Aménagement

Portrait d’Aliénor Bechu, de l’urbanisme à la petite cuillère

Par Alexandre Foatelli | Le | Archi & space planning

À la tête de Volume ABC, studio d’architecture d’intérieur et de design, Aliénor Bechu a impulsé le mouvement vers la polyvalence des compétences tout en gardant l’inspiration de la nature chère à son père Anthony Bechu. Portrait de celle qui représente, avec sa sœur Clémence, la quatrième génération (et la première de femmes !) de la lignée des Bechu architectes.

Aliénor Bechu dirige le studio d’architecture d’intérieur Volume ABC depuis 2015. - © D.R.
Aliénor Bechu dirige le studio d’architecture d’intérieur Volume ABC depuis 2015. - © D.R.

Dans le monde de l’entreprise, les sagas familiales sont nombreuses. Dans le milieu de l’architecture, celle du « clan » Bechu remonte à 1920, lorsqu’Antony Edouard Bechu installa son premier atelier à son domicile du 15e arrondissement de Paris, et dont l’adresse est, 100 ans après, toujours celle de l’agence. Succédant à son père, architecte de la deuxième génération, Anthony Emmanuel Bechu la dirige depuis le début des années 1980. Et l’histoire ne s’arrête pas là !

Depuis une petite dizaine d’années ses deux filles se sont inscrites dans la lignée de leurs aïeux et la co-dirigent à ses côtés, marquant ainsi une passation générationnelle progressive. Si Clémence se consacre principalement au développement et à la stratégie de l’entreprise familiale dans sa globalité, sa sœur Aliénor Bechu s’est tournée vers l’architecture d’intérieur et dirige Volume ABC, une sorte de « spin-off » dédié à cette échelle, fondé une trentaine d’années auparavant par son père pour répondre à la demande des maitres d’ouvrage.

Pas de côté

En prenant les rênes de Volume ABC en 2015, Aliénor Bechu cultive la singularité de son parcours. « Il faut bien préciser que ce sont deux sociétés différentes juridiquement et que nous intervenons aussi bien sur des projets en lien avec l’agence Bechu & Associés qu’auprès d’autres architectes et maitres d’ouvrage », tient à souligner celle qui a aussi hérité des yeux azur de son ascendance. Volume ABC a ainsi œuvré sur plusieurs réalisations de l’agence familiale (Sways, Upside, la tour D2) et pour le compte d’autres parties (L’Olympia, le showroom d’Econocom à Puteaux).

Au sein de son studio, et épaulée de son associé Donald, Aliénor Bechu anime au quotidien une équipe d’une dizaine de personnes regroupant toutes les compétences nécessaires à l’activité d’architecte d’intérieur et aussi de designer. « Volume ABC développe des contrats d’édition de design avec plusieurs maisons pour du mobilier ou même pour des objets du quotidien. Grâce à la complicité que nous avons avec l’agence Bechu, nous nous amusons à affirmer aller de l’urbanisme jusqu’à la petite cuillère », synthétise-t-elle.

Avec ma sœur et mon frère, nous sommes nés avec un casque de chantier sur la tête.

À l’instar des générations précédentes et de sa sœur ainée, Aliénor Béchu a « baigné dans le monde de l’architecture » depuis son enfance. « Avec ma sœur et mon frère, nous sommes nés avec un casque de chantier sur la tête, et avons passé beaucoup de nos week-ends sur des échafaudages ou à l’agence », se remémore-t-elle. Ses jeunes années ont aussi été marquées par des voyages, notamment sur des sites archéologiques à travers le monde qui ont nourri son goût pour l’histoire et la diversité culturelle. « J’ai suivi un cursus passionnant et formateur de trois ans en histoire de l’art à la Sorbonne dans l’optique de devenir experte en la matière. J’en ai acquis des bases essentielles à mon métier d’aujourd’hui. » dit-elle.

Au sortir de l’université, la jeune femme est rattrapée par sa passion de toujours : le dessin. Décidée à renouer avec cette fibre artistique et plastique, elle s’embarque pour l’Angleterre où, durant un an, elle prend des cours de sculpture et de peinture à Londres. « J’étais dans un atelier d’artiste et cela m’a convaincue de mon souhait de me diriger vers ce milieu. À mon retour, j’ai fait une prépa aux Ateliers de Sèvres puis j’ai passé cinq années merveilleuses à l’école Camondo », relate-t-elle, soulignant avoir tout particulièrement apprécié le fait que l’enseignement soit axé sur le développement de la créativité de chacun.

Tout juste diplômée, Aliénor Bechu fait part à son père de sa volonté de travailler avec lui, appuyant cependant le fait d’œuvrer à son échelle de prédilection : l’architecture d’intérieur. C’est ainsi qu’après de premières années de formation au métier aux côtés de son ancienne dirigeante, elle prend naturellement et légitimement la direction de Volume ABC, y apportant depuis sa vision créative et sa compréhension du marché.

