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« Les stratégies basées sur l’optimisation des coûts mènent à des impensés en matière d’ergonomie »

Par Alexandre Foatelli | Le | Qvt

Confort thermique pour les occupants versus mesures de sobriété énergétique. L’affiche d’un match délicat à arbitrer pour les responsables des environnements de travail en entreprise. À l’approche de l’hiver, Républik Workplace a interrogé Eric Liehrmann, ergonome et expert d’assistance conseil CLST* à l’INRS**, sur les conséquences de l’inconfort thermique.

Eric Liehrmann, ergonome et expert conseil auprès de l’INRS. - © D.R.
Eric Liehrmann, ergonome et expert conseil auprès de l’INRS. - © D.R.

Les recommandations de température à 19°C dans les bureaux l’hiver pour limiter les consommations de chauffage confèrent-elles un confort thermique satisfaisant pour les usagers ?

Il est important de noter que cette valeur de 19°C est foncièrement liée à la notion de sobriété énergétique, qui est une préoccupation légitime dans le contexte actuelle. Afin d’assurer des conditions de travail optimales pour une activité de bureau, les données issues de retours d’expérience et mesures réalisées estiment que la fourchette de températures se situe entre 21°C et 23°C en hiver et entre 23°C et 26°C en été. Ainsi, il existe une forme d’injonction contradictoire entre ce qu’on peut définir communément comme une température confortable et les recommandations à des fins de sobriété énergétique.

Il faut aussi noter que la notion de confort thermique est éminemment personnelle et renvoie au fonctionnement de l’être humain. De ce fait, la température de confort ressenti varie d’un individu à l’autre en fonction de plusieurs critères tels que le sexe, l’âge, du métabolisme ou d’éventuels problèmes de santé. Par conséquent, afficher une température unique quelle qu’elle soit n’est pas très respectueux de cette diversité du fonctionnement humain.

Comment palier à cette subjectivité du ressenti dans les espaces de travail ?

En matière de prévention des risques professionnels, les grands principes figurant dans le Code du travail soulignent qu’il est attendu d’agir plutôt sur des dimensions collectives que des aspects individuels. Ainsi, la polaire distribuée à chaque collaborateur n’est pas ce qui est préconisé par le cadre légal. Dans l’absolu, l’enjeu se situe donc plutôt dans la capacité d’un environnement de travail de proposer un système de réglage des ambiances physiques, que ça soit la température, l’éclairage ou la ventilation, qui puisse s’adapter aux besoins et au ressenti de chacun.

Mais ces réglages d’ambiances individuelles se heurtent à des espaces largement en open space, voire en flex office…

Effectivement, si les systèmes techniques à base de variateurs existent, on ne peut pas agir sur un espace réduit et définir une ambiance physique sur un mètre carré et une différente sur celui d’à côté. Une telle modularité n’est possible que sur une surface élargie et relativement close. Il est donc clair que les stratégies immobilières actuelles directement impactées par les évolutions des modes de travail rendent la question du confort thermique plus complexe. Et dans le cas du flex office, il est évident que le nomadisme ne se prête pas à une adaptation constante des réglages à chaque changement de positions de travail. D’ailleurs, cette limite renvoie à celle qui se pose pour certains équipements spécifiques liés au handicap par exemple.

Un inconfort thermique au bureau peut renvoyer à une sensation de dégradation des conditions de travail.

Aujourd’hui, les orientations stratégiques basées essentiellement sur des critères d’optimisation des coûts conduisent à des impensés en matière d’ergonomie. En parallèle, certains salariés ont trouvé une réponse à leurs besoins de confort avec le télétravail à leur domicile. Le confort thermique est donc aussi un enjeu pour convaincre les salariés de revenir au bureau.

Quelles sont les conséquences d’un inconfort thermique en période hivernale ?

