de dix ans pour le garantir.
Dans tous les cas, elle suppose de ne pas s’arrêter aux besoins exprimés par le preneur au moment de la livraison, mais d’anticiper l’évolution de ses attentes et du marché, afin de mettre en place, dès la conception, des solutions de transformation à moindre coût et moindre nuisance. Par ailleurs, nous menons des analyses de cycle de vie (ACV) des bâtiments depuis 2010 pour mieux appréhender l’empreinte environnementale globale, en termes de carbone, énergie, matériaux, déchets, etc. Ces éléments ont servi au CSTB pour nous fournir un cahier des charges ACV adapté aux pays où Covivio est présent (France, Allemagne, Italie) et aux classes d’actifs que nous opérons (bureaux, résidentiel, hôtellerie).
Les initiatives en matière de biodiversité ont elles un impact réel et mesurable ?
Covivio considère ses sites comme des leviers de biodiversité et s’implique depuis plus de dix ans pour le garantir. En 2021, nous avons par exemple rejoint l’initiative ACT4Nature et, à cette occasion, formalisé de nouveaux engagements en la matière, notamment en travaillant sur des outils de mesure plus précis afin de caractériser les impacts de notre activité sur la biodiversité. Par exemple, sur notre opération de restructuration des Gobelins dans le 5e arrondissement de Paris, la biodiversité a occupé une place importante. Cet actif datant de 1910 possède beaucoup de charme, mais aucun espace vert. Notre projet a notamment consisté à supprimer les locaux techniques dans la cour afin de proposer des jardins en pleine terre et en l’aménagement d’une terrasse végétalisée. Dans ce cas, le « gain de biodiversité » est vite calculé grâce à l’aménagement de ces 360 m² d’espaces verts alors que l’on partait de zéro ! Nous avons néanmoins pris soin de faire venir un écologue quelques mois après livraison pour mesurer le nombre d’espèces présentes sur place. Cependant, il est indéniablement plus facile d’identifier la flore que la faune, qui est mouvante et peut prendre plus de temps à s’installer. Un certain nombre de travaux et de calcul des coefficients biotopes seront publiés prochainement.