Stratégies

Performance énergétique : le tertiaire accélère, mais le défi reste de taille


Le secteur tertiaire est à la croisée des chemins. Face à une conjoncture économique incertaine, marquée par une inflation persistante et une hausse exponentielle des coûts de l’énergie, les bureaux doivent conjuguer performance environnementale et sobriété.

Performance énergétique : le tertiaire accélère, mais le défi reste de taille
Performance énergétique : le tertiaire accélère, mais le défi reste de taille

Dans un contexte de mutation profonde, la mesure des performances environnementales des bâtiments devient essentielle. Le Baromètre de la Performance Énergétique et Environnementale des Bâtiments de l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) se positionne comme un outil clé pour suivre ces évolutions. Réalisé sur une base de données consolidée de 31 200 bâtiments couvrant 113 millions de mètres carrés, il offre un panorama précis du marché tertiaire en France.

L’étude repose sur des données auditées par Goodwill Management, assurant une transparence et une rigueur méthodologique. En intégrant des correctifs adaptés et en excluant les bâtiments non représentatifs, l’OID propose un cadre d’analyse aligné avec les enjeux réglementaires et opérationnels du secteur.

Une trajectoire engagée vers la sobriété énergétique

Sur l’année 2023, la consommation énergétique des bâtiments tertiaires a enregistré une baisse significative, inversant la tendance haussière observée en 2022 avec la reprise économique. Toutes les typologies de bâtiments étudiées dans ce baromètre affichent un recul des consommations d’énergie. L’énergie finale, qui correspond à l’énergie directement utilisée par les bâtiments (électricité, gaz, etc.), atteint ainsi 130 kWh/m²/an contre 205 kWh/m²/an en 2010, tandis que l’énergie primaire, qui inclut les pertes liées à la production, au transport et à la distribution, s’élève à 271 kWh/m²/an comparé à 455 kWh/m²/an treize ans plus tôt. De même, les émissions de gaz à effet de serre diminuent, passant de 22,5 kgCO2eq/m²/an en 2010 à 11,0 kgCO2eq/m²/an.

Avec une baisse globale de 7,1 % de la consommation d’énergie finale et de 6,6 % des émissions de GES entre 2022 et 2023, les résultats du baromètre témoignent d’un engagement croissant des entreprises et des propriétaires vers un immobilier plus résilient et sobre. Toutefois, ces progrès doivent être amplifiés pour inscrire durablement le parc tertiaire dans une logique de neutralité carbone, condition indispensable pour répondre aux objectifs climatiques et aux attentes sociétales en matière de durabilité.

La tendance à la réduction des consommations énergétiques des bureaux s’est poursuivie en 2023, marquant une accélération par rapport aux années précédentes. Après une diminution de 5,6 % en 2022, largement influencée par des conditions climatiques favorables, la chute enregistrée en 2023 est plus significative, atteignant -6,6 % en consommation réelle et même -7,1 % en raisonnant à climat constant. Ce recul s’explique notamment par la mise en place du plan de sobriété énergétique à l’hiver 2022-2023 et par la flambée des prix de l’énergie (+57 % pour l’électricité et +12 % pour le gaz), qui ont incité les entreprises à rationaliser leurs usages et à renforcer leurs actions d’optimisation énergétique.

Cette dynamique s’inscrit dans un mouvement de fond amorcé depuis plus d’une décennie. Entre 2010 et 2023, la consommation énergétique du parc de bureaux a diminué en moyenne de 2 % par an, une trajectoire qui se rapproche des objectifs du Dispositif Éco Énergie Tertiaire (DEET).. Les résultats de 2023 confirment que l’atteinte de ses seuils est à portée de main, à condition que les efforts engagés en matière de performance énergétique et de transition vers des bâtiments plus sobres soient maintenus et encore intensifiés.

 Émission de GES ((kgCO2eq/m²/an) des bureaux, par an - © OID
Émission de GES ((kgCO2eq/m²/an) des bureaux, par an - © OID

Au-delà de l’énergie, une gestion responsable des ressources

Si la transition énergétique est au cœur des préoccupations du secteur tertiaire, la gestion des ressources telles que l’eau et les déchets constitue aussi un enjeu clé. Depuis 2020, la consommation d’eau des bureaux a connu une baisse significative de 19 %, passant de 0,43 m³/m²/an en moyenne sur la période 2010-2019 à 0,35 m³/m²/an entre 2020 et 2023. Cette tendance s’explique en grande partie par la généralisation du télétravail, qui a réduit la fréquentation des bureaux et, par conséquent, les usages liés aux sanitaires et aux cuisines.

Contrairement à la consommation énergétique, qui présente une part incompressible liée au chauffage et à la climatisation des espaces, l’eau est directement impactée par le taux d’occupation des bâtiments. Cependant, cette diminution pourrait être temporaire et variable selon les usages des espaces tertiaires : alors que certaines entreprises ont optimisé leur gestion des surfaces avec des formats plus flexibles, d’autres ont maintenu des bâtiments sous-utilisés, limitant ainsi les économies d’eau potentielles

Parallèlement, la gestion des déchets en entreprise a suivi une évolution plus contrastée. Après une chute marquée en 2020 (127 kg/m²), directement liée aux fermetures administratives et aux restrictions sanitaires, les volumes produits ont progressivement repris leur cours, atteignant 186 kg/m² en 2023. Cette relative stabilité masque toutefois des disparités importantes entre les typologies de bureaux :

Les espaces de coworking et les bureaux partagés tendent à générer plus de déchets.

