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Le rôle de la restauration d’entreprise par le menu

Par Alexandre Foatelli | Le | Services

Cet article est référencé dans notre dossier : En 2024, les services sont toujours aussi incontournables

Sommé de faire sa révolution pour s’adapter au monde du travail d’après 2020, le secteur de la restauration d’entreprise est désormais perçu comme un levier d’engagement puissant. Les notions d’attractivité et de rétention des talents, de respect et de considération des salariés se sont invitées à la table des débats sur le sujet.

Le rôle de la restauration d’entreprise par le menu
Le rôle de la restauration d’entreprise par le menu

C’est un secteur qui représente 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans son ensemble en France selon les données de l’Insee. Un volume partagé entre l’autogestion (14 milliards d’euros) et la concession à un prestataire (11 milliards d’euros, chiffre identique en 2022 selon Xerfi). Cependant, le Covid et ses conséquences dans la durée, telles que la pratique du télétravail, l’a durement ébranlé. Ce secteur, c’est celui de la restauration collective.

Malgré l’ampleur des impacts des dernières années, la dégradation des performances économiques pour les Sodexo, Compass et autres Elior remontent à bien avant le déclenchement de la crise sanitaire. Il n’en demeure pas moins que l’activité est face à des nouveaux enjeux et de nouvelles attentes. Un contexte propice aux innovations et aux nouveaux concepts, mais qui interrogent surtout sur le rôle de la restauration collective aujourd’hui.

Menu des enjeux

Entrée : adaptation sur son lit de flexibilité

La première épreuve qu’a dû endurer les acteurs de la restauration collective, c’est celle de la flexibilité. Durant les phases de confinement, et depuis dans une économie tertiarisée où le télétravail est devenu monnaie courante, les modèles historiques ont été contraints d’évoluer.

« Les entreprises qui avaient des restaurants classiques se sont retrouvées avec des coûts fixes très élevés durant le Covid. Par la suite, avec des niveaux de fréquentation d’abord faibles puis fluctuants d’un jour à l’autre jusqu’à aujourd’hui, elles ont eu besoin de plus de flexibilité, ce qui a créé un appel d’air pour les offres alternatives », relate Sidonie Viala, DRH de Foodles. D’ailleurs, les majors du secteur ont rapidement pris le virage pour s’adapter, à l’image de Compass Group qui a lancé sa marque de restauration sans cuisine et basée sur les comptoirs et les frigos connectés : Popote.

« Forcément, lorsqu’une proportion non négligeable de vos collaborateurs ne vient pas travailler tous les jours sur site, on nous demande de la flexibilité, abonde Zoulikha Laoubi, directrice générale des marques Exalt et Popote au sein de Compass Group. Nous travaillons donc avec nos clients au cas par cas pour adapter nos services à la fluctuation des fréquentations, nos horaires d’ouverture, nos contrats et nos business model. » Cette dernière cite notamment les cas où plusieurs espaces de restauration existent au sein d’un même immeuble, et où il est proposé de fermer certains d’entre eux les jours de moindre influence, afin de réduire les coûts pour les utilisateurs.

Dans ce besoin de redéfinir l’offre de restauration en entreprise, la direction va aujourd’hui davantage vers du moins, mais mieux. « Il fut un temps en restauration d’entreprise où il était communément admis d’avoir 6 à 12 choix de plats différents, parce qu’on considérait que plus on faisait de couverts, plus il fallait de choix. Mais pour des raisons d’abord environnementales, de cohérence et aussi économiques, il y a un intérêt à privilégier la qualité à la qualité. Tout cela permet de réduire drastiquement le gaspillage alimentaire.

Les offres alternatives ont aussi pu se faire une place dans d’autres secteurs d’activité ouverts 24/7, notamment dans l’hôtellerie ou certaines administrations. Une amplitude horaire que la restauration collective classique ne pouvait adresser.

