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[TRIBUNE] Territorialité et ritualisation, les clés du collectif à l’ère du travail hybride

Le | Qvt

Dans cette tribune, Frédéricke Sauvageot, directrice de la QVT, du domaine Immobilier et des espaces de travail chez Orange, explore l’importance des questions de territorialité et de rituels au sein des espaces de travail pour les rendre attractifs.

Les entreprises doivent veiller au respect de la territorialité et à la création de rituels. - © Getty Images mathisworks
Les entreprises doivent veiller au respect de la territorialité et à la création de rituels. - © Getty Images mathisworks

Le travail poursuit sa mutation, et l’organisation du travail est toujours en plein bouleversement. Les entreprises cherchent toujours le juste équilibre de la flexibilité. La plupart se questionnent encore sur l’expérience collaborateur phygitale qu’elles souhaitent proposer dans un contexte économique tendu, de concurrence accrue et de croissance des inégalités. Nous observons toujours beaucoup d’interrogations sur les fondations solides à poser, pour proposer une organisation du travail hybride efficace, tenant compte des perceptions et besoins des salariés qu’ils soient personnels, psychologiques, psychiques ou d’usages métier, tout en favorisant la collaboration, la communication, la socialisation et la cohésion.

Les modes de travail ont profondément été redéfinis, les espaces de travail se transforment, les surfaces s’optimisent, pour répondre aux enjeux économiques, environnementaux. Dans ce contexte, la place et le rôle des managers de proximité, largement bousculés à l’heure de l’hybridation, restent déterminant pour donner plus de valeur à la présence sur le lieu de travail, passer du « lieu » au « lien », capter les signaux faibles de ses équipes, créer et faire esprit d’équipe, faire vibrer sa tribu, … Tout un programme pour faire du bureau, un lieu multifonctionnel qui permette aux salariés d’avoir envie d’y travailler, mais aussi d’y vivre, de se socialiser, et de vivre des expériences au travers des rituels.

L’hybridation représente une part de réalité insaisissable, imprévisible qui d’une société de services, tend à nous mener vers une société des relations comme Gabrielle Halpern (philosophe) nous invite à l’anticiper. Une société de relations qui reste à construire dans tous ses domaines. Il s’avère évident que faire revenir les salariés sur site pour garantir les coopérations ne suffira pas. Tout comme il ne suffit pas de concevoir des espaces et d’optimiser la ressource qu’est l’espace pour répondre aux enjeux économiques, environnementaux tout en répondant aux défis sociétaux et sociaux, aux besoins d’équité et de sens.

La conception de l’espace doit permettre d’en faire une ressource facilitante et fluide dans ses usages, pour chacun. Il faut pouvoir y vivre, y créer des liens, des relations, y trouver ses repères, pouvoir s’y ancrer, mais également lire l’espace, le percevoir, pour se l’approprier en comprenant et en identifiant les différentes possibilités qu’il propose.

C’est tout l’enjeu de la notion essentielle qu’est la territorialité. Pour avoir envie de faire ensemble, il faut avant tout pouvoir marquer son territoire, cela passe par l’espace qui nous le savons, va influer sur le comportement qui y sera adopté. En effet, c’est bien l’espace qui va conditionner le comportement du salarié en tant qu’individu dans son collectif de travail.

Ainsi la relation à la territorialité est l’un des éléments incontournables à prendre en compte dans l’entreprise et l’organisation qu’elle met en place. Nous pouvons citer les travaux de Donis et Taskin (2017) qui ont démontré que la territorialité avait un effet sur le sentiment d’appartenance qu’un individu peut ressentir pour l’organisation pour laquelle il travaille.

Ne pas prendre en compte la territorialité dans le prisme de la conception des aménagements, c’est prendre le risque de concevoir et de vouloir faire revenir les salariés dans un « non-lieu ».

Ce sentiment d’appartenance qu’elle engendre est l’élément phare de la Marque Employeur et de la culture de l’organisation qu’elle décline. Ne pas prendre en compte la territorialité dans le prisme de la conception des aménagements, c’est prendre le risque de concevoir et de vouloir faire revenir les salariés dans un « non-lieu » qui selon la définition de Marc Augé, est un espace interchangeable où l’être humain reste anonyme. C’est en quelque sorte influer à l’inviter à être de passage, à entretenir une relation de consommation avec l’espace de travail, comme dans un catalogue. C’est prendre le risque d’une déshumanisation de l’espace que les salariés auront hâte de déserter, alors même que l’objectif de l’entreprise est bien de faire société dans un mode hybride qui s’ancre de plus en plus.