Pour cause, un turnover plus fréquent des utilisateurs et une diversité des activités sur site.

Face à cette réalité, la mise en place de stratégies de réduction et de tri des déchets devient un levier d’action essentiel. De nombreuses entreprises intègrent désormais des dispositifs de valorisation des biodéchets, des politiques de réduction des emballages et des partenariats avec des filières de recyclage spécialisées. À terme, l’OID souligne que la gestion responsable des ressources devra s’inscrire dans une logique globale d’éco-efficience, intégrant eau, énergie et déchets au cœur des stratégies immobilières des entreprises.

Le télétravail, un levier clé pour la consommation énergétique

Le télétravail a profondément redéfini les dynamiques d’occupation des bureaux et, par conséquent, leur consommation énergétique. L’analyse des données confirme cette mutation : la consommation par mètre carré et par occupant a enregistré une baisse significative en 2023, atteignant respectivement -7,5 % et -1,4 % entre 2020 et 2021, et poursuivant cette tendance jusqu’à -18,2 % par occupant en 2023 par rapport à 2018.

Cette évolution met en lumière un paradoxe intéressant : si la consommation énergétique des bâtiments tertiaires diminue, ce n’est pas uniquement grâce à des gains en efficacité, mais aussi en raison d’une occupation moindre des surfaces. Ainsi, la baisse des consommations ne signifie pas nécessairement une amélioration de la performance énergétique des bureaux, mais un changement dans leur usage.

Comparaison de la consommation d’énergie finale des bureaux, par m² et par occupant (base 100, données ajustées des variations climatiques) - © OID
Comparaison de la consommation d’énergie finale des bureaux, par m² et par occupant (base 100, données ajustées des variations climatiques) - © OID

Des disparités marquées entre les typologies de bureaux

Au-delà des chiffres globaux, la consommation par typologie de bureaux met en évidence une hétérogénéité importante au sein du parc tertiaire. Environ 40 % des bâtiments de bureaux affichent une consommation inférieure à 100 kWh/m²/an, ce qui témoigne de l’efficacité des rénovations et des actions d’optimisation menées ces dernières années. À l’inverse, un quart des bâtiments dépasse encore le seuil de 150 kWh/m²/an, une valeur qui constitue une référence clé pour l’atteinte des objectifs 2030 fixés par le DEET.

La performances énergétiques des bureaux selon leur localisation et leur année de construction met en évidence un double levier d’optimisation pour l’immobilier tertiaire. Les bâtiments les plus anciens, notamment ceux construits avant 1970, restent les plus énergivores avec une consommation finale dépassant 160 kWh/m²/an, tandis que les constructions récentes (post-2013) bénéficient des nouvelles réglementations thermiques et descendent à 128 kWh/m²/an. Si les bâtiments les plus récents bénéficient généralement d’une meilleure efficacité énergétique grâce aux dernières normes thermiques.

Une part importante du parc tertiaire reste à moderniser pour répondre aux exigences de sobriété et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois, l’impact du climat est tout aussi déterminant : à Paris et en Petite Couronne, la consommation énergétique reste élevée (151 kWh/m²/an) alors que la région Méditerranée affiche une performance bien plus vertueuse avec seulement 90 kWh/m²/an, soit une réduction de 40 %. Les émissions de GES suivent cette tendance, atteignant 15 kgCO2eq/m²/an dans la capitale contre seulement 6,2 kgCO2eq/m²/an en Méditerranée.

Répartition des émissions de GES (kgCO2eq/m²/an) des bureaux, par segmentation géographique - © OID
Répartition des émissions de GES (kgCO2eq/m²/an) des bureaux, par segmentation géographique - © OID

Ces résultats du Baromètre 2024 confirment l’accélération de la transition énergétique du parc tertiaire, portée par une baisse marquée des consommations et des émissions de GES. Si ces tendances sont encourageantes, elles restent tributaires d’un contexte économique tendu et des transformations dans l’usage des bureaux. La trajectoire est enclenchée, mais le défi reste de taille pour inscrire durablement le tertiaire dans une logique de neutralité carbone.

Taxinomie européenne : un cadre en décalage avec la réalité énergétique ?

Destinée à identifier les actifs « durables », la Taxinomie européenne repose sur la consommation d’énergie primaire, un critère qui favorise les énergies fossiles au détriment de l’électricité. Or, en France, l’électricité est 3,5 fois moins carbonée que le gaz. Un bâtiment chauffé au gaz peut ainsi être mieux classé qu’un immeuble tout électrique, bien que plus polluant en CO₂.

Cette approche engendre des distorsions majeures dans l’évaluation des performances du parc tertiaire. Selon l’OID, seuls 9 % des bâtiments répondent aux critères en énergie primaire et en émissions de GES. À l’inverse, 6 % des bâtiments sont exclus du classement pour leur consommation d’énergie primaire, alors qu’ils affichent de faibles émissions carbone. À l’heure où le DEET impose une réduction drastique des consommations, une réforme de la Taxinomie devient indispensable. Sans cela, des bâtiments exemplaires pourraient être exclus des financements verts, freinant la transition énergétique du tertiaire.