Chacun son café, du militantisme au business model vertueux
Par Alexandre Foatelli | Le | Rse
Née il y a près de 20 ans d’une opposition aux capsules en aluminium, l’entreprise Chacun son café a réorienté sa lutte vers la racine, en s’engageant auprès des producteurs. Agissant désormais sur l’ensemble de la filière, la société certifiée B Corp œuvre à redonner du sens à une filière marquée par les inégalités, en promouvant un modèle économique vertueux sur le plan social et environnemental.
En 2005, deux ans avant que George Clooney devienne le VRP mondial de la marque Nespresso, Marc Gusils s’extrait du secteur du luxe où il officie depuis 20 ans pour lancer Chacun son café. Son acte fondateur : une opposition farouche aux capsules de café, perçues comme énergivores et contre-nature, faisant d’une ressource agricole un produit industriel de moindre qualité.
« L’idée était de redonner ses lettres de noblesse et du sens à l’artisanat de la torréfaction », souligne Margaux Roux, responsable RSE et relations publiques pour Chacun son café.
À rebours du développement massif des capsules en aluminium, l’entreprise se développe sur Internet, sur le marché parallèle des dosettes papier et en faisant partie des pionniers à installer des machines à grains dans les entreprises. À l’aube de la décennie 2010, elle compte parmi les premières entreprises à recourir au financement participatif, en regroupant 192 investisseurs via la plateforme WiSEED.
Prise de conscience
Au bout de dix ans d’évangélisation contre l’usage des capsules et le système propriétaire de Nespresso - qui lui vaut un procès contre le géant en 2012 - Chacun son café et ses membres prennent conscience que cela ne représente qu’une partie de l’équation d’une filière « marquée par l’inégalité entre des cultivateurs vivant souvent sous le seuil de pauvreté et des multinationales captant l’essentiel de la richesse créée », pointe Margaux Roux. Une inégalité sociale conduisant à un souci écologique : « les cultivateurs pauvres cherchent à augmenter leur rendement en recourant à une agriculture intensive, monovariétale, à grand renfort de déforestation et d’intrants chimiques », déplore Margaux Roux.
L’entreprise décide donc de concevoir un modèle économique permettant au consommateur final de soutenir les producteurs et promouvoir des méthodes de culture vertueuses. « D’un impact militant, nous sommes passés à un impact par notre business model », résume Margaux Roux. Ce modèle se décline en une locution : one cup, one cent.
Chaque centime compte
Le modèle est simple : chaque fois qu’un collaborateur d’une entreprise-cliente se fait un café, il reverse un centime, soit 5 % du chiffre d’affaires généré par la vente du café. De 2015 à 2021, Chacun son café développe un premier projet au Nicaragua, en finançant des micro-crédits au profit d’une coopérative composée de femmes célibataires. Depuis, l’entreprise certifiée B corp en février 2021 - la première de la filière café en France - s’est réorientée au Cameroun à la suite de la rencontre avec Soulé Fondouo, jeune entrepreneur local. « En découvrant que le prix d’un café servi à Paris, où il faisait ses études, équivalait à l’achat de 60 kilos de grains au Cameroun, il a créé sa propre coopérative dans la région du Noun en 2013. Nous l’avons rejoint l’an dernier pour développer et massifier son projet », raconte Margaux Roux. La coopérative Terra Noun regroupe aujourd’hui 1 000 fermiers et la région du Noun présente un potentiel de 42 000 cultivateurs.
Chaque fois qu’un collaborateur d’une entreprise-cliente se fait un café, il reverse un centime.
En s’investissant dans la production, Chacun son café agit désormais comme une centrale d’achat auprès des agriculteurs, en jouant aussi le rôle d’artisan torréfacteur et de distributeur pour les sociétés et les particuliers qui passent commande. Sur son site, l’entreprise vend toujours des cafetières et des machines à grains et propose tout le service d’entretien après-vente classique.
Caractère social
Le vrai facteur différenciant de Chacun son café repose donc sur son statut d’entreprise à impact, qui bénéficie aux clients. « Nous apportons aux grands groupes des données extra financières à intégrer à leurs rapports RSE ou ESG, indique Margaux Roux. Chaque année, nous leur donnons le nombre de fermiers dont ils ont accompagné la transition vers le bio, le nombre d’hectares de forêt restaurés ou encore le nombre d’arbres plantés. » En complément de l’aspect RSE, Chacun son café affiche des prix « alignés avec ses concurrents sur le grain et presque 50 % moins cher que les capsules. »
L’entreprise souhaite chercher des financements internationaux d’organismes publics et de fondations privées.
Le modèle de Chacun son café a déjà séduit 500 entreprises de toutes tailles, où les cabinets (comptable, conseil), les ETI et les PME sont très représentés, aux côtés de grands groupes. « Notre volonté est désormais de cibler plutôt les grandes entreprises, car plus le nombre de salariés est conséquent plus l’apport pour le projet est important », plaide Margaux Roux.
En complément du volet commercial, l’entreprise B corp souhaite cette année chercher des financements internationaux d’organismes publics et de fondations privées, à l’instar de l’AFD, de l’ONU ou du fonds carbone Livelihoods de Danone. « Il s’agit de solliciter des organismes en capacité de financer un projet de reforestation massive pour pérenniser le projet, afin d’intégrer la forêt dans le système économique des fermiers durablement », explique Margaux Roux. Pour garantir ses chances d’attirer ce type de fonds, Chacun son café envisage de changer les statuts de la coopérative Terra Noun pour en faire une ONG. Une manière d’affirmer encore un peu plus le caractère social de l’entreprise.