Stratégies

[SYNTHESE] Marché de bureaux : une demande résiliente… qui ne compense pas l’offre

Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier

D’après les chiffres d’Immostat, l’année s’achève avec une demande placée de 1 932 000 m² en Ile-de-France. Malgré une baisse de 17 % sur un an, les brokers soulignent que les entreprises ont été au rendez-vous, particulièrement sur les moyennes surfaces. En revanche, ce niveau de demande ne suffit pas à combler le gouffre béant qui se creuse avec l’offre disponible.

Immostat et les brokers tirent le bilan du marché immobilier en 2023. - © Getty Images/iStockphoto
Immostat et les brokers tirent le bilan du marché immobilier en 2023. - © Getty Images/iStockphoto

L’an 2023 avait débuté sur une brusque de dégringolade de 39 % de la demande placée au premier trimestre. Au moment de faire le bilan des douze derniers mois, les brokers cherchent et trouvent un brin d’optimisme dans les chiffres publiés par le GIE Immostat. Au total, le marché francilien enregistre 1 932 000 m² de bureaux placés sur un an.

Certes, ce chiffre marque une baisse de 17 % comparé aux 2,3 millions de m² commercialisés en 2022, et le dernier trimestre 2023, qui totalise 526 200 m², est inférieur de 22 % à celui un an auparavant. Mais les conseils considèrent que l’activité sur le marché des bureaux en Ile-de-France s’est montrée relativement résiliente, au regard d’un niveau inférieur « que » de 12 % comparé à la moyenne décennale, alors que l’environnement politico-économique n’est pas des plus porteur (croissance économique molle, inflation élevée, conflits géopolitiques) et que les changements structurels du bureau (modes de travail hybrides, besoin d’optimisation des coûts, etc.) sont toujours à l’œuvre.

Une demande présente mais spécifique…

Si l’appétit des entreprises pour le bureau n’a pas disparu, il est bel et bien devenu plus sélectif. Dans son commentaire, JLL rapporte que le 4e trimestre 2023 a fait la part belle aux transactions Mid-Markets, avec 103 signatures portant sur des surfaces comprises entre 1 000 et 5 000 m² représentant un total de près de 110 000 m².

Selon JLL, ce segment de surface, moins sensible au contexte économique que les entreprises de taille plus modeste, est aussi plus agile que celui des grandes surfaces pour lequel les délais de décision peuvent être longs. Par ailleurs, des entreprises qui auraient dû se positionner sur des opérations d’environ 5 000 m², ont aussi pu réduire la voilure, participant ainsi au dynamisme de ce segment de surfaces.

De son côté, le créneau des petites et moyennes surfaces (< 5 000 m²) confirme sa belle résilience avec plus d’1,3 million de m² placés sur l’ensemble de l’année, proche de sa moyenne décennale, note BNP Paribas Real Estate. À l’inverse, le marché des grandes surfaces (> 5 000 m²) termine l’année en baisse (-28 %) avec un volume de 623 200 m² contre 863 100 m² un an auparavant. Malgré un rebond certain sur la seconde partie de l’année 2023, ce segment reste pénalisé par l’absence de transactions de plus de 40 000 m².

« La moindre performance du segment des surfaces supérieures à 5 000 m² confirme le downsizing opéré par les entreprises dans le cadre du déploiement du travail hybride depuis la crise du Covid », souligne Yannis de Francesco, directeur exécutif Agence Bureaux Ile-de-France chez JLL.

JLL recense 13 grandes transactions ce dernier trimestre, portant le total sur l’ensemble de l’année 2023 à 56. Parmi elles figurent la prise à bail de Thales dans l’opération Vibe (33 500 m²) à Meudon-la-Forêt, ou encore ceux de Publicis dans l’immeuble Mondo (~27 400 m²) et d’Ile-de-France Mobilités dans l’immeuble Java (23 000 m²), tous deux situés dans le 17e arrondissement de Paris.

… qui ne compense pas l’offre

Le niveau de la demande ne suffit pas à absorber l’offre, si bien que 4 759 000 m² de bureaux sont immédiatement disponibles en Ile-de-France au 31 décembre 2023, en hausse de 10 % par rapport à fin 2022 et de 2,7 % par rapport au trimestre précédent.

CBRE note une stabilisation ce trimestre de l’offre en Péri Défense et en 1ere Couronne Nord ce trimestre, après plus de deux ans de hausse continue. Un répit lié au décalage de la livraison de plusieurs opérations. À l’opposé, tous les marchés parisiens voient leur offre augmenter ce trimestre, dans des proportions allant de +6 % à Paris 5/6/7 à +36 % à Paris 3/4/10/11, à l’exception de Paris Centre Ouest (-10 %).

