Décret tertiaire : que nous apprennent les premières données de la plateforme Operat ?
Par Alexandre Foatelli | Le | Rse
Premier jalon dans la mise en œuvre du Dispositif Eco Energie Tertiaire, plus communément appelé décret tertiaire, la plateforme Operat centralise les déclarations de consommation d’énergie des bâtiments des assujettis. L’Agence de la transition écologique (Ademe), chargé du développement de cet outils, publie les résultats d’une première analyse des 740 000 déclarations déposées au 31 janvier 2024, en collaboration avec l’OID et le Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des Territoires.
Fruit d’un processus au long cours, entamé depuis le Grenelle de l’Environnement (2007-2009), concrétisé par la loi Elan (2018) puis mis en application par la publication du décret tertiaire (2019), le Dispositif Eco Energie Tertiaire (DEET) encadre les objectifs de réduction de la consommation énergétique du parc immobilier tertiaire en France. S’imposant à tous les bâtiments tertiaires dépassant 1 000 m², le dispositif fixe un objectif de réduction des consommations énergétiques allant jusqu’à 60 % d’ici 2050, sachant que ces dernières représentent aujourd’hui 17 % de la consommation d’énergie finale française.
Si le pilotage du DEET est assuré par la Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, c’est l’Agence de la transition écologique (Ademe) qui assure le développement de la plateforme Operat (Observatoire de la Performance Energétique de la Rénovation et des Actions du Tertiaire) sur laquelle les acteurs assujettis sont tenus de déclarer les consommations de leurs bâtiments.
Au 31 janvier 2024, la base de données Operat comptait 740 000 déclarations, représentant 46 % de la surface totale du parc tertiaire
Au 31 janvier 2024, la base de données Operat comptait 740 000 déclarations réparties sur quatre années de consommation (année de référence, 2020, 2021, 2022), représentant 46 % de la surface totale du parc tertiaire. L’Ademe publie une première analyse issue de ces données, réalisée en collaboration avec l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID).
Où en sont les consommations d’énergie dans le parc tertiaire ?
Depuis 2018, l’OID accompagne l’Ademe dans le développement de la plateforme Operat et la DGALN dans la mise en application du décret tertiaire. L’Observatoire était aussi un des co-pilotes du groupe de travail chargé de réfléchir aux valeurs absolues pour les bâtiments de bureaux, avec l’Association des Directeurs Immobiliers (ADI) et l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (Ifpeb). C’est donc logiquement que l’OID a été missionné par l’Ademe pour produire cette première analyse des données brutes déclarées via Operat. S’appuyant sur les travaux effectués dans le cadre du BPE (voir encadré), l’OID a notamment élaboré une méthodologie d’analyse et de fiabilisation des données de consommation énergétique. Une méthodologie consistant à calculer un score de fiabilité pour chaque déclaration permettant de filtrer celles considérées comme incomplètes ou erronées.
En raisonnant à partir des surfaces déclarées pour l’année 2021, les estimations font état d’un taux de remplissage de 57 % du parc assujetti au décret tertiaire, évalué à 996 millions de mètres carrés. L’analyse de cette base de données conséquente renseigne sur les catégories d’activité les plus représentés, en surface comme en consommation d’énergie.
Il ressort que les catégories bureaux, logistique, enseignement, santé et commerces représentent à elles seules plus des trois quarts des surfaces (77 %) et des consommations (76 %) déclarées. Alors que les bureaux et les actifs de la catégorie « Autres »* ont un « poids » équivalent en surface et en consommations, les données soulignent que certaines typologies présentent des écarts entre les surfaces qu’elles occupent et l’énergie qu’elles consomment. Par exemple, la logistique totalise 14 % des 571 millions de mètres carrés renseignés sur Operat pour seulement 9 % des consommations. À l’opposé, la santé consomme plus (20 %) par rapport aux surfaces qu’elle occupe (13 %).
Par ailleurs, l’étude nous renseigne sur l’évolution de de la consommation totale (en TWh PCI) du parc déclaré. Ainsi, entre la période de référence et 2022, la consommation a baissé de 22 %. Entre 2021 et 2022, année marquée par une flambée des prix de l’énergie tempérée par un climat plus doux que la moyenne, une baisse de 6 % a été observée.