Plat : considération de salariés à la sauce service

Dis-moi ce que tu manges, je te dirai si je reste. Outre le besoin de flexibilité de l’offre pour les entreprises, la restauration est devenue un levier d’engagement à part entière. « Je pense que l’enjeu de faire revenir les salariés au bureau a été assez éphémère. Pour preuve, la France affiche parmi les taux de présence les plus élevés, partage Sidonie Viala. En revanche, la question de l’engagement, intimement liée à un facteur générationnel puisqu’on observe que le rapport au travail des jeunes a changé et que bon nombre envisage d’être en freelance et challengent bien plus les organisations, est centrale dans les organisations. Dans ce cadre, une offre de restauration qualitative constitue un levier, au même titre que le team building, le sens du travail ou les valeurs défendues par l’entreprise », développe la DRH de Foodles.

Ces nouvelles attentes ont d’ailleurs entraîné une évolution de l’offre. En plus d’une attention accrue sur la diversité et l’adaptabilité des menus (plats réconfortants en hiver, légers en été), ainsi que sur la traçabilité des produits, l’entreprise spécialisée dans le frigo connectée depuis sa création en 2014 a développé des solutions allant du coffee shop jusqu’au comptoir avec des services d’animations au quotidien.

« La restauration, et les services aux occupants de manière générale, sont devenus un enjeu majeur, car c’est un outil utilisé par les entreprises pour attirer les talents et rendre confortable le lieu de travail. Le service c’est ce qui créer le lien social que recherche les consommateurs. D’un rôle plutôt fonctionnel, la restauration est désormais un enjeu business, RH et même d’image », résume Zoulika Laoubi.

La restauration et le service sont des éléments primordiaux, car ils sont perçus comme une marque de respect par les collaborateurs

En matière d’offres singulières de restauration collective, les exemples se multiplient ces dernières années, à l’instar de Carrefour et son offre diversifiée. Pour les entreprises qui font le choix d’investir dans ce domaine, l’enjeu est clairement de susciter de l’engagement. « Post-Covid, il a fallu remobiliser le personnel. Pour cela, l’adresse est toujours autant incontournable, mais il faut aussi désormais du confort et du bien-être. La restauration et le service sont des éléments primordiaux, car ils sont perçus comme une marque de respect par les collaborateurs », décrit la cheffe de projets Immobiliers d’une banque privée.

Ainsi, l’institution s’est adjoint les prestations d’un restaurateur haut de gamme pour offrir à ses collaborateurs (et ses clients) une qualité de services avec les « codes du palace ». Exit donc le RIE servant 2 000 couverts/jour aux équipes de la banque et aux externes : place à un lieu cosy prévu pour 80 couverts/jour initialement, baptisé Le Patio. 

En plus d’une proposition alimentaire raffinée, axée sur la gastronomie française et les produits de saison, l’expérience repose beaucoup sur le service. « Le sourire, les petites attentions comme proposer du service à table ou de débarrasser à la fin du repas, tout cela créé du lien entre les salariés et le personnel de service. C’est aussi générateur d’une atmosphère générale où le salarié se sent hautement considéré, et donc naturellement plus attaché à son employeur », déroule la la cheffe de projets Immobiliers.

Dessert : délice d’attractivité pour talents et clients

Dans ses locaux de Saint-Ouen, Factory a également aménagé une cantine haut de gamme. Ouvert à ses 90 collaborateurs et ses clients, l’endroit sert près d’une soixantaine de couverts par jour.  La société et de conseil en immobilier et d’aménagement fondée en 2017 a conçu ce lieu comme un véritable restaurant avec une identité marquée, illustrée les mois d’hiver par un feu de bois central. Celui-ci dispose d’une chef et d’une petite équipe, tous employés par Factory. Les produits sont issus de circuits courts, chaque carte propose trois entrées, trois plats et trois desserts, tous réalisés sur place, avec une priorité axée sur une offre végétarienne et équilibrée.

