Petite histoire d’une entreprise installée dans le metaverse
Par Alexandre Foatelli | Le | Digitalisation
Propulsé sur le devant de la scène médiatique depuis que Facebook a troqué son identité pour Meta, le metaverse se décline partout, 30 ans après sa théorisation. Si le retail s’est notamment saisi du phénomène, des pionniers du genre mèneraient-ils une révolution pour nos environnements de travail ? C’est ce que semble illustrer le réseau immobilier eXp qui, depuis sept ans déjà, ne fonctionne qu’à travers son propre univers virtuel. Républik Workplace s’est plongé dans cette curiosité, en compagnie de Samuel Caux, directeur général d’eXp France, en guise de guide. Reportage.
En 2009, à une époque où le marché des smartphones en était à ses prémices et où la part des internautes n’atteignait pas 30 % de la population mondiale, Glenn Sanford lance une société immobilière, eXp Realty, avec une ambition singulière : ne pas avoir de bureau du tout ! Le but de cette « lubie » était de réduire les charges de structure afin de mieux rémunérer les conseillers immobiliers. Au terme de plusieurs essais de solutions technologiques, l’entrepreneur américain croise la route de Virbela, et c’est le match parfait. Cette jeune pousse développe une plateforme immersive de réalité virtuelle axée sur l’éducation et le développement des équipes. Au terme de quelques années d’utilisation, eXp prend de l’ampleur, crée eXp World Holdings et acquiert Virbela en 2018. La totalité des salariés ne sont rattachés « physiquement » à l’entreprise que par le metaverse, hébergé par Virbela. Aucun siège social, aucune agence. Pour les clients finaux, le fonctionnement atypique d’eXp est totalement ignoré, les agents effectuant des visites de biens existant dans notre monde.
Le meta, c’est quoi ?
Pour entrer dans l’eXp World, il faut d’abord installer un logiciel dédié. Ensuite, tel un jeu vidéo similaire aux jeux de rôle multi-joueurs, l’utilisateur est invité à personnaliser son avatar. Coiffure, forme du visage, couleur des yeux, accoutrements… tout y passe pour faire de notre avatar notre jumeau virtuel (ou presque !). Et ensuite, nous y sommes !
L’eXp World se présente sous la forme d’une île, avec ses différents espaces : des bâtiments ayant leurs fonctions propres (auditorium, maisons-mères des filiales de chaque pays, salles de réunions ouvertes…), une plage, des terrains de basket, un bateau pirate mouillant à une encablure du rivage… Et pourtant, nous sommes bien dans le « siège social » monde d’une grande société immobilière ! C’est ici que nous a donné rendez-vous Samuel Caux, directeur général d’eXp France.
Pour quoi faire ?
Mais concrètement, à quoi sert un metaverse pour une entreprise ? « Notre métavers est notre univers de collaboration. Il est le cœur de notre back office et le lien entre nos conseillers et notre staff, sur l’ensemble des cinq continents. Concrètement par exemple, pour des formations, l’outil offre des possibilités très qualitatives : on peut projeter des graphiques, des QCM, des vidéos, interagir avec le public… Pour les formateurs, pour nos conseillers et pour l’entreprise, le metaverse est bien plus optimal : pas de contraintes de déplacements, pas de besoins logistiques pour réunir des dizaines de personnes, etc. J’ai moi-même fait une réunion avec 1 400 participants, qui ne seraient pas possibles en présentiel, ni même avec une solution de visioconférence classique », cite Samuel Caux.
Quant aux réticences d’utiliser un outil qui rend le siège social accessible 24/7 au risque de brouiller la frontière entre vie pro et vie perso, Samuel Caux rappelle le caractère particulier d’un agent immobilier qui est autoentrepreneur, et effectue de fait bien plus que « ses 35 heures hebdomadaires » et exerce déjà les week-ends et jours fériés. En outre, tous gardent la liberté de gérer leur temps, ne sont pas contraints d’assister aux formations et aux réunions organisées.
À l’opposé, travailler dans le metaverse change la perception… des enfants !