« La bonne nouvelle est que l’offre augmente dans Paris ce qui permettra d’apporter un peu de fluidité à ce marché sous-offreur, abonde Alexandre Fontaine, Executive Director Bureaux IDF de CBRE. En revanche, en périphérie, la qualité de l’offre disponible continue de se dégrader sur certains territoires, dont les 1eres Couronnes Sud et Est, où les libérations de surfaces en état d’usage continuent de progresser. »

Fracture territoriale

Les chiffres globaux ne doivent pas faire oublier les réalités très contrastées selon les territoires franciliens. Par secteur géographique, les quartiers tertiaires établis et centraux à l’image de Paris QCA (435 700 m² ; +5 % vs moyenne décennale) restent la destination privilégiée des utilisateurs de bureaux en 2023. La 1ère Couronne Sud, alimentée par plusieurs transactions de grandes surfaces, affiche la meilleure progression sur l’ensemble de l’année (120 000 m² ; +26 % vs moyenne décennale).

« Le marché des bureaux est aujourd’hui fracturé. Sur l’année 2023, le phénomène de resserrement de la demande sur les marchés tertiaires les plus établis s’est poursuivi. Seuls Paris Centre Ouest, Paris 3/4/10/11, Paris 5/6/7 et la 1ère Couronne Sud affichent des niveaux de demande placée supérieurs aux tendances de long terme. Sur le reste du territoire, la demande reste relativement timide et cela se ressent sur les dynamiques d’offres et de loyers », analyse Alexandre Fontaine.

À La Défense, les 133 500 m² commercialisés constituent le plus mauvais résultat depuis 2014, en recul de 33 % sur un an et inférieur de 28 % à la moyenne décennale, note JLL. Pourtant, les transactions ont été nombreuses avec 61 transactions recensées sur des surfaces inférieures à 1 000 m² pour un total de 28 400 m² commercialisés - un volume record. Mais les grands mouvements ont manqué à l’appel : alors que 8 transactions de plus de 5 000 m², représentant en moyenne 108 900 m² commercialisés par an, sont traditionnellement enregistrées sur ce marché, seuls 5 mouvements totalisant 49 400 m² ont été recensées cette année, précise JLL.

Quant au taux de vacance immédiat des bureaux en Île-de-France, il ralentit sa hausse sur les trois derniers mois de l’année pour atteindre 8,5 %.

« Nous observons toutefois un marché à deux vitesses, souligne Éric Siesse, directeur général adjoint en charge du pôle Bureaux Location Île-de-France de BNP Paribas Real Estate Transaction France. Ainsi, des secteurs plus périphériques comme Péri Défense ou la 1ère Couronne Nord enregistrent des niveaux [de vacance] supérieurs à 20 %. À l’inverse, Paris QCA affiche toujours un taux de vacance immédiat particulièrement faible (2,4 % aujourd’hui versus 3,5 % en moyenne décennale). »

Chers bureaux

Sur la base des transactions ayant eu lieu au cours du trimestre, le loyer facial des bureaux atteint en moyenne 432 € HT HC/m²/an pour les biens neufs ou restructurés, marquant une hausse de 2 % sur un an et atteignant un nouveau record. Pour JLL, ce loyer moyen est tiré à la hausse par les transactions de plus de 5 000 m² signées sur des immeubles restructurés dans Paris QCA

Si les loyers conservent des niveaux record dans les secteurs parisiens les plus prisés, certains marchés avec une vacance élevée voient leurs valeurs locatives reculer : -5 % sur un an pour le loyer prime de La Défense et Péri Défense, et respectivement -7 % et -2 % pour leurs loyers moyens de seconde main. Le loyer moyen de seconde à l’échelle francilienne est par ailleurs en recul de 2 % sur un an, à 427 €/m²/an.

L’investissement dévisse

En France, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise pour l’année 2023 est de 11,6 milliards d’euros, en baisse de 57 % par rapport à 2022. Plus éloquent encore, le 4e trimestre 2023 s’inscrit en baisse de 61 % par rapport au 4e trimestre 2022. En Ile-de-France, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise est de 6,8 milliards d’euros pour l’année 2023. Le prix moyen des bureaux achetés en Ile-de-France au cours du 4e trimestre 2023, tous types confondus, s’élève à 6 570 €/m² (droits inclus) ce qui représente une baisse de 17 % sur un an. Pour rappel, les volumes d’investissement comptabilisés par ImmoStat ne prennent en compte que les opérations réalisées par des acquéreurs investisseurs.

Un phénomène particulier est à relever en 2023 : la forte proportion de transactions réalisées par des entreprises qui acquièrent leurs locaux ou des locaux qu’elles visent à occuper. Ceci est particulièrement visible dans le secteur du luxe qui s’est positionné sur des opérations très emblématiques tout au long de l’année dans le Triangle d’Or parisien. Alors que les ventes à utilisateurs représentaient un volume moyen de l ’ordre de 1,4 milliard d’euros par an en Ile-de-France au cours de la dernière décennie, elles font pratiquement jeu égal avec le marché traditionnel des investisseurs en 2023.