« Offrir une nourriture de qualité c’est considérer ses collaborateurs. Chez nous le repas du midi est offert à 100 % des salariés. Et nous voulions leur offrir aussi un service digne d’un bon restaurant, car c’est un gage d’engagement selon nous, décrit Nicolas Micallef, cofounder et CEO de Factory. Le service à table est le même pour tous, clients comme collaborateurs. La configuration du restaurant permet d’ailleurs aux équipes et clients de se rencontrer : des grandes tables d’hôtes, des espaces plus cosy, on peut réserver sa table comme rejoindre un groupe à la volée. Ce restaurant est le socle de notre offre de services, il incarne et fait vivre nos valeurs et il est clé dans notre modèle d’entreprise », défend le dirigeant.

Travailler sa restauration a aussi des atouts sur l’extérieur. « On travaille dans un secteur concurrentiel, et ce restaurant fait office d’avantage comparatif par rapport à nos concurrents », vante Nicolas Micallef. Même son de cloche pour la banque privée qui a aussi mis les petits plats dans les grands pour ses clients VIP. Elle met à disposition un étage entier où les cadres peuvent recevoir à déjeuner dans des salles insonorisées (confidentialité oblige !), toujours avec les prestations de maîtres d’hôtels de son prestataire. Le clou du spectacle : une des salles s’ouvre sur la cuisine derrière une paroi vitrée, afin de proposer des « shows culinaires » aux convives.

Addition salée

Indéniablement, ces choix traduisent des investissements importants. « Pour chaque salarié cela nous coûte plusieurs milliers d’euros par an », reconnait Nicolas Micallef. Cependant, ceux qui ont choisi d’investir dans leur restauration l’assument totalement. Et selon eux, il s’agit bien d’une question de choix plus qu’une question de capacité financière.

Au sein de la banque privée, on estime que « certains environnements de travail proposent d’autres types d’espaces et de services, allant de la salle de jeu avec baby-foot à la salle de sport, en passant par des salles de sieste ou des mother’s rooms. Pour qu’ils fonctionnent, ces équipements doivent répondre à un besoin réel et s’inscrire dans la culture de l’entreprise, sinon ils sont souvent sous utilisés et ne remplissent donc pas de rôle dans le renforcement de l’engagement. Alors qu’investir dans la restauration c’est investir dans un élément qui concerne tout le monde, qui est même perçu comme un essentiel », justifie-t-elle.

Un regard que partage Sidonie Viala, qui souligne que « globalement, les entreprises investissaient déjà pas mal dans les sujets de la restauration, mais pas forcément à bon escient ». « Elles dépensaient beaucoup pour des frais de structure, pour l’embauche de personnels, pour bénéficier d’un réseau. Désormais, elles veulent vraiment proposer un service de qualité à leurs collaborateurs et sont prêtes à mettre plus de moyens là-dessus. »

Cela étant, toutes les entreprises n’ont pas les ressources pour proposer des restaurants haut de gamme et des services associés. À l’opposé de celles qui misent beaucoup, certaines entreprises aimeraient mettre davantage de moyens dans leur restauration, mais subissent un contexte économique délicat. « Quelques fois, elles doivent même faire le choix de fermer leur restaurant et de passer sur des modèles hybrides en frigo connecté ou comptoir. C’est en particulier le cas pour les petits restaurants qui font moins de 200 couverts/jour, qui ont systématiquement posé l’intérêt d’avoir un restaurant en propre, cite Zoulikha Laoubi. Et dans ces cas-là, la satisfaction des salariés est plus nuancée, car ils ont un sentiment de perte en qualité. »

On enregistre sur la dernière année une inflation moyenne de plus de 24 % sur nos coûts fixes et sur les denrées alimentaires.

