Attractivité du bureau : l’esthétique n’est plus un luxe !
Par Alexandre Foatelli | Le | Archi & space planning
Dans la quête poursuivie par la plupart des entreprises tertiaires d’inciter leurs salariés à occuper les espaces de travail, la 11e édition du baromètre SFL-Ifop Paris Workplace 2024 aborde la question sous un angle singulier : la qualité esthétique. Les résultats mettent en exergue l’importance du « beau » et esquissent une recette du bureau séduisant.
Depuis que le télétravail s’est généralisé à cause de la pandémie de Covid-19, les entreprises ont été prises entre deux injonctions : optimiser les surfaces devenues superflues, tout en cherchant à remplir les mètres carrés restants en incitant les salariés à préférer le travail en présentiel plutôt que chez eux. Au regard du dernier Annual Workplace Report publié par Measuremen, le taux d’occupation moyen des bureaux se situe à 35,1 % en 2023, montrant que la quête d’attractivité des espaces de travail est encore loin de toucher à son terme.
Si l’on aborde souvent la question de l’attractivité sous l’angle des services aux collaborateurs ou de la bonne adéquation entre le workplace et les métiers, l’esthétique pure des bureaux est souvent dans l’angle mort des analyses. Et pour cause : l’appréciation de la beauté est subjective. Afin de tenter de l’objectiver, la 11e édition du baromètre SFL-Ifop Paris Workplace a mis en œuvre une méthodologie singulière. Pour la première fois, l’Ifop a adressé un questionnaire visuel en complément, permettant aux 1 300 salariés franciliens interrogés de se positionner sur des éléments esthétiques concrets, permettant d’identifier un certain nombre d’invariants qu’on retrouve quels que soient l’âge, le sexe, le lieu de travail ou le niveau de rémunération. L’étude SFL-Ifop Paris Workplace 2024 révèle ainsi les ingrédients d’une « recette universelle » pour attirer les salariés, reposant notamment sur les critères esthétiques.
Les Commandements d’un bureau attractif
Plus c’est beau, plus c’est bon
Si la majorité des entreprises, voire la totalité, se posent concrètement la question de l’attractivité de leurs locaux, les conclusions du baromètre Paris Workplace démontrent qu’elles ont raison. La crise sanitaire a provoqué un basculement : désormais, le bureau est considéré majoritairement par les salariés comme « un lieu de vie où ils aiment passer du temps » plutôt qu’ « uniquement un lieu de travail où ils préfèrent passer le moins de temps possible ».
En outre, les données sur la fréquence de télétravail en jours par semaine collectées par le sondage de l’Ifop montrent un tassement, avec seulement 1,5 jour/semaine désormais, soit le plus bas depuis le confinement de 2020. Un chiffre qui ne dit pas à lui seul si cela est dû à un durcissement des règles de télétravail ou par un regain de l’envie de revenir au bureau (ou les deux), mais qui de fait illustrent l’importance de se soucier des bureaux à partir du moment où ils redeviennent le principal lieu de l’activité professionnelle.
Dans cette nouvelle donne, le critère esthétique se distingue comme un facteur prépondérant. Les salariés expriment une volonté de passer du temps dans un cadre de travail agréable, et la corrélation statistique relevé par le baromètre Paris Workplace 2024 est limpide : plus un salarié trouve ses bureaux beaux, et plus sa note de bien-être est élevée. Ainsi, les salariés qui accordent une note esthétique très élevée à leurs bureaux (supérieure ou égale à 9 sur 10) ont une note de bien-être largement supérieure (8,7 contre 7,1 en moyenne pour l’ensemble des salariés). À l’autre bout du spectre, ceux qui accordent une note esthétique égale ou inférieure à 5 /10 à leur lieu de travail affichent une note de bien-être moyenne de 5,8, soit 1,3 points de moins que la moyenne générale.
Par conséquent, les salariés jugent quasi-unanimement qu’il est « important qu’une entreprise dépense de l’argent pour la décoration de ses bureaux » (87 %). Une corrélation qui se vérifie aussi d’un point de vue négatif : lorsque des salariés jugent que « les locaux de leur entreprise sont sales » (le cas de 23 % des répondants) ils ont une note de bien-être nettement inférieure à la moyenne (6,6 vs 7,1) et sont deux fois plus nombreux à avoir une mauvaise image de la performance de leur entreprise. Ce phénomène s’explique aussi par le fait que les salariés comparent leurs bureaux avec leur propre domicile. Ainsi, 43 % des salariés jugent que leur espace de travail est plus beau « chez eux lorsqu’ils télétravaillent » que dans les locaux de leur entreprise. Dès lors, ces mêmes salariés pratiquent plus de travail à distance : 2,1 jours par semaine, contre 1,5 jours en moyenne, et sont aussi moins attachés à leur entreprise (68 %) que la moyenne (75 %).
