Télétravail : le délicat retour à l’équilibre
Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail
En dévoilant les résultats de son 7e baromètre sur les évolutions des modes et espaces de travail, Parella met en évidence plusieurs asymétries dans la pratique du travail hybride. Télétravail loin d’être une norme, retour au bureau compliqué par la réduction des surfaces… tour d’horizon des enjeux pour les décideurs et les salariés.
Comme chaque année depuis 2016, Parella présente les résultats de son 7e baromètre sur les évolutions des modes et espaces de travail. Comme en 2022, le conseil en immobilier d’entreprise intervenant exclusivement auprès des entreprises utilisatrices a confié à l’institut CSA Research cette enquête menée au niveau national auprès d’un panel représentatif de 300 dirigeants et 500 salariés d’entreprises de plus de 50 personnes. Cette nouvelle édition apporte un éclairage sur les dynamiques du télétravail, les attentes des salariés comparées à l’offre des entreprises et les impacts sur les espaces de travail.
Télétravail à deux vitesses
Trois ans après le déclenchement de la crise sanitaire du Covid, le souvenir du télétravail massivement pratiqué (et certes imposé) s’efface de plus en plus. En réalité, ce mode d’organisation du travail n’est pas ce qu’on pourrait appeler une norme, même en n’observant que les métiers de bureaux. Selon le sondage conduit par CSA Research, le télétravail n’est proposé « que » par 53 % des dirigeants et accessible à 55 % des salariés. La moitié de la population étudiée n’y a donc pas accès.
À l’échelle nationale, la situation est très inégale selon la localisation et les profils d’entreprises. Ainsi la part des salariés pouvant télétravailler est de 69 % en Ile-de-France contre 50 % en Régions, de 38 % dans les petites structures contre 62 % dans les plus grandes, 61 % dans l’industrie contre 41 % dans le commerce et les transports.
Parmi les salariés déclarant pouvoir faire du télétravail, les différents portraits-robots dessinés par le baromètre peuvent donner deux interprétations. D’un côté, 41 % utilisent au maximum le quota de jours acceptés pour du télétravail, auxquels s’ajoutent 29 % qui s’ajustent en fonction des contraintes personnelles et professionnelles. Autrement dit, la majorité des salariés ayant droit au télétravail mettent à profit ce droit, a fortiori au maximum des possibilités. Cependant, on peut aussi mettre en exergue que près d’un tiers (30 %) vont au bureau tous les jours, sauf circonstances exceptionnelles. Un constat qui faisant écho aux résultats de JLL et Savills sur le retour des salariés français au bureau.
Gérer la venue des salariés, le nouvel enjeu
Ainsi, ce qui revenait comme la lutte perpétuelle des décideurs workplace - faire revenir leurs ouailles au bureau - ne semble trop au goût du jour.
« Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de faire revenir les collaborateurs au bureau, mais de lisser leur présence dans la semaine, éviter les bureaux vides le vendredi et les pics les mardi, mercredi ou jeudi. Ce sont des situations que nous avons déjà anticipées », commente Michel Moussa, Global Head of Workplace Expérience de Sanofi.
Ce qui rend l’équation plus difficile à résoudre, ce que ce retour relatif des salariés se produit alors que les dernières années ont été marquées par une rationalisation des surfaces. Par conséquent, la surface, et plus précisément la surface par collaborateur, prend de l’importance : elle gagne 12 points dans les critères prioritaires des dirigeants (38 %), et 5 points pour les salariés (30 %). En sondant les dirigeants sur leurs projets immobiliers, 16 % des entreprises ont un projet de déménagement à deux ans, dont la moitié d’entre elles y associe une augmentation de surface.
Par ailleurs, la localisation reste l’enjeu majeur : elle est perçue comme un avantage concurrentiel par 57 % des dirigeants et est le critère prioritaire pour 52 % des dirigeants et 54 % des salariés. Les entreprises se retrouvent donc devant une équation difficile à résoudre, devant concilier une localisation centrale et une demande de surfaces plus importantes. Déménagement prévu ou pas, les dirigeants comme les salariés s’accordent sur le besoin d’investir dans l’aménagement de leurs espaces de travail.
L’espace de travail au service des collaborateurs
Pour les décideurs, l’opposition idéologique entre le besoin de créativité et le télétravail persiste. « Pour nous, le télétravail a rempli son rôle pendant la pandémie. Mais, pour l’intelligence collective et la créativité, rien de mieux que de se retrouver en présentiel », souligne Anne-Sophie Droit, DRH du fabricant de chaussures Veja. Cependant, les résultats du baromètre tordent un peu le coup à l’idée reçue que le travail à domicile est dévolu aux tâches de concentration, par opposition au bureau qui sert le travail collaboratif.
De fait, les salariés ont toujours plaisir à venir au bureau. Si, comme l’an dernier, ils y viennent d’abord pour voir leurs collègues (69 % pour le lien social), cette année, ils y viennent aussi pour travailler plus efficacement (56 %). Le domicile n’est donc plus le lieu idoine dévolu aux tâches de concentration. Quand on les interroge sur l’enjeu prioritaire dans la mise en place du travail hybride, les salariés répondent majoritairement les outils (40 %), exprimant ainsi leur besoin opérationnel et fonctionnel au quotidien. Sur la même question, les réponses des dirigeants se répartissent équitablement entre le management (33 %), les outils (30 %) et l’accompagnement des collaborateurs (30 %), traduisant une vision plus globale du sujet.
En outre, l’espace de travail reste un puissant levier d’attraction - puisque c’est un critère important ou décisif pour 69 % des salariés - et de rétention des collaborateurs - car il joue un rôle essentiel dans l’envie de rester dans l’entreprise pour 79 % des collaborateurs. Pour parvenir à ce but, l’environnement de travail doit notamment prendre en compte les services aux collaborateurs. Or, le baromètre de Parella souligne que l’offre de services des entreprises n’a pas encore tout à fait au niveau des attentes des salariés. Pour les dirigeants, des progrès concrets ont été faits sur l’offre de restauration (+7 points par rapport à 2022, à 35 %).
Cependant, les niveaux d’attentes sont encore nettement supérieurs à l’offre proposée sur les autres services. Parella observe néanmoins que, sur l’ensemble des services évoqués à part la restauration, parmi les salariés qui en disposent, ceux qui n’y ont pas recours sont plus nombreux que ceux qui les utilisent. Tout l’enjeu est donc de bien identifier et de dimensionner les types de prestations vraiment attendues et qui seront utilisées une fois en place.
Enfin, le baromètre a sondé les marques d’intérêts pour d’autres évolutions potentielles du travail en vogue en ce moment. Il apparaît que les dirigeants restent frileux face aux initiatives déjà testées par certaines entreprises. Par exemple, moins d’un quart seraient prêts à tester la semaine de 4 jours, qui serait appréciée par près de 75 % des salariés. Moins d’un dirigeant sur cinq serait prêt à laisser ses collaborateurs vivre où ils veulent, quand 41 % des salariés en seraient ravis. Des questions de fonds qui seront probablement arbitrées en fonction de l’évolution du rapport de force entre employeurs et employés dans les prochaines années.