Qualité d’air intérieur : le parent pauvre de l’immobilier de bureau
Par Alexandre Foatelli | Le | Qvt
Documentés depuis une vingtaine d’années, les niveaux de qualité d’air intérieur (QAI) ont de quoi inquiéter quand on les sait bien plus dégradés qu’un environnement extérieur déjà largement pollué. Toutes les études sur le sujet ont mis en lumière les effets néfastes d’une mauvaise atmosphère, sur les humains comme sur la valorisation des bâtiments. Problème : la préoccupation prévalente de l’environnement et surtout de la performance énergétique a sapé encore un peu plus le poste « qualité d’air » dans les immeubles modernes.
Ce sujet n’est pas nouveau. Ce sujet n’est pas une « nouvelle préoccupation » made in Covid-19 - bien que le virus le mette sur le devant de la scène. Ce sujet est quotidien parce qu’en combinant le temps passé à la maison et au bureau, nous passons 80 % de notre temps à l’intérieur. Ce sujet, c’est la qualité de l’air intérieur des immeubles.
C’est au tournant du XXIe siècle que des scientifiques, médecins et autres experts ont commencé à se pencher sur cette question. Ce premier déclencheur a démontré que l’air intérieur était quatre à huit fois plus pollué que l’air extérieur ! Une donne qui fait consensus et qui entraîne la création à travers le monde de groupements d’experts et de scientifiques sur ce qui est devenu un enjeu mondial majeur de santé public. Parmi ces organismes nouvellement créés, la France ouvre l'Observatoire de la qualité d’air intérieur (OQAI) en 2001. Par la suite, de grands propriétaires bailleurs de bureaux, tels que les compagnies d’assurance par exemple, ont réalisé leurs propres études sur le sujet dans le courant des années 2000, conscients que l’environnement de travail fermé, où un grand nombre d’entre nous passent sept à huit heures par jour, est forcément concerné.
La mauvaise qualité d’air intérieur provoquerait 40 000 décès prématurés par an en France.
Benzène, trichloréthylène, radon, monoxyde de carbone, amiante, dioxyde d’azote, tabagisme passif… la liste des polluants que l’on retrouve dans nos intérieurs est longue. Tout autant que celle des troubles qui y sont liés : céphalées, asthme, inflammations des muqueuses (nez, yeux, gorge), difficulté respiratoire, nausées… Et tout cela sans citer les virus présents en aérosol, tel l’omniprésent Covid-19, qui prolifèrent à l’abri.
Une cause, trois conséquences
En somme, l’impact de la mauvaise qualité d’air intérieur se décline sur trois piliers. La santé d’abord : les chiffres à l’échelle mondiale publiés par The Lancet et rapportés par la BBC font état de 800 000 décès prématurés par an liés à une mauvais qualité de l’air intérieur, dont 400 000 en Europe et 40 000 en France selon une étude de Santé publique France en 2021. Un impact sanitaire qui a un coût, qu’une autre étude de l’Anses estime à environ 19 milliards d’euros par an (coût estimé des décès prématurés, de la prise en charge des soins, des pertes de productions, etc.).
Les espaces de bureau sont particulièrement concernés par ce phénomène appelé Syndrome du Bâtiment Malsain ou « SBS » en anglais.
« Les systèmes de ventilation (avec chauffage ou climatisation) sous ou mal dimensionnés sont généralement à l’origine des maux handicapants pour les occupants. Débits de ventilation globalement insuffisants ou flux mal dirigés, vulgairement nommés courants d’air, peuvent provoquer par exemple torticolis ou rhumes. Ajouté à cela, une filtration pas assez performante dans les Centrales de Traitement d’Air (CTA), et un manque d’entretien des gaines de ventilation, entraînent désagréments olfactifs, liés à la prolifération de moisissures, champignons, bactéries…lesquels peuvent aussi être allergènes et pathogènes », souligne Philippe Clément, expert Qualité de l’air (QAI) et filtration d’air et consultant auprès de la société airinspace.