D’ailleurs, le secteur dans son ensemble se trouve plutôt dans une situation économique tendue. « L’inflation a un effet ciseau très compliqué pour les sociétés de restauration collective, puisqu’on fait face d’un côté à une baisse du chiffre d’affaires liés redimensionnement des contrats du fait du télétravail, et de l’autre on enregistre sur la dernière année une inflation moyenne de plus de 24 % sur nos coûts fixes et sur les denrées alimentaires. », témoigne Zoulikha Laoubi. Le sujet du modèle économique de la restauration d’entreprise mérite d’être débattu aujourd’hui. Les contrats qui sont montés actuellement selon les mêmes logiques qu’avant Covid sont-ils toujours viables ? Je pense qu’il est nécessaire qu’ils évoluent aussi vite que les attentes des clients et des consommateurs pour que le modèle puisse perdurer », souligne-t-elle.

Du petit-déjeuner au diner

Dans une période où l’optimisation des surfaces est au cœur des stratégies immobilières, l’espace dédié à la restauration pose aussi question. En effet, un réservoir de mètres carrés qui n’étant occupé qu’au moment de la pause méridienne a de quoi faire grimacer les décideurs. C’est ainsi que la notion de chronotopie, consistant à prendre en compte les dimensions spatiales et temporelles selon les usages possibles, s’est peu à peu instillée dans la conception des espaces. De ce fait, les lieux de restauration n’ont, justement, plus vocation à être désertés en dehors de la page 12h/14h.

« Le Patio est ouvert de 8h à 16h. Les collaborateurs y viennent le matin, où ils peuvent profiter d’un café ou d’un petit-déjeuner énergisant. Ils peuvent y descendre aussi l’après-midi, cela leur donne un moment de respiration en dehors de l’open space. C’est un peu un poumon pour les équipes ». En outre, l’espace est aussi le lieu où plusieurs associations internes (de jeunes, de femmes, etc.) organisent des animations à différents moments de la journée. D’ailleurs, de plus en plus d’entreprises offre le petit-déjeuner, voire le goûter à leurs collaborateurs, afin notamment de répondre aux envies des jeunes, souvent friands de ce premier rendez-vous de la journée, mais aussi pour proposer un autre cadre de rencontres et d’échanges à leurs salariés. 

Les sociétés de restauration collective sont aussi sollicitées pour contribuer à l’usage des espaces. Cependant, cela doit être le fruit d’une coopération entre le prestataire de restauration et son client, comme l’explique Zoulikha Laoubi. « En premier lieu, il faut que l’aménagement soit compatible avec un usage tout au long de la journée. Typiquement, si un petit groupe descend travailler dans une vaste salle à manger de 500 places, il y a peu de chance qu’il s’y sente à l’aise. Il faut que le lieu soit fonctionnel et équipé, de prises, de canapés, d’écrans, etc. En outre, il est aussi nécessaire que l’espace vive, au travers d’une musique d’ambiance ou la présence d’un service café. Et puis il faut que ce soit un usage qui colle à la culture et aux métiers de l’entreprise : lorsque ceux-ci s’articulent autour de réunions d’équipes, de brainstorming dans une approche de flex office à laquelle les salariés adhèrent, cela fonctionne de manière assez fluide », énumère la directrice générale d’Exalt et Popote.

Fort de ce nouveau rôle dans l’engagement des collaborateurs et l’attractivité des entreprises […] la restauration collective pourrait aussi prendre un peu plus de place dans les questions RH.

Fort de ce nouveau rôle dans l’engagement des collaborateurs et l’attractivité des entreprises, d’une adaptation en cours et en partie réussie sur les enjeux de flexibilité et d’adéquation avec les stratégies immobilières, la restauration collective pourrait aussi prendre un peu plus de place dans les questions RH. « Avec le contexte économique, j’observe que les collaborateurs ont un focus plus important sur les sujets de restauration. Pour certains, le déjeuner au bureau constitue le seul repas sain de leur journée. Donc je pense qu’un accompagnement plus global des travailleurs pourraient émerger pour leur fournir, à moindre frais, une bonne expérience d’alimentation sur l’ensemble de leur journée », anticipe Sidonie Viala. Au bureau comme en dehors, la restauration collective n’a en tout cas plus rien d’accessoire.

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