Quel environnement de travail… en Inde ?
Le | Modes de travail
Cet été, Républik Workplace Le Média fait ses valises et explore les manières de travailler dans différents pays du monde. Pour notre première escale, Nicolas Cochard de Kardham nous embarque pour une journée de travail en plein cœur de Mumbai, en Inde. Visite guidée.
Par Nicolas Cochard, Responsable R&D de Kardham
Ici, le matin, pour arriver à l’heure au bureau, les salariés doivent se lever tôt, très tôt même, afin d’éviter non seulement d’importants embouteillages qu’on peine même à imaginer depuis Paris, mais aussi la chaleur, pénible. A Mumbai, plus qu’un confort, la climatisation au bureau est salvatrice !
Vu de l’extérieur, le quartier Bandra Kurla Complex n’est pas très différent des autres quartiers d’affaires du monde. Idéalement situé, il se niche à mi-distance du Nord et du Sud de la mégapole de 22 millions d’habitants. C’est un cadre de travail prisé des travailleurs où se mêlent des populations locales en costume, des jeunes à l’allure de startupers et des étrangers dont la présence s’explique par les nombreuses multinationales installées ici. Dans ce morceau de ville moderne et cosmopolite, les tours rappellent les Central Business District que l’on trouve partout à travers le monde, mais l’accueil dans le hall est typique de l’hospitalité réputée des hôtels asiatiques. Et heureusement qu’il y a un accueil pour guider les utilisateurs ! Car les bureaux dans lesquels on travaille se trouvent souvent dans un immeuble aux usages multiples. Un hôtel, une salle de gym, une école supérieure, des restaurants et des logements composent fréquemment ces grandes tours occupées par une population aisée. Quelques explications sont donc bien utiles pour parvenir à s’orienter !
Quartier animé
Lorsque la pause déjeuner arrive, un flux important se dirige vers la rue animée et ses nombreux de points et restaurants abondants. L’offre de plats à emporter, souvent à base de riz, est pléthorique. Mais beaucoup restent à leur poste de travail pour avaler en vitesse quelques victuailles ramenées de chez eux. La pause est de courte durée. Le manager vous attendant de pied ferme au bureau !
Avec son marché de l’emploi très dynamique, les jeunes diplômés de la ville sont très convoités. Alors les entreprises doivent les choyer si elles ne veulent pas les voir partir rapidement. Pour tenter de limiter l’important turnover, la localisation des bureaux s’avère particulièrement importante.
Pour tenter de limiter le turnover, la localisation des bureaux est particulièrement importante.
Parmi les critères d’attractivité : l’accessibilité et un quartier animé pour les sorties, à l’heure du déjeuner comme en fin de journée. Et Bandra Kurla Complex rempli toutes les cases, même s’il redevient bien calme une fois l’afterwork passé. Une situation qui ne devrait d’ailleurs pas durer dans les années à venir, puisque les nombreux programmes immobiliers résidentiels viendront sans doute faire que ce quartier dépassera sa fonction initiale.
Hiérarchie et pression
En leur sein, les bureaux se doivent aussi de garantir le confort des collaborateurs. Ici, sur le plateau, on bénéficie le plus souvent d’une vue dégagée… sur les autres tours. Entre l’ombre des tours et le smog permanent, les rayons du soleil traversent péniblement les vitres. Les open-spaces avec postes de travail attribués sont majoritaires. Les occupants sont très attachés à leur place et viennent au bureau tous les jours : le télétravail reste très peu pratiqué. Par conséquent, les plateaux affichent une forte densité. Une promiscuité bien acceptée… dit-on. Malgré cela, le calme règne sur le plateau.
Les occupants sont ici très attachés à leur place et viennent au bureau tous les jours : le télétravail reste très peu pratiqué.
Ici, les open-spaces ne sont pas pour tout le monde, et le poids de la hiérarchie se fait sentir, avec une double logique. Horizontale, d’abord, car les managers sont dans des bureaux individuels fermés et la frontière statutaire est bien visible. Verticale, ensuite, avec les dirigeants qui disposent d’un étage plus en hauteur auquel personne n’a accès sans en avoir eu l’autorisation. Cette partition hiérarchique est perçue comme normale et n’est en aucun cas source d’insatisfaction. Le poids de la hiérarchie se dissipe peu à peu dans les entreprises liées à la tech, largement sous influence occidentale, mais il existe encore un fort héritage de l’époque coloniale au cours de laquelle l’administration était très hiérarchisée. Les entreprises privées ont par mimétisme adopté ces fonctionnements.
La pression au travail est palpable. Les après-midi sont parsemées de réunions, menées de façon plutôt verticale par des managers dont le retard est fréquent, mais accepté. Autant dire les choses simplement : le management (très masculin) est un management de contrôle.
Pour autant, l’une des compensations réside dans la qualité des espaces de travail offerts. Des salles d’échanges informels et autres tisaneries permettent de se rafraichir, et des salles de repos sont à disposition. Les longues heures de travail ne se font pas dans la même position et il y a du mouvement sur les plateaux.
Les managers sont dans des bureaux individuels fermés et la frontière statutaire est bien visible.
D’une certaine manière, l’évolution positive des espaces de travail est inspirée des standards occidentaux, importés par les nombreux étrangers qui y travaillent. De plus, les salariés indiens sont des professionnels très qualifiés. Rappelons que l’Inde forme environ 350 000 ingénieurs chaque année. Une double causalité permet de comprendre l’aménagement des espaces proposé. D’une part, une logique culturelle amène ici à promouvoir la transparence, avec le fait de pouvoir voir et être vu. D’autre part, la pression du résultat est forte et le besoin d’échanger en circuits courts, verticalement et horizontalement, est un impératif lié à la performance.
De toute évidence, la vie de bureau en Inde n’est pas si différente de celle des autres pays dans lesquels la tertiarisation est forte. Au cœur de la mondialisation, les bureaux indiens sont visuellement identiques à ceux d’autres pays et ce n’est que dans leurs usages que l’on détecte des particularités culturelles, notamment le poids de la hiérarchie, ancrée dans l’ensemble de la société indienne bien davantage qu’ailleurs.
Nicolas Cochard
Historien-géographe et docteur en SHS, Nicolas Cochard déploie et anime la stratégie de R&D pluridisciplinaire de Kardham, qui permet au groupe d’approfondir les connaissances et les réflexions relatives aux environnements de travail à toutes les échelles. Il développe les partenariats avec l’enseignement supérieur et a contribué à la création de la Chaire Workplace Management avec le professeur Ingrid Nappi de l’Essec.