Béatrice Bellier-Ganiere : « Une foncière publique permettra une gestion stratégique de nos actifs »
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
Cet article est référencé dans notre dossier : Nuit de l'immo 2024 : revivez la seconde édition des trophées de l'immobilier professionnel
Avec ses 190 000 bâtiments et ses près de 94 millions de mètres carrés, la Direction de l’Immobilier de l’Etat (DIE) est à l’avant-garde des enjeux actuels du secteur, notamment sur les évolutions nécessaires des espaces de travail et la transition écologique. À la lueur du rapport d’activité 2023 récemment publié par le service, Béatrice Bellier-Ganiere, directrice adjointe de la DIE et président de son bras armé, Agile, évoque les grands chantiers en cours.
En plus de votre rôle de directrice générale adjointe de la Direction de l’immobilier de l’Etat, vous êtes présidente d’Agile. Quel est le rôle de cette entité et son fonctionnement ?
L’Agence de gestion de l’immobilier de l’Etat (Agile) est une structure qui existe depuis 17 ans, dont le nom actuel a été adopté en 2021, et qui a pour objectif d’être le bras armé opérationnel de la DIE. Il s’agit d’une société anonyme dont 100 % du capital est détenu par l’Etat. L’Agence possède tous les pôles métiers nécessaires à son fonctionnement et recrute des professionnels qui sont pour la plupart des contractuels de droit privé. Son développement a été exponentiel, puisqu’entre 2021 et aujourd’hui, elle est passée de cinq à plus de 80 personnes, et elle emploiera une centaine d’ici la fin de l’année 2024. Les métiers vont « du terrain vierge à la machine à café », c’est-à-dire qu’Agile regroupe des fonctions d’études de marché, d’analyse, de prospection, de montage d’opérations immobilières et de maîtrise d’ouvrage, l’administration des biens, l’entretien-maintenance bâtimentaire jusqu’aux services généraux et au photovoltaïque. Sur ce dernier sujet, l’Agence intervient pour le compte des occupants des bâtiments publics : elle organise la pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures pour permettre l’autoconsommation ou l’autoconsommation collective, et développe la production d’électricité dans ce qu’on appelle les fermes photovoltaïques sur des fonciers de l’Etat. Agile gère ou développe aujourd’hui 3 millions de mètres carrés, dont 240 000 m² SUB pour la gestion de l’exploitation-maintenance.
Que retenez-vous de l’activité de la DIE en 2023 ?
Je retiens en premier lieu le nombre de sollicitations que nous avons reçues, provenant des services de l’État, mais aussi d’acteurs immobiliers externes, pour visiter nos nouveaux espaces de travail à Bercy. En 2023, nous avons accueilli une cinquantaine de visites, et ce chiffre est à près de 80 aujourd’hui, notamment des organismes parapublics tels que La Poste, mais aussi des consultants de la sphère privée, qui étaient tous curieux de voir le travail que nous avions mené. C’est une preuve factuelle que ce que nous avons entrepris marque un tournant symbolique à l’échelle du secteur public et au-delà.
Quels étaient justement les objectifs fixés par le Gouvernement dans cette démarche sur les espaces de travail au sein de la DIE ?