Le bureau « hôtel » plébiscité
Pour avancer dans la recherche d’un « bureau idéal », le baromètre Paris Workplace 2024 a recueilli les préférences des salariés en comparant un bureau fonctionnel classique à quatre formes archétypales - bureau haussmannien, bureau startup, bureau scandinave, bureau lounge d’hôtel - à travers cinq critères : esthétique, désirabilité, créativité, bien-être et travail en équipe. Au jeu des comparaisons, c’est le bureau-hôtel, intégrant les codes de l’hôtellerie dans ses aménagements, qui triomphe sur le critère esthétique (43 %), devant le bureau haussmannien. Un résultat qui se confirme quelque soit les catégories de population : 47 % chez les - de 35 ans, 38 % chez les + de 50 ans, 42 % pour les hommes, 44 % pour les femmes.
Selon SFL et l’Ifop, plusieurs facteurs explicatifs permettent d’analyser ce plébiscite. D’abord, le fait que ces espaces présentent des atouts différenciants : des volumes hors norme synonymes de services intégrés (restauration, conciergerie, accueil), un soin apporté au design avec la recherche d’une signature identitaire, un mobilier qui casse les codes du bureau classique tout en offrant un bon niveau de confort, des espaces ouverts facilitant les rencontres et les interactions tout en préservant l’intimité. En outre, cette nouvelle esthétique a été largement adoptée et popularisée par les tiers-lieux et les espaces de coworking, eux-mêmes étant associés à des notions de souplesse, de liberté et de métiers à haute valeur ajoutée. Dernier argument, les hôtels eux aussi ont fait évoluer leurs propres codes ces dernières années, en aménageant de plus en plus les halls d’accueil vers des lounges et bars facilitant les rencontres professionnelles et le travail à distance. La frontière entre hôtellerie et bureau s’est estompée dans l’esprit des salariés, comment en témoigne certains partenariats entre opérateurs de tiers-lieux et groupes hôteliers.
Cependant, les réponses collectées par le baromètre montrent que le bureau-hôtel se positionne bien sur d’autres items. Lorsqu’il est question de performance, de créativité ou de bien-être, cet archétype arrive systématiquement entre la première et la troisième place. A contrario, le bureau startup semble avoir perdu sa « hype » des années 2000, et ne fait plus consensus avec ses baby-foot, ses hamacs ou son identité visuelle marquée. Il n’arrive qu’en quatrième position sur le critère esthétique et troisième position pour la désirabilité, même s’il reste synonyme de créativité pour de nombreux salariés, au coude à coude avec le bureau scandinave - 27 % (1ère position).
Pour sa part, le bureau haussmannien, avec ses grands volumes, ses ornements, la noblesse de ses matériaux et son caractère statutaire, reste un classique parisien qui se positionne en deuxième position pour le critère de l’esthétique (27 %). Il affiche néanmoins ses limites sur le critère du collectif, les salariés exprimant majoritairement une préférence pour les espaces ouverts plutôt que les bureaux fermés. Quant au bureau scandinave, avec son mobilier en bois, sa lumière douce et son design épuré, il est sans surprise associé au bien-être pour 35 % des femmes (1ère position) et 21 % des hommes (2e position) et de créativité, pour 26 % des salariés (2e position).
Enfin, le baromètre Paris Workplace 2024 note que l’esthétique passe, selon les salariés, par l’adoption d’un parti-pris en termes d’architecture et de décoration, à rebours de la théorie de la neutralité qui parlerait à tout le monde. Le bureau « neutre », qui se présente comme un espace purement fonctionnel, est considéré avant tout comme un environnement de travail pour le travail en équipe (47 %). Seuls 5 % des salariés le jugent beau, 5 % propice au bien-être, 9 % à la créativité. Un chiffre faisant écho aux 70 % de salariés souhaitant que les bureaux d’une entreprise soient décorés aux couleurs de sa marque.
Les quartiers de bureau ne sont pas les plus beaux
Parce que l’esthétique d’un immeuble passe aussi par son aspect extérieur et son environnement urbain, l’Ifop a sondé les salariés sur les critères définissant un « beau quartier » de bureau. Le caractère historique, mixte et urbain, sont ceux qui ressortent principalement. Ainsi, ce sont les quartiers vivants avec des bâtiments bas, une ambiance urbaine animée, des terrasses, des immeubles d’habitations, des rues étroites qui remportent les suffrages. Les quartiers haussmanniens, quoique recueillant des scores élevés, arrivent en deuxième position (27 %), devançant les quartiers d’affaires de grande hauteur, ainsi que les campus de bureaux qui ne recueillent respectivement que 15 et 16 % des préférences.