À ce jour, au sein de l’INRS comme d’autres organismes dans la sphère de la prévention des risques professionnels, aucun travail scientifique ne démontre un lien direct entre une température de 19°C dans des bureaux et des effets sur la santé, en termes de développement de maladie par exemple. Pour autant, une température plus basse peut générer de l’inconfort thermique qui, elle, peut entraîner des conséquences sur les résultats de l’activité et le ressenti psychologique. Lorsqu’une gêne est ressentie, cela peut causer des problèmes de concentration et des difficultés cognitives qui nuisent à l’efficacité au travail.

En outre, un inconfort thermique au bureau peut renvoyer à une sensation de dégradation des conditions de travail et favoriser certains risques psychosociaux (RPS). Des salariés qui ne se sentent pas bien dans leurs espaces de travail peuvent notamment nourrir un sentiment de manque de reconnaissance. L’inconfort peut aussi amener à des stratégies individuelles de contournement, qui passent en hiver par le recours à des chauffages d’appoint par exemple. Des comportements qui annihilent en partie les efforts de réduction des consommations et sont même parfois à l’origine de de risques de surcharge électrique.

Outre les injonctions liées au chauffage, les entreprises doivent-elles veiller à d’autres paramètres pour assurer le confort thermique des salariés ?

Effectivement, le confort thermique ne concerne pas uniquement la température de l’air ambiant. Deux autres facteurs sont à prendre en compte : le taux d’humidité relative et la vitesse de circulation de l’air au niveau des salariés.

Deux autres facteurs sont à prendre en compte : le taux d’humidité relative et la vitesse de circulation de l’air au niveau des salariés.

Une température qui pourrait être ressentie comme acceptable par le plus grand nombre ne le serait plus dans un environnement humide ou avec une ventilation trop importante. Pour un travail de bureau, l’humidité relative idéale se situe entre 40 et 70 % et la vitesse de l’air doit être < 0,2 m/s. En somme, le réglage de la température doit aller de pair avec un système d’aération efficient pour ne pas générer de l’inconfort thermique.

Quid des autres éléments de confort global en entreprise ?

Dans le cadre de la généralisation des open spaces, l’un des sujets de vigilance majeurs concerne le bruit, c’est la source du plus grand nombre de plaintes émises par les salariés dans les espaces tertiaires. On constate aujourd’hui que la conception de ces espaces est rattrapée par la réalité des usages, et certaines failles apparaissent sur la possibilité de s’isoler à des instants T notamment. Beaucoup de salariés ne maîtrisent pas le déroulement de leur activité et ne peuvent trouver à tout moment des espaces de travail adaptés aux tâches qu’ils ont à réaliser (bulle d’isolement pour passer un appel par exemple). Un autre point important concerne l’éclairage et l’accès à la lumière naturelle dont certains postes de travail ne bénéficient pas ou en moindre quantité, situation qui en plus est dégradée en période hivernale. Enfin, le Code du travail exige aussi une vue sur l’extérieur : il faut avoir ce qu’on nomme une échappée permettant un repos visuel. Autant d’éléments qui contribuent au confort des collaborateurs en entreprise.

Dès lors, comment garantir au mieux le confort en entreprise tout en respectant la sobriété énergétique ?

Comme évoqué, agir au mieux sur le confort thermique implique des actions globales sur un bâtiment, qu’il est souvent compliqué de mener d’un point de vue technique ou financier durant l’automne pour affronter l’hiver. Pour les utilisateurs, il est important de saisir les opportunités au moment des changements de baux. Pour ne pas se louper dans les choix de stratégies immobilières, il est nécessaire de prendre en compte les critères de conception du bâtiment, son orientation par rapport à la lumière naturelle et aux apports caloriques du soleil, les technologies de récupération d’énergie voire de production via les pompes à chaleur ou le photovoltaïque. Ainsi, on peut contribuer à une exploitation du bâtiment plus sobre et durable tout en apportant des premiers éléments de confort pour les occupants.


* Conception des lieux et situations de travail

** L’Institut national de recherche et de sécurité, association loi 1901, est un organisme généraliste en santé et sécurité au travail, intervenant en lien avec les autres acteurs institutionnels de la prévention des risques professionnels.

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