La data au service du couple RH/Immobilier : bonnes pratiques et pièges à éviter
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Pour donner suite aux enseignements de son étude Le Travail Déraciné - dont Républik Workplace était partenaire -, The Boson Project a réuni des DRH et des directeurs immobiliers pour les faire échanger sur les enjeux transverses entre les deux métiers. Républik Workplace Le Média publie le compte-rendu de cet atelier de travail informel, sous la forme d’une mini-série.
Par Fleur Cabeli
C’est l’histoire (vraie) de trois DRH et cinq directeurs immobiliers qui sont venus prendre un café autour de la grande table à manger des Bosons, pour relever ensemble un défi : renforcer les synergies entre leurs directions respectives. Sur quels champs coopérer ? Avec quels outils, quels leviers ?
L’idée est venue d’un constat : dans notre dernière enquête sur les espaces de travail, le Travail Déraciné, 56 % seulement des 60 directeurs immobiliers interrogés déclaraient que les DRH étaient investis dans leurs projets immobiliers ! Ce chiffre nous est apparu bien trop bas, à nous qui sommes foncièrement convaincus que l’immobilier est un humanisme, c’est-à-dire que l’immobilier doit être au service des hommes et des femmes de l’entreprise, de leur épanouissement et de leur performance. Pour ça, une seule solution : faire travailler ensemble le pôle humain et le pôle immobilier de l’entreprise.
Le premier champ de coopération identifié et plébiscité par les participants : la data. Comment utiliser, exploiter et analyser la data à disposition en synergie « RH & immo », au service des collaborateurs et de l’organisation ?
Précieuse data
L’exploitation de la donnée s’impose depuis quelques années comme un nouveau must-have dans les organisations. Comme le précisait Frédéricke Sauvageot, directrice de la QVT chez Orange, dans l’enquête Le Travail Déraciné : « Un immeuble sain, c’est un immeuble qui donne des informations en temps réel. Sur l’appropriation des espaces, leur fonctionnalité… Si on comprend mieux l’espace, on va pouvoir mieux l’utiliser. »
Pourtant, l’immense majorité des organisations n’en sont qu’aux balbutiements. D’après une étude de JLL, seulement 36 % des organisations mesurent les habitudes de travail de leurs employés aujourd’hui. Dans l’étude Le Travail Déraciné, les 60 directeurs immobiliers interviewés étaient 38 % à déclarer se sentir en difficulté et avoir besoin d’aide dans « la collecte de donnée et les outils pour les exploiter ». La data est partout, souvent disponible et brute, et le plus souvent dispersée entre les différents pôles de l’organisation : Directeur Immobilier, DRH, IT…
Brigitte Feist, responsable de la Direction Immobilier & Services aux Résidents de BNP Paribas Cardif, résume avec le plus d’expertise les différents usages possibles de la data :
- Le premier usage est réactif : la data sert à répondre par des faits et des réalités concrètes à des questionnements. Donnant à voir une partie du réel, elle permet de corriger des erreurs de perception, notamment de membres de la direction qui pourraient être éloignés du terrain, et donc des comportements réels des équipes.
- Le second usage consiste à donner de la visibilité aux managers sur le pouls du corps social et de leurs équipes. Par exemple, chez BNP Paribas Cardif, la Direction de l’immobilier rencontre à chaque trimestre les secrétaires généraux de l’ensemble de services, pour analyser avec eux les data à disposition : fréquentation du bureau, comportements, usages des différents espaces… Ces moments de prise de recul servent à la fois aux managers à mieux comprendre certains phénomènes en mettant en chiffres des comportements vécus au quotidien, et ainsi à mieux organiser la vie de leurs équipes.
- Le troisième usage est plus analytique : il s’agit de chercher à mettre en lien et interpréter les données issues des enquêtes de satisfaction. Grâce à une équipe de Data Analysts, BNP Paribas Cardif parvient ainsi à repérer dans les enquêtes de satisfaction des sujets qui paraissent anodins ou signaux faibles, mais qui sont en réalité importants pour les équipes, et à les traiter. La data fait ainsi remonter la parole des masses silencieuses, grâce à l’analyse des répétitions.
