Le Sénat n’est pas satisfait par le déploiement du Très Haut Débit en France
Par Bertrand Lemaire | Le | Digitalisation
Facteur clé pour la mise en œuvre du télétravail sur l’ensemble du territoire national, le déploiement de la fibre suscite bon nombre de plaintes. Face à ce constat, les sénateurs veulent remettre de l’ordre dans ce projet à 35 milliards d’euros.
Un investissement public de 35 milliards d’euros. Voilà ce que représente le Plan Très Haut Débit (THD), qui vise au remplacement du réseau cuivre traditionnel par un réseau fibre optique. Il faut bien dire que l’enjeu autour de cette question est de taille : le THD est essentiel pour faire du télétravail de bonnes conditions (y compris en zones rurales), l’accès à l’administration et aux procédures dématérialisées ou encore le développement numérique des entreprises (notamment des établissements en zones rurales ou péri-urbaines comme des usines).
A l’échelle du territoire, le déploiement général de la fibre a aussi pour objet de réduire la fracture numérique géographique en dotant l’ensemble du territoire d’un accès Internet correct, même loin des répartiteurs, une faiblesse de l’ADSL. Or, la fiabilité de ce déploiement est loin d’être à la hauteur, puisque de nombreux dysfonctionnements ont été constatés. Le plus régulier et pénalisant, le « débranchement » d’un abonné pour qu’un autre soit connecté, affiche des délais de résolution de l’incident pouvant atteindre parfois plusieurs semaines. Quand on sait que le décommissionnement du réseau cuivre (donc de l’ADSL) est prévu à partir de 2025, la résolution de ce type de problèmes est urgente.
A l’initiative du sénateur Patrick Chaize, une proposition de loi « visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique » vient d’être adoptée à l’unanimité par le Sénat, malgré l’opposition du gouvernement et des opérateurs télécoms. Les sénateurs Patrick Chaize, Patricia Demas et Jean-François Longeot ont présenté à la presse la proposition avant qu’elle ne soit transmise à l’Assemblée Nationale. Un vote de ce texte par les députés est attendu pour l’automne 2023.
Un constat unanime, des diagnostics différenciés
Pour comprendre les mesures proposées, une explication s’impose. Aujourd’hui, deux types d’acteurs agissent sur l’infrastructure : l’opérateur d’infrastructure (OI, propriétaire ou responsable du réseau) et l’opérateur commercial (OC, le prestataire assurant le service s’appuyant sur l’infrastructure). Lorsqu’un client demande un raccordement à un OC, c’est celui-ci qui se charge de connecter la fibre reliant le client et l’infrastructure. L’OI sous-traite donc une opération sur son infrastructure à l’OC. C’est ce qui s’appelle le mode STOC, pour sous-traitance opérateur commercial. Cependant, l’Arcep a posé une condition à cette délégation : le respect des règles de l’art.
Cependant, l’accélération du déploiement de la fibre a entraîné de graves dysfonctionnements. La cascade de sous-traitance des OC confiant les interventions à des sociétés nationales qui, elles-mêmes sous-traitent à des acteurs locaux, finit par nuire à la qualité des prestations. D’où les déconnexions sauvages. La sénatrice Patricia Demas a rappelé que l’Arcep a réalisé un examen d’un échantillon de 840 armoires et que la moitié n’étaient pas conforme aux règles de l’art !
L’ennui est que l’Arcep ne dispose pas de statistiques sur les incidents courants et que seuls les dysfonctionnements de l’infrastructure sont remontés. De ce fait, les multiples problèmes rencontrés au quotidien par les clients des opérateurs n’apparaissent pas. Ainsi, le ministre Jean-Noël Barrot peut donc épouser la thèse des opérateurs : les problèmes sont marginaux, liés à quelques situations atypiques…
Les mesures proposées dans le cadre de cette loi vont surtout mettre en lumière les dysfonctionnements, notamment grâce au « guichet unique » destiné aux abonnés. C’est peut-être cette mise en lumière que les opérateurs redoutent. Un deuxième point a été soulevé par les trois sénateurs : les interventions des OC peuvent être subventionnées jusqu’à 500 euros l’unité, mais les sous-traitants intervenant effectivement ne recevoir que le dixième de cette somme. Reste à savoir où passe la différence. Là encore, la transparence voulue par les sénateurs peut sans doute irriter certains acteurs.
Des mesures fortes et contraignantes
Si le mode STOC était issu de négociations entre opérateurs, sous l’égide de l’Arcep, la proposition du Sénat l’intègre à la loi et le réglemente. Par principe, l’OC effectuera le raccordement sous réserve de respecter les règles de l’art. Dans le cas où l’OC ne peut réaliser cette intervention, c’est l’OI qui devra l’effectuer. Ce mode STOC étant la source de tous les maux, pourquoi le pérenniser ?
« Certes, l’OI prend mieux soin de son réseau que des OC, exactement comme un véhicule partagé est moins propre qu’un véhicule personnel, mais la dynamique de déploiement est très forte avec 15 000 connexions par jour. S’appuyer sur les OC a donc du sens. Mais l’exception que nous avons introduite (article 3) sur les zones dites fibrées fait que, lorsque le déploiement industriel sera terminé, c’est bien l’OI qui reprendra la main pour des interventions ponctuelles », Patrick Chaize.
Les zones dites fibrées sont celles où le déploiement est terminé et le décommissionnement du réseau cuivre prévue dans les dix-huit mois. Ce serait, dans ce cas, ruineux pour les OC de multiplier des interventions rares et dispersées sur tout le territoire.
La principale innovation apportée par le texte est l’obligation de l’intervenant final de remettre à l’abonné un certificat de conformité aux règles de l’art, formalisées dans le cahier des charges et dans le cadre d’un contrat validés par l’Arcep et opposables par les usagers. En outre, les abonnés voient leurs droits renforcés en cas de coupure d’accès : suspension du paiement, indemnisation puis résiliation sans frais, même si une période d’engagement reste à courir. L’Arcep voit ses pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés, des indicateurs de qualité de service étant formalisés et des astreintes jusqu’à 100 000 euros par jour de retard pour une mise en conformité étant prévues. Enfin, le principe du « c’est pas moi, c’est lui » ne sera plus possible : chaque OI devra mettre en place un « guichet unique » pour traiter les incidents touchant les utilisateurs de ses infrastructures, incidents qu’il devra, le cas échéant, prendre en charge.
Si la proposition de loi est adoptée définitivement, il restera à voir si sa mise en œuvre permettra un déploiement satisfaisant du THD, cette fois-ci.