C’est également prendre le risque de rompre le contrat psychologique expliqué par Caroline Diard. (2022) « Ce contrat informel, reposant sur des croyances individuelles explicites et implicites et sur des obligations mutuelles » qui engagent, lient les salariés à leur entreprise. C’est ce contrat psychologique qui va permettre aux salariés de s’engager dans une relation durable qui dans notre propos, est lié aux bonnes conditions offertes dans le lieu de travail. Cette notion de « contrat psychologique » est également importante car elle renvoie à l’identité au travail qui est le deuxième élément incontournable à prendre en considération dans les bureaux parce qu’il est un indicateur de la place que donne l’organisation. L’espace pouvant avoir un impact sur la santé, sur le bien-être physique et psychique, sur la représentativité au travail, il a un impact direct sur la performance. Nous faisons ainsi la liaison avec la nécessité du sens, des rituels, des temps individuels et des temps collectifs à organiser, pour donner du sens à faire revenir les salariés sur site.

Soigner la qualité des espaces de travail c’est donner de l’importance, du sens à la place de chacun dans l’espace organisationnel car l’espace peut constituer un lieu privilégié de contestation, une forme de « lutte des places » comme le souligne Delphine Minchella. (2023) L’espace doit donc être une ressource à la fois marqueur d’équilibre et d’équité pour chacun s’y sente à sa place et y trouve sa place quel que soit ses besoins et spécificités individuels.

Également concept de stratégie d’occupation et de posture managériale, l’espace est une ressource pour le manager, pour coconstruire son projet d’équipe, organiser les rituels de son équipe constituant sa tribu. Les rituels tacites qui s’instaurent lorsque certains salariés choisissent, dans leur quartier d’équipe, la position privilégiée selon leur perception, qu’ils s’attribuent pour marquer leur identité, même si les « règles du bien vivre ensemble » précisent que toutes les positions sont mutualisées. Dans les faits, personne n’ose leur revendiquer cette appropriation qui marque bien la ritualisation de la tribu. Tout comme l’ancrage se retrouve dans la personnalisation des quartiers d’équipes, des espaces qui à l’ère du mode hybride se veulent à l’échelle de l’équipe, du quartier d’équipe et de moins à moins à l’échelle individuelle.

C’est bien la ritualisation qui permettra de créer un collectif qui pourra créer ensemble, parce qu’il se reconnaîtra dans une histoire commune.

Nous voyons bien que tout repose sur l’histoire qui fait sens, pour arriver à créer ses propres rituels, et ceux de son équipe. C’est bien la ritualisation qui permettra de créer un collectif qui pourra créer ensemble, parce qu’il se reconnaîtra dans une histoire commune.

Ce sont bien les rites qui rythment le parcours du salarié, de son intégration dans une équipe jusqu’à son départ et tout au long de la vie dans l’entreprise. Ce sont les rites qui évoluent pour s’adapter aux différentes transformations qu’elles soient organisationnelles, managériales ou spatiales afin d’être en cohérence avec la culture, les croyances, les besoins, les attentes des salariés. Ce sont les rites qui permettent de créer un collectif et de partager des valeurs communes, des règles de vie, pour créer du lien social, créer ce sentiment d’appartenance qui permet de s’engager plus durablement. Les rites se créent en physique et à distance dans l’évolution de nos modes de travail. Les espaces, les outils, un management basé sur la confiance, la communication, la culture de l’écrit sont autant de ressources et d’outils qui permettent et facilitent les interactions et mèneront vers une société des relations (Gabrielle Halpern), dans le monde hybride demain bien au-delà du simple fait de faire revenir les salariés physiquement au bureau.

Frédéricke Sauvageot - Directrice de la QVT, du Domaine Immobilier et des Espaces de travail - Orange

Frédéricke Sauvageot - © Orange
Frédéricke Sauvageot - © Orange

Grâce à son expérience de gestion globale de grands projets immobilier et managériaux de transformation, en tant que consultante chez JLL pendant dix ans, et ses actions menées au sein du groupe Orange depuis cinq ans à la Direction de l’Immobilier Groupe, Frédéricke Sauvageot contribue désormais à guider la réflexion de la Direction de la Qualité de Vie au Travail (QVT), dans le cheminement vers un lieu de travail régénérateur, conciliant bien-être holistique et performance humaine en veillant à une conception inclusive des environnements de travail, prenant en compte le bien-être mental, social et physique des salariés.