La demande en entrepôts se contracte aussi

Pour les entreprises ayant des activités logistique, même si le e-commerce a le vent en poupe et que la supply chain est un enjeu pour bon nombre d’entreprises, l’heure est aussi à une demande raisonnée. En France, la demande placée en entrepôts de plus de 5 000 m² en 2023 s’élève à 3 533 800 m². Par rapport à l’année 2022, ce résultat à l’échelle nationale représente une baisse de 24 %.

« En 2023, les volumes sont restés orientés à la baisse, représentant plus de 230 opérations (transactions supérieures à 5 000 m²) sur l’ensemble du territoire français, analyse Franck Poizat, co-directeur du pôle industriel de BNP Paribas Real Estate Transaction France. Les nombreuses incertitudes autour du contexte géopolitique, économique et financier, mais également les impacts de l’inflation sur les coûts de construction, ont provoqué un fort ralentissement du volume des transactions au 4e trimestre avec 812 400 m² placés (52 opérations) », poursuit-il.

Plusieurs transactions majeures sont toutefois à signaler sur les trois derniers mois, à l’image de celles réalisées par notre équipe logistique France, comme la prise à bail par le groupe Alainé d’environ 62 000 m² à Sury-le-Comtal ou bien encore les 46 500 m² pris en location par Haier à La Chapelle-SaintUrsin. Malgré ce contexte difficile, le taux de vacance immédiat national reste particulièrement bas au 1er janvier, autour de 3,4 %.

La rareté du foncier disponible à proximité des grandes métropoles et les nouvelles règlementations environnementales ont participé activement à la progression des valeurs locatives en 2023. Sur la base des transactions ayant eu lieu au cours de l’année, le loyer facial des entrepôts de classe A et B atteint en moyenne : 67 € HT HC/m²/an pour les biens en Ile-de-France (+12 % sur un an), 64 € HT HC/m²/an en Auvergne-Rhône-Alpes (+19 %), 48 € HT HC/m²/an en Hauts-de-France (+8 %), 54 € HT HC/m²/an en Provence-Alpes-Côte d’Azur (+11 %) et 44 € HT HC/m²/an en Centre-Val-de-Loire (+3 %).

À quoi s’attendre en 2024 ?

Maintenant, cap sur l’année 2024. Pour Alexandre Fontaine, « l’activité sur le 4e trimestre 2023 aurait dû être meilleure, notamment sur le créneau des grandes transactions où des reports de signatures au 1er trimestre 2024 ont été constatés. Le début d’année 2024 devrait donc être dynamique sur ce créneau de surfaces », en déduit-il.

Selon Yannis de Francesco, « 2024 sera l’année de la concrétisation des politiques de retour au bureau, basées sur une meilleure évaluation des besoins immobiliers grâce à l’expérience acquise depuis deux ans ».

« L’année 2024 sera à la croisée des chemins entre politique de rétention des talents et réalisme économique. Les immeubles situés dans les territoires les plus offreurs et bénéficiant d’une bonne desserte en transports en commun constituent de véritables opportunités pour des entreprises souhaitant concilier attraction des talents, confort des salariés et maintien de leur marge », abonde Marie Martins, directeur Tenant Representation France chez JLL.

« Même si les perspectives économiques restent fragiles en France (+0,6 % de croissance de PIB attendue en 2024), le niveau convenable des grandes recherches exprimées en Île-de-France et la plus forte mobilité des entreprises à la recherche d’économie devraient alimenter le volume de la demande placée au cours des prochains trimestres. Ainsi, nous prévoyons un volume de transactions autour de 1,9 million de m² en 2024, nouvelle normalité francilienne », professe Eric Siesse.

Sur l’investissement, « attention à l’euphorie qu’ont générée les premières nouvelles sur le ralentissement de l’inflation, même si elles sont de très bon augure pour la suite, met en garde Nicolas Verdillon, Managing Director Investment Properties de CBRE. Par ailleurs, pour bien flécher de nouveau les capitaux sur l’immobilier, il faudra rajouter, en plus des primes de risque habituelles, une prime de  »ré-attractivité«  ainsi que pour certains actifs une prime environnementale. Ainsi, l’année 2024 se profile comme une année toujours en repositionnement, mais un peu plus active et dynamique », prévoit-il.

« Gageons que les récentes déclarations sur la stabilisation des taux directeurs, la décompression des taux sur le marché obligataire avec pour conséquence une reconstitution d’une prime de risque immobilière plus favorable bénéficient à l’investissement immobilier et rapprochent les positions entre les acquéreurs et les vendeurs en 2024 », ajoute Olivier Ambrosiali, directeur général adjoint en charge du pôle Vente et Investissement de BNP Paribas Real Estate Transaction France.

« Les investisseurs devront injecter en priorité leurs capitaux dans l’asset management de leurs actifs, qu’il soit financier, environnemental ou technique. Nous anticipons ainsi un volume d’activité légèrement supérieur à celui observé en 2023 pour l’année 2024, avec un lent démarrage et une consolidation au second semestre », témoigne pour sa part Stephan von Barczy, directeur du Département Investissement de JLL.

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