Stratégies

Manuel Martins (Danone) : « L’IA sera la prochaine révolution du monde du travail »


Aux commandes de l’environnement de travail du géant Danone et membre du jury Worknight 2025, Manuel Martins veille à assurer une qualité de vie au travail uniforme entre les sites tertiaires, les usines et les bases logistiques. Pour Républik Workplace Le Média, il revient sur son engagement dans des initiatives socialement responsables, et partage sa conviction sur l’impact qu’aura l’intelligence artificielle dans les manières de travailler.

Manuel Martins (Danone) : « L’IA sera la prochaine révolution du monde du travail »
Manuel Martins (Danone) : « L’IA sera la prochaine révolution du monde du travail »

Quel est votre périmètre chez Danone ?

Nous sommes présents sur 30 sites à travers la France, dont cinq immeubles tertiaires sur lesquels la direction Environnement de Travail opère avec des équipes internes et les partenaires externes. En complément, j’interviens aussi sur les 13 usines et les sept bases logistiques du groupe, avec un rôle d’acheteur indirect. Lorsqu’on opère à la fois sur des locaux tertiaires, des bases logistiques et des usines, le défi est de veiller à l’uniformité de la qualité de vie au travail de tous les collaborateurs à travers une ossature d’offre de service commune. Notre ambition est de garder les mêmes standards, bien qu’il existe des niveaux de maturité différents en fonction des métiers ou des contextes particuliers sur certains sites. Ainsi les métiers de service comme la propreté où nous sommes en travail en journée depuis 2009 sont très matures en exploitation, alors que la restauration se réinvente.

Au sujet de la restauration et de l’exigence que vous portez, pouvez-vous détailler le partenariat entre Danone et Sogeres ?

Le point de départ de ma réflexion est venu de la loi EGalim 2 qui a, entre autres objectifs, d’assurer la juste rémunération des agriculteurs. Elle vise à renforcer la logique de construction du prix des produits alimentaires « en marche avant », c’est-à-dire à partir des coûts de production des agriculteurs. Je me suis dit que nous pourrions déployer cette approche, mais ultra-localement dans notre offre de restauration. Pour cela, nous avons conclu un partenariat avec Sogeres afin de trouver des acteurs locaux, qui se trouvent être labellisés bio, pour répondre à une partie de nos achats alimentaires sur nos sites de Rueil et de Gif-sur-Yvette. Pour le moment, ce modèle fonctionne à hauteur de 4 % de nos achats.

Dans le cadre de ce partenariat, ce sont les producteurs qui décident du prix des champignons, du lait, des pommes de terre que nous achetons.

Cette démarche est vertueuse car, au-delà de la qualité des produits, elle permet de soutenir les agriculteurs locaux. Dans le cadre de ce partenariat, ce sont les producteurs qui décident du prix des champignons, du lait, des pommes de terre que nous achetons, leur permettant de subvenir correctement à leurs besoins. Sogeres ne modifie pas le tarif qui a été négocié avec le paysan. En outre, nous leur garantissons une durée et un volume de commandes sur une période longue (plusieurs années).

Ce type d’actions nécessite-t-il de lever des freins ?

Cela repose principalement sur une question de volonté. Sogeres a accueilli la démarche très favorablement et je suis en train de reproduire une opération similaire avec Arpège sur un autre site. À mon sens, tous les prestataires de restauration sont prêts à le faire. En tant que client, il suffit d’être clair sur le fait qu’on sort d’une centrale d’achat classique pour signer un contrat tripartite entre nous, le prestataire et le producteur. L’unique contrainte se situe au niveau du prix final : dans la plupart des cas, les produits locaux et bio sont plus onéreux que ceux que les centrales achètent habituellement, et l’enjeu devient alors de limiter l’impact sur le coût de l’assiette.

Il est possible d’y parvenir, notamment en jouant sur les quantités des différents produits en fonction de leur prix afin de maintenir le coût du couvert à un niveau stable. Cela a l’avantage de mettre en valeur le savoir-faire des prestataires de cuisine et de leurs chefs. Maintenant que nous avons fait la démonstration de la faisabilité de cette démarche à hauteur de 4 % de nos approvisionnements, notre objectif est de le répliquer pour atteindre une part toujours plus importante d’achats responsables et ultra-locaux sur la restauration.

Autre initiative responsable, Danone est partenaire des Bureaux du Cœur. Quel est le cadre de celle-ci ?