De 500 agents dans le monde en 2015, l’entreprise regroupe 75 000 collaborateurs dans 17 pays aujourd’hui
« Plusieurs agents m’ont rapporté que leurs enfants leur demandent pourquoi ils jouent au lieu de travailler », s’amuse Samuel Caux. La productivité n’est en tout cas nullement affectée négativement : eXp réalise 1,1 milliard de dollars de chiffre d’affaires au T3 2021, et chacun des indicateurs de performance de l’entreprise sont en croissance de 60 à 100 % pour ce même trimestre.
Facteur d’attractivité
Grâce à son nouvel outil, eXp Realty connaît une croissance exponentielle : de 500 agents dans le monde en 2015, l’entreprise regroupe 75 000 collaborateurs dans 17 pays aujourd’hui, alors que le développement international à grande échelle ne date que de juillet 2020 - l’antenne française a été lancée le 14 décembre 2020. Depuis, la société a ouvert des filiales dans plus d’un pays par mois. Glenn Sanford a annoncé atteindre les 500 000 d’ici cinq ans. Un nombre de salariés qui fait d’ores et déjà d’eXp la première agence immobilière au monde.
Le metaverse revêt même un facteur d’attractivité pour l’entreprise. « En France, près de 40 000 conseillers immobiliers exercent sans agence vitrine, et de plus en plus viennent à nous depuis que notre modèle est médiatisé, vante Samuel Caux. Ils se rendent compte des limites d’un fonctionnement classique, où la collaboration est limitée et les déplacements trop pesants. »
Pour les conseillers immobiliers, l’intérêt est aussi financier. « Les agents sont rémunérés à 75 % des commissions, voire 100 % à partir d’un certain montant. Ce sont des niveaux de rémunération plus avantageux que dans les autres réseaux de mandataires, qui sont permis par les économies réalisées par rapport à l’empreinte immobilière », souligne Samuel Caux.
Effet de mode ou révolution en cours ?
Et dans six mois, le metaverse fera-t-il encore parler de lui ? Pour Samuel Caux, aucun doute : « depuis que j’ai débuté au milieu des années 1990, on a vu la démocratisation dans les entreprises d’Internet, du téléphone portable puis des smartphones, et tous ont duré malgré les réserves initiales, rappelle Samuel Caux. Le metaverse s’inscrit dans un contexte plus large, avec les cryptomonnaies, la blockchain ou encore les NFT. Ces technologies sont, à mon avis, amenées à durer », pense-t-il.
Le metavers ne remplacera pas tous les bureaux, les salons et les conférences, mais il constitue une alternative qui ouvre un champ des possibles parfaitement complémentaire », résume le directeur général d’eXp France.
Aujourd’hui Virbela continue de mener son activité commerciale, y compris en France : l’agglomération de Laval, Deloitte, l’Essec ou l’Ecole de Commerce de Montpellier l’ont adopté pour organiser des événements. « Le metaverse ne remplacera pas tous les bureaux, les salons et les conférences, mais il constitue une alternative qui ouvre un champ des possibles parfaitement complémentaire », résume le directeur général d’eXp France. Courant 2022, une nouvelle version de Virbela incorporera des meilleurs graphiques, de nouvelles possibilités de personnalisation de l’avatar et de nouvelles fonctionnalités. Le développement d’outils d’accompagnement via le metaverse est également envisageable, avec la possibilité par chaque conseiller immobilier de bénéficier d’une agence virtuelle proposant le catalogue de biens, permettant d’optimiser au mieux la relation client, sans déplacements superflus.
Pour illustrer ce nouveau « champ des possibles », Samuel Caux confie une anecdote : celle du premier mariage dans le Métavers, à la suite d’une rencontre professionnelle. Deux agents eXp habitant dans deux Etats opposés des USA se sont rencontrés par avatar interposés, ont échangé régulièrement, se sont rencontrer IRL (in real life, dans la vraie vie), sont tombés amoureux et se sont mariés. « Mais puisqu’ils avaient leur vie chacun d’un bout à l’autre du pays, ils ont décidé de faire aussi un mariage dans le metaverse Virbela réunissant l’ensemble de leurs proches », raconte Samuel Caux. Visiblement, l’univers virtuel n’a pas fini de révéler son utilité, et pourrait bien redéfinir durablement notre rapport aux lieux de travail.