[TRIBUNE] Transformer pour ne plus détruire… sauf en cas de dernier recours
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L’atelier Canal conduit régulièrement des recherches avec le concours de nombreux contributeurs issus de sphères parfois lointaines de l’acte de bâtir. Dans la lignée de ce travail prospectif, la publication de Construire réversible a précédé, en 2017, la parution de Transformation des situations construites en juin 2020. Pourquoi ces thématiques ? Certainement pour répondre, avec d’autres, à l’urgence d’agir. Ne plus attendre pour construire réversible dès à présent, avec la perspective de ne plus démolir demain, sauf à la marge ou en dernier recours.
Au grand chapitre de la transformation, s’il est entendu que tout bâtiment peut avoir plusieurs vies, l’effort semble démesuré pour y parvenir, tant l’architecture de ces dernières années n’a pas été conçue pour durer. Et le plus souvent, la réutilisation de l’édifice, déjà contrainte par sa programmation initiale, sera complexifiée par la multiplication des normes issues d’une conception monofonctionnelle. L’absence d’intérêt, ces dernières décennies, pour le bâti ordinaire, comparée à la course aux performances pour la construction neuve, ont éloigné nos regards des ressources de la ville ancienne et de ses capacités à se redéployer en silence. Pourtant, la conservation d’une architecture réclame désormais une efficience technique égale à celle d’une construction neuve. Triste tableau ? Non. D’évidence nous avons davantage bâti ces dernières décennies que les siècles auparavant, les perspectives de transformations sont immenses, avec le bénéfice de bilans carbone amortis par le passage du temps.
Préférer la réhabilitation à la construction sera bientôt la règle. Mais n’affirmons pas qu’il faille conserver tout ce qui est construit et offrir systématiquement une nouvelle vie à un bâtiment lorsqu’il est dépourvu de magie ou semble inapte à accueillir de nouveaux usages. Sauf à souhaiter investir un coût travaux de 20 à 30 % plus élevé que dans le cadre d’une construction neuve, afficher un bilan carbone vertueux (pas toujours au rendez-vous) ou échapper à des contraintes administratives (de moins en moins bénéfiques), la posture systématique des restructurations lourdes sera rapidement jugée contre-productive si elle n’est pas associée à un second paradigme : l’économie de moyens.
Privilégier les méthodes agiles engageant des réparations strictement nécessaires garantira des délais et des coûts opérationnels sensiblement divisés par deux par rapport aux budgets usuels du marché. Quelles sont les raisons qui obligent les opérateurs à calquer les calculs de la construction neuve sur celles de la rénovation de l’existant ? Principalement les automatismes acquis par les entreprises sur les chantiers neufs, réflexes doublés par l’unicité des produits de second œuvre prescrits indifféremment pour la construction ou la transformation du bâti.
Réparer plutôt que réhabiliter
Préférer la réparation à la restructuration générale d’un bâtiment ancien présente l’avantage de distinguer deux familles de composants : objets performants (industrie) et ressources ordinaires (artisanat). L’équilibre, en termes de programme et de coût, est assuré par ce dispositif à double entrée : confort et neutralité. Assurer le qualitatif d’une opération à hauteur de 60 %, en assumant parallèlement réemploi et détournement élémentaire sur 40 %. Regards transformés, normes adaptées, chantiers optimisés… la réparation par composants élémentaires est une alternative salvatrice aux réhabilitations lourdes, sur le principe transparent de l’obligation de résultat grâce au processus industrialisé et aux ouvertures créées par l’application des dérogations rendues possibles dans le cadre du Permis d’innover (loi ELAN).
Il n’est pas admissible que les opérateurs investissent des budgets supérieurs à la construction neuve pour des opérations de transformation. Il est souhaitable de mettre en place des procédés simples, efficients et garantis, s’éloignant des campagnes de réhabilitation lourde d’immeubles dont l’authenticité finit par disparaitre sous les couches successives de pansements acoustiques et carters thermiques. Préférer la réparation aux collages épais, aux réhabilitations lourdes, ou à la destruction, s’éloigner des modèles conquérants, économiser la matière, redonner de la valeur aux soins…
Le plus modeste des bâtis est né d’une intention, d’une nécessité.
Pour l’architecte, mais aussi pour le maçon, l’opérateur et le destinataire, intervenir sur une situation construite relève plus de la compréhension du sujet, de l’agilité économique, de l’interprétation des normes que de l’exercice du projet. Exceptionnelle ou ordinaire, la situation à transformer existe dans le corps du bâti ; la place est prise. Rien de commun avec la tabula rasa. Le plus modeste des bâtis est né d’une intention, d’une nécessité. En arpentant sa surface, en observant ses fonctions, en découvrant, quand il existe, le génie du lieu, on emprunte les habits qui révèlent son passé. Déclencher la métamorphose réclame une connaissance du sujet, ce qui n’exclut rien des interprétations à venir.