Comme tous les exploitants, nous travaillons beaucoup sur les talons de consommation le soir et le week-end pour consommer le moins possible lorsque les bureaux ne sont pas occupés : une évidence financière et pour notre planète. C’est pour cela que nombre d’entre nous et de constructeurs œuvrent pour rendre possible la mixité d’usages et ainsi optimiser l’occupation des sites en dehors des jours et horaires ouvrables. En attendant, nous occupons tous des immeubles de bureaux qui sont complètement inutilisés le soir et le week-end. En partant de ce constat, je me suis intéressé aux associations qui aidaient des personnes sans-abri. Parmi elles, j’ai identifié Les Bureaux du Cœur, qui travaillent avec plusieurs autres associations spécialisées dans différents domaines : la chute sociale, les violences faites aux femmes, les réfugiés. Ces associations remontent les cas d’urgence auprès des Bureaux du Cœur afin de trouver des solutions d’hébergement dans les locaux d’entreprises.

Concrètement, nous recevons une seule personne par bâtiment, qui peut circuler librement entre un espace nuit, les douches de la salle de sport et la cafétéria.

Au départ, il s’agissait de PME ou d’artisans. Danone a été la première grande entreprise à faire appel à cette association. À l’époque, ils étaient un peu désabusés car ils se heurtaient toujours aux mêmes freins avec les grands groupes : sécurité, assurances, etc. Après avoir préparé la démarche en interne, je l’ai présentée à la Direction générale de Danone, qui m’a soutenu, avant de la soumettre au CSE. Concrètement, nous recevons une seule personne par bâtiment, qui peut circuler librement dans l’étage entre un espace nuit, les douches de la salle de sport et la cafétéria. Tous les soirs, un repas gratuit lui est proposé par la société de restauration et notre prestataire de propreté, prend en charge son linge.

Quel bilan tirez-vous ?

Cela fait désormais plus d’un an que nous sommes partenaire des Bureaux du Cœur. L’opération se déroule sur un de nos bâtiments, et nous allons déployer sur un deuxième site prochainement et un troisième en septembre. Jusqu’à présent, nous n’avons vécu que de très belles histoires. Il y a aussi des constats d’étonnement : a priori, j’étais persuadé que cet accueil allait créer du lien avec les occupants, mais en réalité ces personnes ont parfois des histoires ou des cicatrices de la vie qu’elles n’ont pas envie de partager. Il faut respecter leur choix.

Début 2023, vous déclariez que l’adaptation des aménagements allait être votre priorité de l’année. Deux ans après, quelles sont vos priorités ?

Parmi les grandes tendances qui ont changé, la multiplication des espaces permettant de faire des visioconférences à proximité des bureaux est devenue le changement majeur. On constate que les collaborateurs ont moins besoin de bureau tout au long de la journée, mais plus d’un mélange entre la salle de réunion, la box non réservable à l’avance et l’espace dynamique informel où ils peuvent faire une visio sans embêter les collègues à leur bureau. Mon actualité est plutôt sur l’offre de services et l’expérience utilisateur à présent : l’hospitality… mais c’est tout un programme dont je vous parlerai une prochaine fois !

Vous faites partie du jury des trophées Worknight 2025. À quelles innovations serez-vous particulièrement attentif ?

Comme bon nombre d’entre nous, le sujet qui me passionne en ce moment s’appelle l’IA. J’ai connu dans ma carrière professionnelle une importante révolution lors de l’arrivée du mail. Depuis, l’usage s’est généralisé et nous sommes arrivés aux messageries instantanées, mais il faut se souvenir qu’il y a eu l’organisation du travail avant et après le mail. Je pense que l’IA est la prochaine révolution d’une telle ampleur et que très peu de personnes touchent du doigt la révolution qu’elle va représenter pour nos organisations et notre manière de travailler.

L’intelligence artificielle va profondément changer la gestion des espaces de travail. Nous ne sommes qu’au début d’une grande révolution !

Dans l’environnement de travail, on observe déjà des réflexions sur le recours à la data pour être toujours plus rapide dans l’analyse et les changements d’aménagements. Je pense que ce développement va se produire très vite de façon naturelle, mais il existe bien d’autres pistes, notamment l’avènement prochain de l’IA physique, c’est-à-dire la capacité de se déplacer et de vérifier que la conclusion issue du traitement des données sur le terrain, pour déclencher des interventions humaines ultra ciblée. Nous ne sommes qu’au début d’une grande révolution !