L’environnement intérieur est influent, aussi, sur la performance des utilisateurs. Une étude conduite par Joseph Allen, professeur agrégé à l’Université Harvard et directeur du programme Healthy Buildings à la T. H. Chan School of Public Health, démontre qu’une bonne qualité de l’air intérieur contribue à améliorer les performances cognitives des sujets. Un air sain se prête donc mieux à un travail de concentration, de réflexion et d’analyse.
Plusieurs études font état d’une prime de 3 % de la valeur locative quand la qualité de l’air intérieur est maîtrisée.
Enfin, la valeur des immeubles est aussi concernée par la qualité de l’air en leur sein. « Plusieurs études menées par des grands propriétaires depuis une vingtaine d’années font état d’une prime de 3 % de la valeur locative quand la qualité de l’air intérieur est maîtrisée, et même de 6 % lorsque le bâtiment est certifié. Avant la pandémie, la valorisation des immeubles à la vente bénéficiant d’un environnement QAI maîtrisé était déjà supérieure de 10 à 15 %. La pandémie va encore accélérer ce phénomène, selon la dernière étude 2021 de l’université d’Harvard », rapporte Philippe Clément. Une prime à la qualité intérieure des immeubles que la crise sanitaire devrait renforcer encore dans le futur.
La QAI comme levier
Si la situation est préoccupante aujourd’hui, au-delà de l’urgence sanitaire du Covid-19, c’est que la qualité de l’air fait figure, jusqu’à maintenant, de parent pauvre de l’immobilier tertiaire moderne. Force est de constater que la QAI ne s’est fondamentalement pas améliorée ces dernières années à cause des investissements à visée environnementale, qui se sont concentrés en priorité sur la performance énergétique des bâtiments (HQE / BBC). « Pour réduire les consommations et limiter les déperditions de chaleur, les immeubles modernes sont devenus de plus en plus étanches, ce qui est nécessaire d’un point de vue environnemental. Mais pour y parvenir, tous les leviers ont été actionnées, y compris la ventilation et la filtration, dont les curseurs ont été réduits au minimum réglementaire », déplore Philippe Clément.
En France, le phénomène s’est notamment illustré avec l’entrée en vigueur de la RT 2012, qui a obligé les acteurs du CVC a retravaillé leurs produits pour faire baisser les consommations. Ces systèmes de ventilation et de filtration insuffisants ont contribué à dégrader un peu plus la qualité de l’air intérieur. Ce à quoi la RE2020 ajoute une strate supplémentaire d’économies à réaliser. Ainsi, avant même l’émergence de la préoccupation du Covid-19, la qualité de l’air intérieur était déplorable, du fait des choix opérés dans la conception du bâti.
Inverser la tendance
Dès lors, comment changer la donne et rééquilibrer le rapport entre consommations d’énergie et qualité de l’air intérieur ? Dans l’urgence de la pandémie, la principale recommandation qui est faite est d’aérer les espaces en ouvrant les fenêtres - encore faut-il ne pas être dans une tour de grande hauteur. Un stratagème qui ne peut être que palliatif, qui plus est que s’il chasse le virus, l’air venant de l’extérieur contient lui aussi son lot de polluants.
Pour réduire les consommations et limiter les déperditions de chaleur, tous les leviers ont été actionnées, y compris la ventilation et la filtration, dont les curseurs ont été réduits au minimum réglementaire.
Au niveau de la centrale de traitement d’air (CTA), il serait possible d’optimiser la ventilation et d’améliorer la qualité de filtration. Cependant, cela pourrait « coûter très cher en rénovation comme en travaux neufs », remarque Philippe Clément, car on fournirait de ce fait un flux d’air plus important et plus qualitatif pour tous les espaces « quel que soit leur destination et leurs niveaux d’occupation ». Un paradoxe que l’industrie - pharmaceutique, microélectronique, agroalimentaire, automobile - a su gérer depuis plusieurs décennies, en adoptant le principe du « micro-environnement ».