Élément de la mission de maîtrise d’œuvre déconsidéré depuis trop longtemps par une procédure datée régissant les marchés publics, la phase d’analyse d’un bâti existant, décisive pour l’avenir d’un patrimoine doit, en priorité, orienter la pertinence du programme à venir. Contrarier l’énergie d’une construction par une reconversion forcée, c’est l’échec annoncé. Les investigations historiques et techniques sur un site existant sont fondatrices du futur de l’intervention et font heureusement obstacle au geste architectural démonstratif. Principalement légiférés entre 1977 et 1985, destinés à renforcer l’ingénierie et l’essor des constructions neuves, les textes de loi qui définissent rémunérations et délais d’études accordés à l’élément de mission DIAG se révèlent, cinquante ans plus tard, déphasés sur les priorités d’actions et en retard par rapport à l’éveil écologique.
Demain réversible
Peut-on se questionner sur les adaptations de demain ? La morphologie des immeubles existants (comme les conceptions de demain) auront vocation à se transformer rapidement (météorologie, évolution du travail, raréfaction des ressources) vers une économie constructive et environnementale. Préserver une cour centrale, puiser la fraicheur des sols, faire courant d’air, ventiler les escaliers, profiter des paliers, réintroduire les coursives, jouer des persiennes et jalousies seront, par exemple, les nouveaux instruments empruntés à des méridiens plus éloignés. L’observation des architectures existantes, toujours présentes, bénéficient depuis longtemps de ces attributs guidés par le bon sens des anciens… ne les détruisons pas.
Il faut inventer ou retrouver des procédés semi-industrialisés économiquement crédibles, dans l’objectif d’assurer la réversibilité d’usage.
D’autres outils sont attendus pour nous préparer aux enjeux de 2030. La succession des récentes crises a accentué les interrogations dans l’immobilier de bureaux, obsolescence des anciens modèles, stratégie d’atomisation, progression du télétravail… Les réactions ont été immédiates chez les opérateurs, arrêtant, pour certains, des projets engagés. La Ville de Paris encourage déjà de transformer les anciens bureaux en logements. Toutes les constructions ne se prêtent pas à l’exercice, cependant réparer plutôt que détruire afin de créer des habitations ou réinitialiser de nouvelles plateformes de services ensemble une évidence. Sur cet élan pour les opérations à transformer (ou à construire), il faut inventer ou retrouver des procédés semi-industrialisés économiquement crédibles, dans l’objectif d’assurer la réversibilité d’usage quel que soit le programme d’origine. Un bâtiment, plusieurs vies… à condition de prévoir son évolution.
Enfin la transformation d’un bâtiment ne peut être pensée comme un acte solitaire, à l’échelle du territoire, nombreux sont les sites périphériques aux métropoles, mal desservis par les transports, bannis de toute mixité d’usages, cernés de nappes pavillonnaires. Ecartés aujourd’hui, ces territoires sont de prometteurs réservoirs pour demain. À proximité des aéroports, au sein des zones d’activité, des hectares sont disponibles à la mutation : entrepôts, bureaux, ateliers, ruines… pour être transformés en cité artisanale, salle de sport, centre de formation, hôtel, logements, résidences services… Ces constructions souvent délaissées, dressées en acier ou en béton brut sur un système constructif sobre type « poteau-poutre », réunissent de nombreux avantages pour être réparées sur des schémas économiques. En déplaçant circulations et composants techniques à l’extérieur des constructions, les volumes intérieurs peuvent absorber toute activité sur des plateaux libres d’obstacles, flexibles à mesure, comme le commandaient ces anciens programmes. Ces bâtiments recyclés représentent des hectares disponibles, nouveaux terrains de jeux pour fabriquer les villes.
Une prochaine édition de Canal architecture, Zones en déshérence/en devenir, complètera en 2022 les deux précédentes publications, en abordant cette thématique des lieux « laissés pour compte », souvent jugés hostiles, mal desservis, terrains engourdis, bâtisses vacantes, fabriques abandonnées… prometteuses ressources pour demain.
Patrick Rubin
Patrick Rubin est diplômé de l’École Camondo de Paris depuis 1974 et architecte depuis 1993. Il crée l’atelier d’architecture Canal en 1982, aux côtés de son frère Daniel Rubin et Annie Le Bot. Professeur de projet dans des écoles d’architecture depuis 1994 il est nommé en 1998 à l’École d’architecture de la ville et des territoires de Marne-la-Vallée.