Ce chantier avait plusieurs objectifs. Le premier était de faire de la DIE, qui dans son rôle régalien édicte la stratégie et les normes de la politique de l’immobilier de l’Etat et ses grandes orientations, une vitrine et un démonstrateur. En effet, si nous sommes capables de propulser un espace aussi symbolique que l’administration centrale de Bercy dans des aménagements totalement repensés adaptés aux nouveaux modes de travail, alors cet exemple rend crédible cette évolution pour l’ensemble des administrations publiques à travers le territoire. Cette refonte est aussi un vecteur d’attractivité. Nos jeunes générations ne travaillent plus comme nous travaillions auparavant, elles aiment notamment travailler en mode projet, de manière agile. Et pour cela, il faut proposer une flexibilité de posture maximale, et nous avons pu la mettre en œuvre en aménageant les bureaux de la DIE avec un taux de flex à 0,8 poste/agent. Ce sujet d’attractivité est important aujourd’hui, pour l’Etat comme pour d’autres. Nous souhaitions démontrer que nous savons être agiles et nous adapter aux besoins des jeunes générations. En dernier lieu, ce projet portait également un objectif de sobriété immobilière. À l’image de toutes les grandes foncières et grands propriétaires, l’Etat n’échappe pas à la règle. Au vu des conditions de marché et du prix du mètre carré à Paris, une sous-utilisation des bureaux devient un non-sens et un mauvais usage des deniers publics, auquel nous entendons remédier.
Cette révolution des espaces de travail a-t-elle été bien acceptée par les agents ?
Lors de notre installation, une charte d’utilisation de nos locaux, établie par les groupes de travail, a été proposée aux agents. Au bout de six mois d’installation, un questionnaire a été adressé à tous les agents, qui pouvaient y répondre anonymement, afin de les interroger sur leur degré de satisfaction et tout un ensemble d’items. Il en ressorti un pourcentage de satisfaction de 83 %, ce qui démontre une forte adhésion de leur part. En allant à la rencontre des équipes, Magali Clément, chargée de mission « nouveaux espaces de travail », et Nicolas Blondel, responsable de l’équipe projet et pilote du projet de transformation des espaces de travail de la DIE (nommé depuis inspecteur à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, NDLR), ont aussi pu constater que les échanges sont bien plus fluides entre les agents, mais aussi moins protocolaires entre eux et les membres du Codir, qui n’ont plus de bureau attitré eux non plus.
Les échanges sont bien plus fluides entre les agents, mais aussi moins protocolaires entre eux et les membres du Codir.
Cette démarche a aussi permis d’identifier certains leviers d’amélioration. Un des irritants résidait dans la connectivité du matériel informatique, car nous avions trois générations d’ordinateurs différentes, ainsi que dans le fonctionnement des équipements de visio dans les salles de réunion. Par ailleurs, bien que nous ayons porté une attention particulière à l’acoustique, nous avons eu quelques remontées sur ce sujet liées à des accroissements d’effectifs dans certaines équipes . Il nous a fallu apprendre en marchant, et cette consultation de terrain nous y a aidés.
Quelle est l’approche d’Agile dans les services aux occupants ?
Nous laissons le choix aux « clients internes », à l’instar de ce qui se pratique dans la sphère privée. Ce choix peut être dicté par des raisons de manque de ressources humaines ou des sujets budgétaires. Agile propose une offre socle comprenant l’entretien maintenance classique, c’est-à-dire du FM et du property management, assorti des obligations réglementaires et parfois contractuelles lorsque les occupants ont des engagements vis à vis du bailleur, comme la gestion d’un patio intérieur semi privatif, par exemple. Au-delà, le service aux occupants se compose d’un ensemble de prestations à la carte et à la demande qui peuvent aller jusqu’à la conciergerie. Agile vient aussi en appui pour combler certains manques au sein des sites tertiaires publics : parfois, il n’existe pas de personnel pour gérer le courrier, la reprographie, le mobilier ou le déménagement inter-étage.
La création d’une foncière publique interministérielle a été annoncée en ce début d’année. Quels seront son rôle et ses objectifs ?
Alors que la France est le premier propriétaire immobilier en Europe et gère un parc de près de 94 millions de mètres carrés (en propriété et en locatif), nous sommes un des pays du continent les plus en retard sur la gestion stratégique d’actifs et nous sommes un des derniers à ne pas avoir constitué une foncière d’Etat, alors que certains s’en sont dotés depuis près de 15 ans. Le fait que plusieurs de nos voisins possèdent une foncière démontre qu’il est nécessaire de professionnaliser ce métier qu’est l’immobilier. Si nous voulons rationnaliser de manière performante et professionnelle, avoir une gestion stratégique d’actifs, il faut maîtriser son parc. Cela passe par une vision globale permettant d’organiser des plans pluriannuels stratégiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui au sein de l’État puisque tout ce qui concerne l’immobilier est géré par près de 50 programmes budgétaires, autrement dit des lignes budgétaires différentes.
