Décret Bacs : la GTB comme messie de la performance énergétique
Par Alexandre Foatelli | Le | Multitechnique
Une nouvelle corde à l’arc réglementaire pour inciter l’immobilier à s’inscrire dans une démarche concrète de réduction de son empreinte carbone. C’est en substance la vocation du décret Bacs, récemment étendu à l’immense majorité des bâtiment professionnels. Mesure accessoire ou vraie moyen de remplir les objectifs du décret éco énergie tertiaire ?
Est-il encore nécessaire de mentionner que l’immobilier tient un rôle prépondérant dans la quête d’un monde moins gourmand en carbone ? Qu’avec non loin d’un tiers des consommations une fois pris en compte la construction et l’exploitation sur l’ensemble des immeubles tertiaires et résidentiels, le secteur ne peut pas rester de marbre ? Et que, même si nous ne faisons probablement plus des bâtiments aussi écologiquement désastreux qu’auparavant, l’immobilier demeure, comme tous les pans de l’activité économique d’ailleurs, encore loin des standards nécessaires pour atteindre des objectifs réellement ambitieux, du moins à un terme où le climat sera encore supportable ?
Quel que soit l’acceptation de tels postulats, l’arsenal réglementaire autour de la construction et l’exploitation de nos bâtiments s’étoffe depuis plusieurs années, tentant avec plus ou moins de poigne d’infléchir la trajectoire bas carbone du secteur. En France, on peut citer pêle-mêle la RT2012 puis la RE2020, le décret éco énergie tertiaire… et le dernier à faire parler de lui : le décret Bacs.
L’heure de gloire de la GTB
Pour expliquer à quoi doit servir ce nouvel outil réglementaire, il faut revenir sur le décret éco énergie tertiaire. Ce dernier impose des objectifs de réduction des consommations d’énergie dans les immeubles de plus de 1 000 m², avec des jalons temporels : de -40 % en 2030 jusqu’à -60 % en 2050. Le recueil et le suivi des consommations se fait via la plateforme Operat, pilotée par l’Ademe.
« Ce décret reste en substance assez flou, notamment dans la mise en œuvre des actions de réduction des consommations. Il ne fixe aucune règle spécifique sur la manière d’atteindre les objectifs définis », souligne Alric Marc, fondateur d’Eficia, Greentech fondée en 2013.
Publié au journal officiel dès juillet 2020, le décret Bacs - pour « Building Automation & Control Systems » ou « Gestion Technique du Bâtiment (GTB) » en bon français - impose de s’équiper des équipements permettant une mesure précise des usages énergétiques d’un bâtiment ainsi que son pilotage. Dans un premier temps, il prévoyait de s’appliquer aux immeubles, neufs et existants, ayant des puissances supérieures à 290kW. Mais en avril dernier, le texte est modifié afin d’abaisser ce seuil à 70kW, le rendant applicable grossièrement pour tous les bâtiments professionnels de plus de 1 000 m² - voire plus de 500 m² selon Alric Marc. Un seuil qui l’aligne donc sur le décret éco énergie tertiaire et concerne environ 90 % des immeubles.
« C’est un excellent et indispensable moyen d’entrer dans la stratégie de mise en œuvre du décret tertiaire », se réjouit Pierre de Montlivault, président de la Fédération des services énergie et environnement (Fedene).
Ainsi, le décret Bacs s’appuie sur la conviction que la GTB est le moyen le plus rentable de parvenir à réduire les consommations énergétiques et vise donc à généraliser son usage. « L’installation d’une GTB est possible dans tous les bâtiments, il n’y a plus de limite technique aujourd’hui. En utilisant de l’IoT et les dernières technologies, n’importe quel bâtiment, même les plus vieux, peuvent avoir des systèmes de régulation intelligents », appuie Alric Marc.
En revanche, si les freins techniques ne devraient pas vraiment se poser, le fondateur d’Eficia est dubitatif sur la capacité du marché à tenir le délai prévu par le décret (2027). « Je doute que tous les bâtiments éligibles soient équipés d’ici là car il n’existe pas pour l’instant assez d’entreprises capables d’installer ces équipements. Et puis l’autre sujet, c’est de savoir si les propriétaires vont jouer le jeu ? », interroge-t-il.
Incitation vs obligation
D’accord, la perspective de contribuer à la réduction de l’empreinte carbone, sans compter les bénéfices en termes d’image et les économies sur le budget « énergie », font une belle carotte… mais qu’en est-il du bâton ? Dans sa temporalité, le décret Bacs impose l’installation pour les bâtiments dont la puissance est >290kW au 1er janvier 2025 puis au 1er janvier 2027 pour ceux >70kW. Enfin… impose… c’est beaucoup dire. Si le décret éco énergie prévoit des sanctions allant jusqu’au montant dérisoire de 7 500 euros pour ceux qui ne rempliraient pas les objectifs, après deux mises en demeure, le décret Bacs ne dispose… d’aucune sanction !
« Le Gouvernement aurait pu au moins mettre un principe de name & shame à l’instar de ce qui se passe lors de la seconde mise en demeure dans le décret tertiaire : les entreprises sont publiquement citées comme ne remplissant pas leurs objectifs, ce qui peut les inciter un peu plus à changer d’approche », regrette Alric Marc.
Une nouvelle fois, l’Etat se montre prompt aux atermoiements, comme en témoigne les retards à l’allumage et les délais supplémentaires déjà observés pour le décret tertiaire ou la RE2020. D’ailleurs, le décret Bacs dispose même d’une exemption dans les cas où un propriétaire produirait une étude démontrant que l’installation d’une GTB ou sa connexion avec les systèmes techniques du bâtiment devant être raccordés ne serait pas réalisable avec un temps de retour sur investissement inférieur à 10 ans, déduction faite des aides financières publiques. « En moyenne, le ROI après une installation intervient au bout d’un an, et je n’ai jamais vu de situation où ce délai excède les quatre ans », tempère cependant Alric Marc.
Pour sa part, Pierre de Montlivault considère que « les pénalités ne sont pas utiles, car ceux qui n’appliquent pas le décret sont déjà sanctionnés par leur surconsommation d’énergie, d’autant plus avec les augmentations de prix que nous connaissons depuis 2020 ». Selon la Fedene mieux vaut privilégier l’incitation grâce aux subventions. « Il existe un coup de pouce via le dispositif des Certificats d’économie d’énergie (CEE), qui multiplie par deux les aides pour l’installation d’une GTB ou son amélioration. En revanche il est important que les pouvoirs publics continuent à faire la promotion de ces dispositions, des équipements et de leur utilité dans le cadre du Plan de sobriété », appelle de ses vœux Pierre de Montlivault.
Doublé du Bacs, le décret éco énergie tertiaire a désormais, sur le papier, toutes les armes nécessaires pour que les propriétaires et les utilisateurs atteignent les objectifs. Reste à voir à l’usage si le manque de fermeté dans les modalités d’application ne nuira pas à la bonne tenue de la feuille de route.