« Ce principe consiste à fournir la quantité et qualité d’air nécessaire au point d’utilisation, pour une optimisation de la qualité, des coûts Capex, des coûts Opex (consommation énergétique), ainsi que de la modularité et la flexibilité du système. Ce même principe s’applique parfaitement au sujet de l’amélioration de la QAI par l’utilisation d’épurateurs d’air mobiles, à condition de suivre les recommandations et directives des autorités de santé en termes de technologie et de dimensionnement, en complément des systèmes et règles de ventilation en vigueur », indique Philippe Clément.
Une pratique de filtration de l’air au point d’usage qui se rapproche du principe des purificateurs mobiles, dont le marché a le vent en poupe depuis une paire d’années. Cependant, la question de leur efficacité, et surtout celle de leur innocuité, est régulièrement posée. L’Anses a analysé en 2019 la littérature scientifique relative à ces nouvelles techniques d’épuration de l’air intérieur pour en juger de l’efficacité. « D’une façon générale, les données scientifiques disponibles ne permettent pas de démontrer l’efficacité et l’innocuité en conditions réelles d’utilisation des dispositifs d’épuration de l’air intérieur fonctionnant sur les principes de la catalyse ou photocatalyse, du plasma, de l’ozonation ou de l’ionisation », reconnaissait l’Agence. Celle-ci recommande la mise en place d’une certification des dispositifs d’épuration de l’air intérieur. Néanmoins, cette technologie pourrait contribuer à améliorer la situation en complément des systèmes de ventilation classiques, en attendant un réel rééquilibrage des attentions entre performance énergétique et qualité d’air intérieur.
À quel « sain » se vouer ?
Agir sur la qualité de l’air intérieur pour le rendre le plus sain possible nécessité une attention globale, dépassant les seules techniques de ventilation et de filtration.
• Nettoyage
En 2010, le projet européen Officair, coordonné en France par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB), a voulu déterminer l’impact des produits d’entretien sur la QAI. Durant six semaines, deux espaces distincts de neuf bâtiments ont été observés : un où aucun changement n’a été opéré et l’autre où le produit d’entretien initial a été substitué par un produit de nettoyage du sol contenant très peu de COV et sans parfum. Les résultats ont démontré pour la première fois l’impact des émissions des produits d’entretien sur la qualité de l’air dans les espaces de bureaux : une diminution statistiquement significative des concentrations en aldéhydes a été observée dans l’espace d’intervention après changement du produit, alors qu’elle n’a pas eu lieu dans l’espace témoin. L’écart des concentrations en aldéhydes entre les deux pièces a également significativement changé après l’intervention.
• Filtration
De la même manière, certains modes de filtration sont à éviter. Dans un avis relatif au recours à des unités mobiles de purification de l’air dans le cadre de la maîtrise de la diffusion du SARS-CoV-2 dans les espaces clos, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) déconseille le recours à des appareils utilisant des traitements physico-chimiques de l’air (catalyse, photocatalyse, désinfection par UV, plasma, ozonation, charbons actifs) « du fait de l’impossibilité en utilisation réelle d’analyser la qualité de l’air intérieur et de détecter les problèmes de dégradation incomplète possible de polluants ». L’organisme recommande de n’implanter que des unités mobiles de purification d’air par filtration HEPA H13 ou H14 ou taux de filtration équivalent, tout en assurant une maintenance régulière des filtres et appareils, avec un équipement de protection individuelle adéquate du personnel technique, et en l’absence du public.
• Bruit
Quel que soit le système choisi, y compris pour l’usage de purificateurs d’air mobiles, le bruit généré doit respecter une certaine norme pour ne pas se transformer en nuisances sonores. En somme, que le système d’assainissement de l’air ne constitue pas un mal pour un bien. Les recommandations du HCSP et de la Direction générale de la Santé (DGS) définissent un niveau sonore compris entre 30 à 62 dB(A) à 1 mètre, selon la norme ISO 3744. Les mesures doivent être effectuées en laboratoire indépendant, et le seuil maximal varie selon le bruit propre à l’usage des espaces : espace de restauration, open space, salle de réunion, etc.