Cette foncière jouera aussi un rôle d’optimisation financière, car elle saura accompagner les choix d’investissement des décideurs métiers pour tirer le meilleur parti économique d’une opération. Enfin, la foncière permettrait aussi d’accéder plus facilement à l’emprunt car les financements nécessaires à la transition écologique du parc immobilier de l’Etat ne pourront pas uniquement provenir des produits de cessions. Pour cette raison, il faut parfois pouvoir emprunter afin de résilier des baux onéreux, ou encore de prendre le temps de céder, revaloriser ou louer à moindre loyer. Cette foncière doit apporter de la créativité, une capacité d’intervention et une vision stratégique.
La transition écologique est un chantier majeur pour la DIE. Quels sont vos leviers d’action en la matière ?
Parmi les actions menées, nous avons dynamisé notre outil de suivi des fluides au sein de la DIE. Ce dernier nous donne une connaissance plus fine de nos consommations, rassemblées dans une base de données. Cette digitalisation aide à la stratégie en nous indiquant les sites où nous pouvons intervenir pour interpeller et accompagner les gestionnaires. Sur le photovoltaïque, nous avons la chance d’avoir parfois différents immeubles rapprochés, ce qui permet de mettre en œuvre de l’autoconsommation collective. Pour sa part, Agile a été désignée par la Première ministre en octobre 2022 comme étant la « Task force de sobriété environnementale et énergétique de l’État ». Agile a ainsi constitué une équipe de 25 ingénieurs d’efficacité énergétique, qui vont sur le terrain accompagner, former et expliquer comment se gère un bâtiment. Ils sont déjà intervenus sur des centaines de bâtiments, et espèrent atteindre d’ici mars 2025 plus de 3 000 bâtiments.
Comment financer la transition à une telle échelle ?
Depuis 2018, l’Etat a investi via des appels à projets auprès des gestionnaires de sites la DIE, en retenant les projets présentant le meilleur rapport de performance environnementale à l’euro investi. En ce qui concerne le financement, nous faisons effectivement face à la même difficulté que tous les acteurs du secteur, et encore plus au vu de l’ampleur de notre parc. Notre but est que chaque denier de l’Etat dirigé vers l’immobilier soit maintenant prioritairement orienté vers la transition environnementale. Bien que nous devions encore faire des acquisitions neuves pour répondre à des besoins spécifiques d’un ministère ou d’une administration, chaque euro investi est analysé en termes de gain énergétique et environnemental. En cumulant le Plan de Relance lancé en 2020 (2,7 milliards d’euros), la restructuration de cités administratives (1 milliard d’euros) et les appels à projets Résilience un et Résilience deux, c’est près de 4 milliards d’euros qui ont été investis par l’État sur la transition environnementale.
Près de 4 milliards d’euros ont été investis par l’État sur la transition environnementale.
Les produits de cessions et l’optimisation financière contribuent ils au financement de la transition ?
Tout à fait, cela y contribue. 2023 a été une année particulièrement performante en termes de cessions de biens et de redevances locatives réalisées par la DIE depuis 2019. Ces arbitrages concernent aussi bien des actifs à Paris intra-muros que dans les territoires. Ces résultats sont le fruit d’une stratégie de redynamisation des cessions menée depuis quatre ans. Grâce à des outils de suivi numérique, nous avons pu aboutir à un suivi plus fin de ces redevances et obtenir de très bons résultats, dont nous sommes extrêmement fiers et que nous avons mis en avant dans notre rapport d’activité !