Ces résultats visuels se vérifient dans le questionnaire écrit. Ainsi, une large majorité des sondés (79 %) préfère travailler dans « un quartier mixte, comprenant bureaux, commerces et logements » plutôt que dans « un quartier d’affaires comprenant principalement des bureaux » - des résultats stables depuis plus de sept ans.
Alors que les salariés ont été invités à évaluer - note de 1 à 10 - la beauté du quartier dans lequel se trouve leurs bureaux, les notes données par ceux travaillant à Paris Centre Ouest (7,4) sont nettement plus élevées que la moyenne (6,4). Une hiérarchie esthétique qui se vérifie lorsque la question porte sur le plus beau quartier pour travailler en Ile-de-France. Les Franciliens votent d’abord pour Paris Centre Ouest (39 %), devant Paris Rive Gauche (21 %) et La Défense (13 %). La réputation du quartier d’affaires ne semble cependant pas affecter ceux qui y travaillent : les salariés basés à La Défense le place en tête de leur classement. Ces résultats confortent l’enseignement précédent sur l’esthétique haussmannienne : les salariés accordent plus de valeur, du moins sur le plan de la beauté, à des quartiers ou des immeubles qui n’ont pas été pensés originellement pour cela.
Les ingrédients pour proposer un « beau » bureau
Le baromètre livre des éléments pour identifier, concrètement, les espaces sur lesquels doivent porter prioritairement les efforts des entreprises pour améliorer la qualité esthétique de leurs locaux. Le premier espace à soigner est celui où l’on entre en premier, le hall d’accueil, cité par 44 % des répondants, devant les espaces de services (41 %) les parties communes (escaliers, couloirs, sanitaires) (39 %), les salles de réunion (37 %) ou l’espace de restauration (30 %). Concernant l’espace de travail individuel, les items les plus importants aux yeux des salariés sont dans l’ordre la lumière (65 %, dont 71 % chez les femmes), avant les équipements techniques (écrans, ordinateurs - 41 %) et le mobilier (40 %).
Enfin, un bureau agréable est un bureau vivant… mais pas trop ! En 2019, l’étude Paris Workplace identifiait un niveau optimal d’interactions humaines au travail de 3 à 10 personnes. Moins de 3 interactions par jour générait de l’isolement ; plus de 10, du stress. Le sondage visuel du Paris Workplace 2024 confirme ce choix d’une densité mesurée : en ayant le choix entre des images avec 3, 8, 15 et 20 personnes, les salariés donnent une préférence nette (45 %) à la deuxième option.
« Chaque jour, le télétravail nous met face à un choix cornélien : soit je reste à la maison, soit je vais au bureau. Le salarié est confronté à deux options très différentes d’environnements de travail. C’est bien en se distinguant sur un plan fonctionnel, en encourageant le collectif plutôt que l’individuel, mais également par son esthétique singulière que le bureau va se démarquer du domicile. Plus les collaborateurs ont ce choix, plus ils sont sensibles à la désirabilité de leur bureau et donc à l’esthétisme. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles nous assistons depuis quelques années à une entrée fracassante des codes de l’hôtellerie dans l’univers du bureau », résume Dimitri Boulte, directeur général de SFL.
En tout état de cause, l’esthétique revêt un caractère important dans l’attractivité des environnements de travail, au même titre que les services ou la localisation.
Avoir des beaux bureaux, c’est bien… mais avoir de beaux collègues, est-ce mieux ?
Interrogés sur l’apparence physique de leurs collègues, les salariés leur accordent une note de 7,2 sur 10. Les femmes sont légèrement plus indulgentes que les hommes, puisqu’elles accordent une note de 7,4 sur 10. Et cela ne paraît pas totalement négligeable, car ceux qui accordent une note très élevée à la beauté de leurs collègues (supérieure ou égale à 9 sur 10) ont une note de bien-être plus élevée (7,9) et même un attachement à l’entreprise (83 %) supérieur à la moyenne (75 %).
Cette année, en complément des questions écrites, les sondés ont été invités à réagir à des visuels : 45 photos d’espaces de travail, d’immeubles et de quartiers, choisis pour être également attractifs et représentatifs de l’offre de bureaux dans la région capitale. Certaines des images ont été générées par l’intelligence artificielle.
Pour approfondir son étude, SFL a réuni à Paris, en partenariat avec le spécialiste allfactory, deux panels d’employés franciliens, sélectionnés selon des critères de représentativité, pour écouter et analyser leurs perceptions et attentes en termes de « beau ».