[INFOGRAPHIE] Big quit : la Grande démission en France est-elle inédite ?
Par Alexandre Foatelli | Le | Qvt
Phénomène hérité du Covid à partir de l’été 2020, le « Big quit » ou « Great Resignation » s’est répandu outre-Atlantique, jusqu’à atteindre un pic en avril 2021. Durant cette période, les entreprises du reste du monde, notamment en France, attendaient fébrilement de voir si cette vague de départ volontaire allaient les submerger. Une récente étude de la Dares met en lumière et en contexte les chiffres de l’emploi en France sur plusieurs années, afin de déterminer si le pays connait, ou non, une Grande démission jamais vue.
Au plus fort de la crise sanitaire au printemps 2020, les Etats-Unis ont d’abord enregistré des licenciements massifs, lorsque les entreprises ont ajusté leurs effectifs aux fermetures prolongées de leurs activités. Alors que la théorie et l’histoire économique veut que le taux de démission s’effondre dans un contexte de hausse du chômage, celui-ci a décollé en flèche dès l’été 2020. Selon le Bureau of Labor Statistics du département du Travail étasunien, 38 millions d’Américains ont quitté leur emploi en 2021. En août dernier, le pays de l’Oncle Sam enregistrait encore 4,2 millions de départs volontaires. Comme bon nombre d’autres tendances émergentes outre-Atlantique, le phénomène a fini par toucher d’autres pays, dont la France.
Au quatrième trimestre 2021, près de 518 000 Français ont quitté leur emploi (400 000 CDI), battant le record du T1 2008 (510 000). La tendance s’est poursuivie au premier trimestre 2022, avec 523 000 démissions, dont près de 470 000 postes en CDI. Récemment, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a produit une étude - conduite par Adrien Lagouge, Ismaël Ramajo et Victor Barry -, pour en objectiver l’existence et, surtout, définir le caractère inédit.
Un taux de démission pas inédit
Rapporté au nombre de salariés, le taux de démission atteint 2,7 % en France au 1er trimestre 2022. Si ce taux est au plus haut depuis la crise financière de 2008-2009, il reste en deçà des niveaux qu’il avait atteints début 2008 (2,9 %), juste avant le déclenchement. Sur les seules entreprises de 50 salariés ou plus, le taux de démission (2,1 %) est également parmi les plus élevés depuis 1993, mais il n’est toutefois pas inédit par rapport aux niveaux observés au début des années 2000 (2,3 % au T1 2001, supérieur ou égal à 2 % entre le T2 2000 et le T2 2001).
Aux États-Unis aussi, le taux de démission est important sans pour autant être inédit. S’il s’élève à 3 % au mois de décembre 2021 - son plus haut niveau depuis l’an 2000 - ce taux est actuellement similaire à celui atteint au début des années 1950 dans l’industrie manufacturière, ainsi que dans les années 1960 et 1970.
Les auteurs de l’étude rappellent que le taux de démission est un indicateur cyclique : il est bas durant les crises et il augmente en période de reprise, lorsque de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, incitant à démissionner plus souvent. Dans le contexte actuel, la hausse du taux de démission apparaît donc comme normale, en lien avec la reprise à la suite de la crise du Covid-19. Des indicateurs complémentaires vont d’ailleurs dans ce sens. En particulier, le taux d’emploi est lui aussi plus élevé qu’avant crise et continue de progresser pour toutes les tranches d’âge fin 2021 et début 2022, en dépit de la nette augmentation du taux de démission.
Des démissions symptomatiques d’un nouveau rapport à l’emploi
D’après les auteurs de l’étude de la Dares, le niveau élevé des démissions est à relativiser au vu des tensions actuelles sur le marché du travail. Les difficultés de recrutement sont à des niveaux inégalés dans l’industrie manufacturière et les services, et même au plus haut depuis 2008 dans le bâtiment. Une situation qui créée des opportunités pour les salariés déjà en poste, et est susceptible de conduire à des démissions plus nombreuses.
Dans le cas des États-Unis et du Royaume-Uni, le nombre important de démissions serait plutôt le symptôme des tensions de recrutement que leur cause : il refléterait des comportements de « débauchage » de la main-d’œuvre entre entreprises, dans un contexte de forte demande de travail et d’offre limitée. Une interprétation notamment confirmée par les trajectoires des démissionnaires, qui correspondent le plus souvent à un changement d’employeur sur un même type de poste (à qualifications égales) et dans le même secteur.
Le nombre de démissions n’est ni inédit, ni inattendu compte tenu du contexte économique.
En France, selon les premières analyses de la Dares à partir de la déclaration sociale nominative, les retours à l’emploi des démissionnaires semblent rapides, malgré le niveau élevé des démissions. Environ 8 démissionnaires de CDI sur 10 au second semestre 2021 sont en emploi dans les six mois qui suivent, et cette proportion est stable par rapport à l’avant-crise sanitaire.
En conclusion, le nombre de démissions n’est ni inédit, ni inattendu compte tenu du contexte économique. Dans un contexte de difficultés de recrutement toujours élevées, les salaires d’embauche sont susceptibles d’augmenter, en particulier pour les personnes nouvellement démissionnaires. Outre cet effet potentiel sur les salaires, les enquêtes Acemo-Covid montrent que, début 2022, certaines entreprises réalisent des concessions sur les conditions ou l’organisation du travail (télétravail) ou sur la forme des contrats d’embauche pour conserver ou attirer des talents. Une conséquence du phénomène plutôt à l’avantage des salariés.