« Ecouter le bâtiment »

Dans sa conception de l’architecture d’intérieur, Aliénor Bechu met un point d’honneur à créer toujours en fonction de l’enveloppe existante. « L’architecture du bâtiment est très importante, c’est elle qui va impulser ce que vous allez faire en son sein. Je m’accorde vraiment à écouter le bâtiment, sa volumétrie et sa matérialité. Dans le cas d’une réhabilitation, l’idée est de rajouter une nouvelle strate dans la vie du lieu en s’appuyant sur les éléments préexistants », décrit elle. Une vision où transparaît son attachement à l’histoire. Une écoute qui s’étend aussi aux attentes et aux besoins de l’utilisateur final. « C’est comme une danse à quatre mains avec le client autour du dessin tout au long du projet », illustre l’architecte d’intérieur.

Je m’accorde vraiment à écouter le bâtiment, sa volumétrie et sa matérialité.

En complément de l’environnement immédiat du lieu, elle trouve aussi ses sources d’inspiration lors de ses pérégrinations dans des expositions de peinture et de photographies qu’elle affectionne particulièrement, ainsi que dans la littérature. « En outre, il existe une belle source d’inspiration à portée de main : la nature, mentionne la directrice de Volume ABC. Celle-ci est très inspirante, aussi bien par la matérialité qu’elle peut offrir, par ses couleurs et ses textures, que par l’observation de sa manière d’être. Depuis longtemps d’ailleurs, l’agence Bechu & Associés tient à cœur les notions de biomimétisme et de biophilie ». Pour elle, l’intégration du vivant au sein même du bâti est une condition sine qua none pour le bien-être des utilisateurs. Suivant cette ambition de faire entrer la nature à l’intérieur des immeubles, les projets de Volume ABC ont beaucoup recours aux matériaux biosourcés.

Une bonne illustration de ce que la nature peut inspirer aux projets de l’agence se trouve par exemple dans l’hôtel Miramar La Cigale du Port Crouesty en Bretagne. Dans cet écrin situé entre Vannes et la presqu’ile de Quiberon, dont la forme générale évoque un paquebot, Volume ABC a conçu un écosystème marin qui se décline dans ses couleurs, ses formes et au travers de ses échelles : des concrétions marines pour les luminaires, en passant par les galets pour les têtes de lit, jusqu’aux courbes de la mer pour les circulations. Livré en 2015, ce projet d’ampleur à la fois complexe (180 chambres, une extension sur le toit, l’ensemble des espaces de restauration et de services) et très contraint par six mois seulement de chantier a marqué le début de carrière de la jeune femme.

Un métier en transformation

Sways présente une large canopée en verre - © Béchu & Associés
Sways présente une large canopée en verre - © Béchu & Associés

La seconde réalisation qu’Aliénor cite comme référence est le projet Sways. À l’origine, Bouygues Immobilier fait appel à l’agence Bechu & Associés pour reconvertir ce bâtiment qu’elle avait elle-même conçu en 1992. À cette occasion, l’immeuble est agrandi de 12 000 m² et largement réouvert sur la ville, disposant désormais de façades transparentes, d’une grande verrière canopée et de nombreuses terrasses végétalisées. À l’issue d’un concours organisé par le promoteur, le projet proposé par Aliénor Bechu et son équipe fut retenu, fondé sur un concept biophilique fort, d’hybridation des usages faisant appel aux codes de l’hospitalité, et d’un travail de mise en valeur et de réemploi de l’existant. « Sur cette opération, 30 % des matériaux sont réutilisés », précise Aliénor. Ce lieu réinventé a séduit le groupe Canal+ qui s’est engagé sur un bail avant sa livraison et en a fait son siège. Désormais rebaptisé « One » il y réunit l’ensemble de ses équipes pour la première fois.

Depuis le Covid et avec la généralisation de l’hybridation des usages, être polyvalents est devenu un véritable avantage compétitif.

Sways est aussi le révélateur d’un métier en transformation qu’Aliénor Bechu a vu évoluer de plusieurs manières. D’abord la nécessité de savoir travailler sur un lieu en se servant du « déjà-là » pour optimiser son empreinte carbone. Ensuite, au niveau des usages : lorsqu’elle a repris les rênes du studio, l’activité de celle-ci était principalement dédiée au bureau. C’est grâce à la volonté d’élargir son spectre d’intervention à l’hôtellerie, la restauration, les espaces événementiels et le résidentiel qu’Aliénor Bechu a su anticiper un marché à la veille de sa révolution, en concevant il y a déjà 10 ans autrement les espaces de travail.

Sways présente plusieurs usages - © Volume ABC
Sways présente plusieurs usages - © Volume ABC

« Pendant plusieurs années, nos maitres d’ouvrage se montraient parfois frileux devant cet aspect multidisciplinaire que nous leur proposions, mais depuis le Covid et avec la généralisation de l’hybridation des usages, être polyvalents est devenu un véritable avantage compétitif. Nous disposons des réflexes qui permettent de piocher assez facilement à droite et à gauche des éléments pour créer des lieux hybrides ». Et donc ainsi quelque part continuer de développer l’héritage séculaire de la famille Bechu dans le vaste monde de l’urbanisme…à la petite cuillère.