Ainsi, si la data permet de mieux observer des comportements, elle n’est pas suffisante pour une analyse complète car elle ne permet pas d’apporter d’explication à ces comportements. Arrive un moment où il faut réussir à remonter du symptôme à la cause.
Les trois risques de l’usage de la data
L’utilisation de la data présente trois risques majeurs, donc il est essentiel de prendre conscience.
Risque 1 : la pollution
L’un des participants à l’événement résume ainsi ce risque : « Quand on donne une ouverture pour s’exprimer, on voit que les gens ne répondent jamais directement à la question qui est posée. Le e-NPS (Employee Net Promoter Score) notamment est une éponge, et peut être pollué. Si on demande aux équipes leur avis sur les bureaux, certains vont répondre qu’ils n’aiment pas les aménagements, mais en creusant un peu, on s’aperçoit qu’en fait c’est surtout de la cantine qu’ils ne sont pas satisfaits. »
Pour analyser finement les réponses et faire la part des choses entre les réponses spontanées et les pensées profondes, le questionnaire de réponses fermées administré en ligne, même analysé par la meilleure équipe de data analysts du monde, aura du mal à rivaliser avec une démarche qui peut paraître désuète, mais qui a fait ses preuves : l’entretien sociologique administré par une personne réelle, capable de réagir à ce qui est dit pour creuser les sujets.
Risque 2 : les fausses causalités
Le deuxième risque, bien connu des statisticiens, consiste à confondre corrélation et causalité. Avec la data à disposition, il peut être tentant de forcer l’analyse : on constate sur la même période une moindre fréquentation du bureau et une baisse de la productivité ? Le coupable est tout trouvé : si les équipes sont moins productives, c’est parce qu’elles viennent moins au bureau. Et si en fait, ces deux tendances observées étaient la conséquence d’une troisième ?
Risque 3 : le déni
Le dernier risque serait de suivre avec trop de ferveur la maxime du physicien Niels Bohr : « ce qui ne se mesure pas n’existe pas ». Aujourd’hui les entreprises parviennent à mesurer un certain nombre de choses : fréquentation des espaces, fréquence des arrêts maladie et des absences, satisfaction… Mais de nombreux paramètres ne sont pas mesurés. Parfois sciemment, mais parfois aussi, de manière parfaitement inconsciente. Simplement parce que certains paramètres apparaissent trop complexes à sonder, on les laisse de côté. Or, si ces paramètres sont les plus complexes, c’est souvent parce qu’ils sont aussi les plus intéressants.
La data fait courir le risque de renforcer une tendance que nous observons dans les entreprises depuis quelques années, celui de se concentrer uniquement sur l’enveloppe du travail, et oublier ce qui est réellement important : le travail en soi. Le rapport aux autres, le rapport à son manager, l’épanouissement, le sentiment d’autonomie, le sentiment d’utilité sociale, de cohérence éthique, la capacité de développement…
Un outil au conditionnel
Oui, la data est un nouvel outil précieux à la main des organisations, à condition qu’elle soit croisée entre les pôles immobilier, RH etc, afin d’apporter une lecture plus complète, et qu’elle soit collectée finement pour éviter les généralités et les effets de pollution. Mais surtout, à condition qu’elle n’aveugle pas les décideurs sur les vrais sujets.
La data est très utile pour gérer l’enveloppe du travail. Elle peut aussi permettre de repérer et de mettre le doigt sur certains phénomènes : une baisse de la fréquentation du bureau, corrélée à une baisse de la productivité et à une augmentation de l’absentéisme, doit tirer la sonnette d’alarme… Mais comprendre les causes de ces phénomènes, et surtout les résoudre, exigera le courage de regarder les vrais sujets en face. Des sujets qui, le plus souvent, constituent les angles morts de la data…
Rédigé par Fleur Cabeli, directrice conseil - Secteur Habitat, Territoires et Immobilier chez The Boson Project