Enfin, des ratios de consommation surfaciques moyens sont calculés**, afin de représenter la consommation d’un bâtiment typique de sa catégorie et son évolution au cours du temps. Ceux-ci confirment certaines tendances observées dans le Baromètre de la performance énergétique et environnementale des bâtiments (BPE) publié depuis 2012 par l’OID : un rebond de consommation en 2021 à la suite des confinements de 2020, suivi d’une nette baisse en 2022, due à l’envolée des prix de l’énergie et un hiver particulièrement doux.
Quelles différences avec les données du BPE ?
En complément de ce premier regard sur les données Operat, l’Ademe et l’OID les ont mises en perspective avec celles du BPE, pour quatre catégories d’activité.
Malgré des écarts notables entre les consommations moyennes, qui se retrouvent également dans l’Index ESG publié par Deepki, leur évolution relative, calculée ici entre 2021 et 2022 à périmètre constant, montre des résultats comparables. Pour les catégories Santé, Hôtels et Commerces, la composition de l’échantillon peut expliquer les écarts observés, en raison la proportion de sous-catégories plus ou moins énergivores dans chacun de ces trois échantillons.
En revanche, concernant les bureaux, il n’existe pas de sous-catégories clairement identifiées permettant d’expliquer de tels écarts de consommation. L’étude convient qu’il est nécessaire de pousser l’analyse plus loin, mais propose plusieurs facteurs d’explication.
Une première explication de l’écart observé pourrait se trouver dans la différence de périmètre étudié. La base Operat couvre en effet une surface bien supérieure à celle de l’OID. Néanmoins, en se référant aux bureaux parisiens, périmètre sur lequel la représentativité des bases BPE et Operat est du même ordre (30 % des surfaces), le même écart que sur les consommations calculées sur la France entière est observé : 162 kWh/m²/an et 126 kWh/m²/an respectivement pour le BPE et Operat, soit un écart de 29 %, identique à l’écart observé sur la France entière. Il ne s’agit donc pas d’un manque de représentativité de l’échantillon BPE.
Une deuxième piste réside dans l’unité sur laquelle sont calculés les consommations : le bâtiment pour le BPE contre l’entité fonctionnelle assujettie (EFA) pour Operat. Ainsi, les consommations des bâtiments de la base BPE peuvent inclure celles d’autres types de surface (local serveur, commerce de pieds d’immeuble, bureaux des commerces), comptées séparément dans Operat. Une consolidation des données Operat à la maille bâtiment serait nécessaire afin de tester cette hypothèse.
Enfin, une dernière explication se trouve dans la complétude des données, des déclarations parcellaires pouvant effectivement tirer la consommation moyenne vers le bas. En conclusion, ces travaux posent les bases d’une méthodologie d’analyse des données Operat, afin notamment d’évaluer la complétude des déclarations.
Le BPE, précurseur des données de consommations énergétiques
Lors de la publication de la loi Grenelle II en 2010 qui imposait au secteur immobilier (résidentiel et tertiaire) de réduire de 38 % ses consommations énergétiques, aucun élément chiffré permettant de servir de référence n’existait. C’est pourquoi sept acteurs de l’immobilier ont décidé de mettre les données techniques et environnementales de leur patrimoine en commun au sein de l’OID afin de pouvoir calculer des indicateurs de référence pour le marché tertiaire. Ainsi, depuis 2012, l’Observatoire publie tous les ans le Baromètre de la performance énergétique et environnementale des bâtiments (BPE), qui fournit au secteur des indicateurs de consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre notamment, mais également des indicateurs de consommation d’eau et de production de déchets, pour différentes typologies de bâtiments (bureaux, commerces, santé, hôtels…). En 2023, la base de données de l’OID comptait plus de 27 900 bâtiments représentant 91 millions de mètres carrés.
* La catégorie « Commerce alimentaire » contient les grandes surfaces alimentaires et les commerces de détail alimentaires. La catégorie « Commerce autre » contient les grandes surfaces spécialisées, les grandes surfaces de bricolage et les autres commerces et services de détail non alimentaires. La catégorie « Autres » contient toutes les autres catégories définies dans l’étude (Hôtels, Restauration, Sport, Transports, Culture, Stationnement…).
** Les ratios de consommations sont calculés sur les déclarations couvrant une année complète et dont la catégorie d’activité majoritaire représente plus de 90 % de la surface totale de l’entité fonctionnelle assujettie (EFA). La période de référence (REF) contient plusieurs années de consommation, entre 2010 et 2019, parmi lesquelles les années 2017, 2018 et 2019 représentent 51 % des déclarations.