Portrait de Jean-Philippe Nuel, précurseur de l’hospitality au bureau
Par Alexandre Foatelli | Le | Archi & space planning
Depuis le milieu des années 1990, le Studio Jean-Philippe Nuel s’est forgé une expertise reconnue dans l’architecture intérieure des établissements hôteliers. À compter de 2015, l’agence a commencé à œuvrer sur des projets de bureaux, se trouvant ainsi aux prémices de l’incursion de l’hospitality management dans l’environnement de travail. Rencontre avec ce précurseur, inspiré par le cinéma et l’histoire des lieux qu’il réinvente.
Comme il le conseille aux jeunes générations aujourd’hui, Jean-Philippe Nuel a choisi un métier pour lequel il avait « des facilités ». Lui qui adore dessiner depuis tout petit a opté pour une synthèse entre son hobby artistique et la rigueur scientifique qui lui sied. Titulaire d’un bac scientifique, il entre donc à l’Ecole nationale des Beaux-Arts (UPA 4) encore logée dans son bâtiment historique - logée dans le bâtiment historique des Beaux-Arts au croisement du Quai Malaquais et de la rue Bonaparte - qui mêle la création artistique à l’exigence des sciences, notamment humaines telles que la sociologie, la psychologie et l’ethnologie. « J’ai hésité avec le cinéma, parce que je trouvais des points de convergence entre ces deux arts majeurs. D’ailleurs, je suis beaucoup inspiré par le cinéma dans mon travail », confie aujourd’hui cet adepte de la filmographie de Christopher Nolan, entre autres. Ainsi, Jean-Philippe Nuel s’inscrit dans une sorte de tradition familiale, en embrassant le même métier que deux de ses oncles.
Architecte de l’intérieur
Ce goût pour les sciences humaines l’amène à s’orienter plus vers l’architecture intérieure, au plus proche des utilisateurs. Et son expertise, Jean-Philippe Nuel va la forger dans le secteur de l’hôtellerie en premier lieu. S’il est souvent décrit comme un architecte-designer, Jean-Philippe Nuel se qualifie plus volontiers comme architecte d’intérieur. « C’est la part la plus importante de notre activité aujourd’hui. Et le design de mobilier nous offre un vecteur de communication grand public assez complémentaire ». Cette spécialité permet à cet adepte des sciences humaines de s’intéresser de près aux utilisateurs, les attentes et leurs usages. Et cette expertise, Jean-Philippe Nuel va la forger dans le secteur de l’hôtellerie en premier lieu. « Ce sont des projets vraiment passionnants, parce qu'un hôtel concentre toutes les fonctions humaines en un lieu : on y habite, travaille, on s’y détend, s’y restaure, on y fait du sport… », énumère-t-il.
Depuis deux ans, l’expertise hôtelière enrichit les projets de bureaux, parce que ce ne sont plus seulement des lieux pensés pour travailler.
Pour trouver l’inspiration dans ses projets, Jean-Philippe Nuel fait logiquement appel au cinéma. Il glisse notamment qu’il conçoit l’entrée dans un bâtiment « comme s’ils étaient les premiers plans d’un film ». En outre, il entend capter « l’air du temps » afin de la restituer dans le cadre du projet qu’il mène. « Je dis régulièrement à mes équipes de regarder autour d’eux, d’observer comment les gens agissent et s’habillent dans la rue par exemple, explique-t-il. Tous ces éléments doivent inspirer nos réalisations, faisant de nous des récepteurs-émetteurs des tendances de fonds ». À l’affût des innovations, l’architecte cultive un attrait pour la biophilie et le développement durable, qu’il voit comme une nouvelle forme de modernité dans l’architecture. « Ces approches ont pour but de susciter chez l’utilisateur un rapport à la nature et un respect de l’environnement, qui va au-delà des labels qui, selon moi, entérine des mesures qui devraient être de l’ordre de l’acquis. »
Enfin, dans la synthèse des inspirations et des tendances, Jean-Philippe Nuel n’oublie pas l’histoire du lieu et de son environnement immédiat, pour donner sens au projet. En témoigne son travail sur l’ancienne piscine Molitor - « une de [ses] plus grande réussite » - ressuscitée en tant qu’hôtel-restaurant en 2014, tout en sauvegardant son identité street-art hérité de 25 ans d’abandon après sa fermeture en 1989. De manière générale, l’architecte considère que l’art est l’un des moyens pour éviter la standardisation des lieux, que ce soit dans les hôtels ou les environnements de travail.
Transposer l’hospitality au bureau
Son incursion dans l’immobilier de bureau, Jean-Philippe Nuel l’effectue en 2015. « À l’époque, Altarea Cogedim, avec qui j’avais travaillé auparavant sur la transformation de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Marseille en palace Intercontinental, m’a sollicité sur un appel à projets pour un immeuble destiné à Sanofi et Merial à Lyon », se remémore l’architecte. De fil en aiguille, Jean-Philippe Nuel intervient sur plusieurs opérations tertiaires, notamment sur Convergence, le siège de Danone à Rueil-Malmaison, le siège La Banque Postale Asset Management à Paris, ou encore la tour Alto à La Défense.
Ce qui le motive à travailler sur cette nouvelle typologie d’actifs, c’est « une sorte de révolution » dont il perçoit les prémices, et qui se verra fortement dopée par la crise sanitaire en 2020. « Depuis deux ans, l’expertise hôtelière enrichit les projets de bureaux, parce que ce ne sont plus seulement des lieux pensés pour travailler, mais des lieux de vie à part entière, ce que les hôtels étaient déjà depuis longtemps », souligne Jean-Philippe Nuel. Cependant, ce dernier n’abandonne pas ses premiers amours et continue de mener des projets d’hôtellerie, à l’instar de sa contribution sur l’établissement qui doit ouvrir au sein des tours Sisters à La Défense, ou encore dans une approche plus intimiste un établissement dans le Sud de la France pour Patrick Bruel.
Projet d’agence à New-York
Bien qu’il apprécie l’échelle actuelle de son agence d’une trentaine de collaborateurs, abritée dans une ancienne guinguette réaménagée à un jet de pierre de la Marne, Jean-Philippe Nuel a fait le grand saut par-delà l’Atlantique pour ouvrir un bureau à New-York. « Il s’agissait d’une opportunité, avec quelqu’un que je connais, bien implanté là-bas, et avec qui j’ai monté une structure ad hoc. »
Quid de l’avenir à plus long terme d’une agence qu’il dirige depuis près de 30 ans et qui porte son nom ? Jean-Philippe Nuel y a déjà songé, notamment lorsqu’il a reçu une offre de rachat par un groupe américain, qui n’a pas abouti, mais l’a tout de même amené à réfléchir à un après. Quel que soit le futur de son studio éponyme, Jean-Philippe Nuel, comme tout passionné, voit l’avenir avec toujours l’envie de mener à terme de « nouveaux et beaux projets », portés par de nouvelles.